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Les générations futures et le droit à un environnement sain : justice climatique pour les jeunes du Montana

Le 14 août 2023, la cour du 1er district du Montana a donné raison à seize jeunes ayant poursuivi l'État pour non-respect de leur droit à un environnement propre et sain, leurs droits à la sécurité, à la santé, au bien-être et à la dignité.

DROIT  |  Commentaire  |  Gouvernance  |  
Droit de l'Environnement N°325
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°325
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Les générations futures et le droit à un environnement sain : justice climatique pour les jeunes du Montana
Marta Torre-Schaub
Directrice de recherche au CNRS, ISJPS, Université Paris 1
   

Par une décision du 14 août 2023, la cour du 1er district de l'État du Montana a statué en faveur des seize jeunes requérants dans le cadre de l'affaire Held (1) . La juge a ainsi déclaré que l'État avait violé les droits constitutionnels des jeunes, notamment leurs droits à une protection égale, à la dignité, à la liberté, à la santé et à la sécurité. Le droit au Public Trust a été également retenu par la cour comme fondement juridique à l'appui de la décision. Ces droits, dit la cour (2) , « sont tous fondés sur leur droit à un environnement propre et sain ». Elle a jugé contraires à la Constitution un certain nombre de dispositions législatives, lesquelles imposent de ne pas évaluer l'impact environnemental et climatique des projets énergétiques. Ces dispositifs favorisaient les combustibles fossiles en défaveur de tout autre système énergétique.

Pour rappel des faits et de la procédure, le 13 mars 2020, seize jeunes ont déposé une requête de nature constitutionnelle contre l'État du Montana, son gouverneur, le ministère de l'environnement, des ressources naturelles et des transports, ainsi que celui des services publics.  Les requérants soutenaient que l'État violait leurs droits constitutionnels à un environnement propre et sain, leurs droits à la sécurité, à la santé, au bien-être et à la dignité ainsi qu'à une protection égale face à la loi. Ils mettaient en avant le fait que l'État, en soutenant un système énergétique fondé sur les combustibles fossiles, contribuait à la crise climatique tout en violant leurs droits constitutionnels. Les jeunes affirmaient également que cela dégradait et épuisait les ressources publiques du Montana protégées par la Constitution, dont l'atmosphère. Plus concrètement, la requête soutenait que la loi sur les politiques énergétiques et certains articles de la loi sur les politiques environnementales interdisant l'État d'effectuer toute étude d'impacts des émissions de gaz à effet de serre (GES) lors de l'évaluation environnementale des projets violaient leurs droits fondamentaux environnementaux. La requête visait ainsi trois questions : la constitutionnalité des textes évoqués, le développement d'un plan afin de contrôler et réduire les émissions de GES ainsi que la nomination d'une autorité devant évaluer l'effectivité du plan.

La décision rendue le 14 août 2023 s'appuie sur l'existence d'un droit constitutionnel à un environnement sain. La cour a déclaré partiellement contraires à la Constitution les dispositifs législatifs concernant la non-obligation d'évaluer l'impact climatique des projets et activités.

Il en découlera ainsi une nouvelle obligation pour les autorités publiques consistant, d'une part, à préserver les droits de jeunes générations et, d'autre part, à respecter le droit fondamental à un environnement sain dans la conduite de leurs activités. Trois points sont particulièrement saillants. Les juges ont estimé que les requérants avaient qualité à agir en montrant qu'ils avaient subi des préjudices importants. Il a ainsi été jugé qu'il se déduit de certains articles de la Constitution un droit à un environnement sain (I). Les limitations imposées par le code de l'environnement sont, dès lors, contraires au droit à un environnement sain (II). Les dispositions législatives contenues dans le code sont, par conséquent, considérés incompatibles avec la Constitution (III).

I. La reconnaissance du droit à un environnement sain

La cour développe d'abord un long raisonnement concernant la science climatique (1) afin de démontrer comment le changement climatique produit des effets négatifs sur les jeunes requérants (2).

