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Hydrogène vert, jaune, rose ou même blanc : structuration du régime juridique du soutien à la production

Le décret relatif au dispositif de soutien à la production de certaines catégories d'hydrogène institue un nouveau mécanisme d'appels à projets, bénéficiant à la production d'hydrogène bas carbone et décarboné. Mais plusieurs défis restent à relever.

DROIT  |  Commentaire  |  Energie  |  
Droit de l'Environnement N°325
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°325
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Hydrogène vert, jaune, rose ou même blanc : structuration du régime juridique du soutien à la production
Eran Chvika et Charles Bressant
Respectivement avocat associé et avocat chez Pinsent Masons France LLP
   

Depuis plusieurs années, l'hydrogène décarboné ou bas carbone attire les industriels. Présenté comme une opportunité pour la décarbonation de plusieurs filières industrielles, notamment celles du transport ou de production d'engrais, ses utilisateurs potentiels se tiennent prêts au déploiement d'unités de production décarbonées. Le besoin en la matière est avéré, dans un contexte où 900 000 tonnes d'hydrogène, majoritairement carboné, sont consommées annuellement en France, engendrant le rejet d'environ 9 000 000 de tonnes de CO2 chaque année.

Mue par une volonté d'être à l'avant-garde de la transition industrielle, et constatant certainement aussi un levier d'action pour la diminution du rejet de CO2 dans l'atmosphère, la France s'est fixé, fin 2019, un objectif de production d'hydrogène bas carbone et renouvelable représentant 20 à 40 % des consommations totales d'hydrogène, notamment industriel et de transport à l'horizon 2030. Fin 2021, le Gouvernement a annoncé un objectif de 6,5 gigawatts (GW) d'électrolyseurs installés en 2030. Cet objectif est particulièrement ambitieux, en comparaison avec l'Allemagne, mais reste conservateur face au Royaume-Uni, qui se sont respectivement fixés un objectif à 5 GW et à 10 GW à la même échéance. En pratique, le Gouvernement de l'époque s'était engagé sur un plan d'investissement de 7 milliards d'euros sur 10 ans au soutien de l'hydrogène décarboné, dont 4 milliards serviront à financer les aides attribuées à l'issue des appels à projets, ainsi que l'a confirmé la ministre de la Transition énergétique à la fin du mois d'août 2023. L'État a identifié un potentiel global d'environ 1 GW de capacité, d'ici 2026, avec la désignation de 150 mégawatts (MW) en 2024, 200 MW en 2025 et 600 MW en 2026. Si ce calendrier est tenu, gageons que cette première enveloppe enclenchera une dynamique solide et pérenne en la matière.

Côté amont, les filières de production d'hydrogène décarboné ou bas-carbone ont longuement attendu du pouvoir réglementaire des mesures concrètes d'application de ces signaux positifs, incitatrices du déploiement d'unités de production. Si certains acteurs comme Lhyfe ou Hynamics ont pu développer localement des unités pilotes en France et à l'étranger, le déploiement massif de l'hydrogène décarboné à l'échelle nationale reste quelque peu suspendu à la mise en place de politiques publiques incitatives. La publication au Journal Officiel du 3 septembre dernier du décret du 1er septembre 2023 relatif au dispositif de soutien à la production de certaines catégories d'hydrogène, et la mise en place prochaine des dispositifs de soutien par l'intermédiaire d'appels à projets, à l'instar de ce qui a été pratiqué notamment pour l'éolien et le solaire, devraient en constituer une étape importante.

Avant d'explorer les utilisateurs potentiels de cet hydrogène dit décarboné, notamment dans le transport, il est d'abord crucial d'en déterminer, non pas la couleur, mais la méthode de production. En effet, alors que la terminologie relative à l'hydrogène confinait au pantone de couleurs, l'ordonnance du 17 février 2021 est venue ajouter au code de l'énergie une définition de l'hydrogène et de ses modalités de production.

Préférant des définitions textuelles à des couleurs, l'hydrogène communément appelé « vert » est défini comme étant obtenu essentiellement par électrolyse ou en utilisant de l'électricité issue de sources d'énergies renouvelables. L'hydrogène obtenu grâce à un procédé de production engendrant des émissions de CO2 qui demeurent inférieures à un certain seuil est qualifié de bas carbone. Il correspond, en pratique, à l'hydrogène produit avec du nucléaire. Il est parfois appelé hydrogène « jaune » ou « rose ».

Une nouvelle couleur a récemment fait son apparition en France avec la découverte, en Lorraine, de gisements d'hydrogène naturellement présent dans le sous-sol et ne nécessitant donc aucun procédé industriel de transformation. Parfois appelé hydrogène « natif » ou hydrogène « blanc », il devrait se développer en parallèle du dispositif juridique du code de l'énergie, qui porte sur de l'hydrogène produit par intervention humaine, c'est-à-dire après mise en place d'un procédé industriel.

Avec l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 17 février 2021 (1) figurait une promesse : la mise en place d'un dispositif de soutien pour la production d'hydrogène renouvelable ou bas carbone à partir d'électrolyse de l'eau. Le dispositif vise à faire bénéficier les unités de production d'hydrogène renouvelable ou bas carbone implantées en France, d'une aide au fonctionnement ou d'une aide à l'investissement. L'ordonnance, désormais codifiée dans le code de l'énergie, renvoyait à un décret le soin de définir les procédures de mise en concurrence permettant l'attribution de ces aides.

Plus de deux ans après l'entrée en vigueur de cette promesse, l'État a conduit une concertation publique du 31 mai au 3 juillet 2023 au sujet du projet de décret pris en application de l'ordonnance précitée et établissant la procédure d'attribution des « subventions » pour la production d'hydrogène décarboné.  Durant cette consultation, 34 observations ont été déposées, témoignant de l'intérêt porté à ce projet de décret. Deux mois, jour pour jour, après la clôture de la consultation, le décret fut publié au Journal officiel, instituant donc un nouveau dispositif d'appels à projets, bénéficiant à la production d'hydrogène bas-carbone et décarboné.

Plusieurs enseignements peuvent déjà être tirés de ce décret.

Tout d'abord, patience est mère de vertu, puisque l'État a mis plus de deux ans à conduire une concertation sur le projet de décret, et donc plus de deux ans à l'adopter. Il aura fallu s'armer de patience pour délimiter les premiers contours de cette procédure de mise en concurrence pour l'attribution des aides à la production d'hydrogène bas carbone ou décarboné. Une telle attente reste notable, en dépit de la complexité, évoquée par l'État au cours de la consultation publique, à élaborer une procédure de mise en concurrence pour une filière qui n'en avait jusqu'alors jamais connue. Ce décalage est d'autant plus marqué que l'État dispose désormais d'une expérience significative depuis les premières attributions, à l'issue d'appels d