1. La science climatique à l'appui du droit à un environnement sain

Trois questions sont mises en avant (3) dans le but de donner un fondement scientifique solide à la décision du tribunal. D'abord, la décision rappelle le déséquilibre terrestre auquel ont conduit la production et la consommation des énergies fossiles qui fait l'objet de nombreux points (4) dans la décision. Suivront des développements sur la fréquence et l'intensité des évènements extrêmes ayant lieu dans l'État du Montana, lesquels sont directement liés au changement climatique et aux émissions de GES. Les conséquences négatives sur l'environnement et les ressources naturelles sont incluses dans ces développements (5) . Enfin, la cour explique de manière détaillée les différents dommages causés aux jeunes requérants ayant pour origine le changement climatique et la pollution de l'air. Ainsi, peut-on lire « Le Dr. Byron a fourni un témoignage d'expert selon lequel le changement climatique et la pollution de l'air qui y est associée affectent négativement les enfants du Montana, y compris les jeunes plaignants, avec une forte probabilité que ces impacts s'aggravent en l'absence d'actions fortes pour atténuer le changement climatique… Il a souligné la façon dont le changement climatique crée déjà des conditions qui nuisent à la santé et au bien-être des jeunes demandeurs… Il a déclaré que la réduction de la production et l'utilisation des combustibles fossiles, et l'atténuation du changement climatique dès maintenant, bénéficieront la santé des jeunes plaignants dès maintenant et pour le reste de leur vie ». De son côté, poursuit le texte (6) , « le Dr Van Susteren a contribué à l'élaboration d'outils d'évaluation de l'anxiété des jeunes face au climat, mené des recherches et examiné des données pour évaluer la santé mentale des jeunes confrontés au changement climatique… Il a apporté un témoignage d'expert sur les préjudices physiologiques causés par le changement climatique aux jeunes du Montana, les préjudices psychologiques causés par la limitation du code (MEPA), et la disponibilité de remèdes pour atténuer les préjudices psychologiques des plaignants ». Ces aspects scientifiques présentés, la cour décrira les effets négatifs sur les droits des requérants (7) de manière précise.

2. Les effets négatifs du changement climatique sur le droit à un environnement sain

La cour affirme d'abord que les requérants ont bien un intérêt à agir (8)  : « Les jeunes plaignants ont subi des préjudices passés et présents résultant de l'incapacité de l'État à prendre en compte les GES et le changement climatique, y compris des préjudices pour leur santé physique et mentale, leurs maisons et leurs biens, leurs intérêts récréatifs, spirituels et esthétiques, leurs traditions tribales et culturelles, leur sécurité économique et leur bonheur ».

La cour précise ensuite qu'ils ont prouvé les préjudices subis (9)  : « Les atteintes à la santé mentale des plaignants résultant des effets du changement climatique sur l'environnement du Montana, des sentiments tels que la perte, le désespoir et l'anxiété, sont des préjudices identifiables. Chaque tonne supplémentaire d'émissions de GES aggrave les préjudices des plaignants et risque d'entraîner des préjudices climatiques irréversibles. Les préjudices subis par les plaignants deviendront de plus en plus graves et irréversibles si des mesures scientifiques ne sont pas prises pour lutter contre le changement climatique. Les plaignants ont prouvé qu'en tant qu'enfants et jeunes, ils subissent de manière disproportionnée les effets de la pollution par les combustibles fossiles et les impacts climatiques. Les plaignants ont prouvé qu'ils ont subi des préjudices concrets, particuliers et distincts de ceux du public en général ».

De ces différents dommages et préjudices reconnus, la cour en dégagera un droit constitutionnel fondamental : le droit à un environnement sain, lequel, explique-t-elle, a été violé par une série d'agissements de la part de l'État découlant de l'application de dispositifs législatifs spécifiques.

II. La violation du droit à un environnement sain

La violation du droit à un environnement sain est déduite par les juges à partir du contenu des dispositions législatives n'imposant pas la nécessité d'évaluer les impacts des émissions de GES (1). Sur cette base, la cour dégagera la violation des droits constitutionnels dont le droit à un environnement sain (2).

1. Le fondement de la violation du droit à un environnement sain

En 2011, le législateur du Montana avait modifié le code de l'environnement (MEPA (10) ) afin de limiter la portée des évaluations environnementales en adoptant une limitation qui interdit les autorités pertinentes de prendre en compte dans leurs évaluations « les impacts réels ou potentiels au-delà des frontières du Montana (11)  ». Le législateur a adopté des amendements visant à clarifier cette disposition en 2023. Le gouverneur a signé la loi de clarification, HB 971, le 10 mai 2023. La limitation MEPA prévoit désormais que les agences du Montana n'ont pas le droit d'envisager (12) « une évaluation des émissions de gaz à effet de serre et des impacts correspondants sur le climat dans l'État ». De plus, il a été promulgué une nouvelle disposition (13) , qui élimine les recours préventifs et équitables pour les parties au MEPA qui soulèvent des questions relatives aux GES ou au changement climatique. Les requérants, estimant que ces différentes dispositions violaient la Constitution du Montana et plus spécifiquement leur droit à un environnement sain, souhaitaient que la cour se prononce de manière précise sur cet aspect.

2. La violation des droits constitutionnels environnementaux

La cour explique d'abord que la limitation imposée par le code empêche les défendeurs de prendre des décisions documentées sur la portée et l'ampleur des impacts sur l'environnement et sur les enfants et les jeunes du Montana lorsqu'ils procèdent à des évaluations environnementales. De plus, les articles § 75-1-201(6)(a)(ii) du Montana Code Annoted limitent l'autorité des tribunaux (14) lors de l'examen des décisions d'autorisation des agences et des analyses environnementaux.

Ensuite, c'est la relation de causalité entre les dommages causés et les actes des défendeurs qui sera soulignée par la cour (15)  : « Il existe un lien relativement évident entre la limitation de la MEPA et l'autorisation par l'État des émissions de gaz à effet de serre résultant de l'utilisation de combustibles fossiles, qui contribuent aux préjudices des plaignants et les aggravent. Il existe un lien relativement évident entre le fait que l'État ne tienne pas compte des émissions de GES et du changement climatique, conformément à la limitation imposée par la MEPA et les émissions de GES sur lesquelles l'État a un contrôle, les impacts du changement climatique et les préjudices des plaignants ».

Non seulement la cour reconnaîtra le lien « relativement évident » entre l'interdiction d'évaluer l'impact des émissions de GES et les préjudices causés, mais, allant encore plus loin, les juges soulignent un comportement fautif de la part des autorités publiques au mépris des droits protégés par la constitution.

III. L'inconstitutionnalité des dispositifs législatifs à l'encontre des droits environnementaux

La cour expliquera ainsi que si la limitation du code MEPA est déclarée inconstitutionnelle (1), l'État sera en mesure de prendre en compte les émissions de GES et les impacts des projets sur le changement climatique (2).

1. L'inconstitutionnalité partielle des lois contraires au droit à un environnement sain

La cour déclare d'abord que l'application par les défendeurs de la limitation MEPA lors de l'examen environnemental des projets de combustibles fossiles et d'émissions de GES empêche la disponibilité d'informations vitales qui permettraient aux défendeurs de se conformer à la Constitution du Montana et d'empêcher la violation des droits des plaignants. L'État, expliquent les juges (16) , « autorise des projets et des installations énergétiques dans le Montana qui émettent des niveaux substantiels de pollution par les GES, y compris, mais sans s'y limiter, des projets qui brûlent et encouragent l'utilisation de combustibles fossiles. Or, conformément à la limitation MEPA, les défendeurs ne prennent pas en compte le changement climatique et les émissions de GES et ne mesurent pas ces émissions individuelles et cumulatives par rapport aux normes que la Constitution du Montana impose à l'État pour protéger les droits de la population, avant d'autoriser des projets et des installations énergétiques. [AH 818:25-819:10, 19 824:8-825:3 ; AH-51-AH-60] ». De ce fait, conclut la cour (17) , « la limitation du MEPA empêche le respect et la protection des droits constitutionnels ». Pour les juges, en effet, la limitation du MEPA empêche que d'autres types d'énergie alternatives au fossile puissent être exploités. Ensuite, explique la cour, la Constitution prévoit la protection des enfants. Les droits des requérants doivent dès lors pouvoir être protégés suivant la Constitution, ce qui n'est pas possible si les dispositions de limitation imposées par le code MEPA continuent de s'appliquer (18) . Par conséquent, la déclaration d'inconstitutionnalité de la limitation MEPA constituerait une réparation partielle des préjudices subis par les plaignants, car la quantité d'émissions supplémentaires de GES émises dans le système climatique aujourd'hui et au cours de la prochaine décennie aura une incidence sur la gravité à long terme du réchauffement et sur la gravité des préjudices subis par les plaignants (19) .

2. Les obligations positives de l'État à l'appui du droit à un environnement sain

En jugeant contraires à la Constitution les dispositions du code, explique la cour, l'État retrouvera « sa fonction » de protection des citoyens (20) , en pouvant exercer de manière discrétionnaire son contrôle sur les activités énergétiques et leurs impacts concernant le changement climatique. L'État, explique la Cour, doit « avoir le pouvoir discrétionnaire de refuser les permis pour les activités liées aux combustibles fossiles lorsque ces activités entraîneraient des émissions de GES qui causent une dégradation et un épuisement inconstitutionnels de l'environnement et des ressources naturelles du Montana ». Ou alors, dit la cour « les lois autorisant les permis doivent être déclarées inconstitutionnelles (21) ».

Le législateur « est tenu, en vertu de l'article IX, section 1(3) (22) , de fournir des recours adéquats pour protéger le système de maintien de la vie dans l'environnement contre la dégradation et d'empêcher l'épuisement et la dégradation déraisonnables des ressources naturelles ». La cour conclut ainsi que « le droit des Montaniens à un environnement propre et sain est complété par une obligation positive de la part du gouvernement de prendre des mesures actives (23) pour rendre ce droit effectif ». Les juges n'hésitent dès lors pas à déclarer que « sans mécanisme permettant d'empêcher un projet d'aller de l'avant, tant qu'une violation de la MEPA n'a pas été corrigée, le rôle de la MEPA dans le respect des obligations constitutionnelles de l'État en matière d'anticipation et de prévention est réduit à néant (24)  ». Et à la cour de dire ensuite (25) , « le rôle de l'État est « d'anticiper et de prévenir » que les droits reconnus par la constitution et les obligations qui en découlent ne soient pas anéantis ». `

La Constitution du Montana, poursuit la décision, contient la doctrine du Public Trust (26) selon laquelle l'État a l'obligation d'adopter les mesures nécessaires afin de prévenir des futurs dommages à l'environnement. De ce fait, la limitation imposée par le code MEPA doit être soigneusement examinée car elle implique la violation des droits fondamentaux des requérants, dont notamment le droit à un environnement sain.

La cour conclut dès lors à la partielle incompatibilité des dispositions du code MEPA avec la Constitution. Elle explique que la dialectique « de protection et de prévention » indique clairement que l'État du Montana doit interdire toute mesure contraire à cette dynamique (27) .

1. Rikki Held et al. V. State of Montana, Montana first Judicial District Court Lewis and Clark County, 14 août 2023, n° CDV-2020-3072. Ibid., Findings on Fact, pts 5 à 9, pt. 1023. Ibid., pts 69 à 994. Ibid., pts 83 à 93

5. Ibid., pts 93 à 99, pts 117 et suiv., pts 140 et suiv., pts 171 à 1936. Ibid., pts 100 et suiv.7. Ibid., pts 194 et suiv.8. Ibid., Conclusions for Law, pts 17 et suiv.9. Ibid., pts 20 et suiv.10. Montana Environmental Policy Act11. Rikki Held et al. V. State of Montana, op. cit., Conclusions for Law, pts 16 et suiv.12. Ibid.13. Mont. Code Ann. 75-1-201(6)(a)(ii)14. Rikki Held et al. V. State of Montana, op. cit., Conclusions for Law, pts 256 et suiv.15. Ibid., pts 209 à 23716. Ibid., pts 237 à 26817. Ibid., pts 269 et suiv.18. Ibid., pts 59 et suiv.19. Ibid., pts 44 et suiv.20. Ibid., pts 45 et suiv.21. Ibid., pts 43 et suiv.22. Ibid., pts 50 et suiv. ; MEPA, Art. IX, Sec. 1(3)23. Ibid., pts 55 et suiv. : « L'article IX, § 1, sous-sections 1 et 2 de la Constitution du Montana dispose que le législateur 24. Ibid., pts 60 et suiv.

25. Ibid., pts 59 et suiv.26. La doctrine du Public Trust dans le droit de l'environnement des États-Unis est un principe juridique établissant que certaines ressources naturelles et culturelles sont préservées pour l'usage public. Les ressources naturelles détenues en fiducie peuvent être des eaux navigables, des espèces sauvages ou des terres, ou encore l'air et l'atmosphère. V. Lazarus R., Changing Conceptions of Property and Sovereignty in Natural

Resources Law: Questioning the Public Trust Doctrine, Georgetown University Law Center, 71 Iowa L. Rev. 631-716, 1986
27. Rikki Held et al. V. State of Montana, op. cit., Order, pts 6 à 12

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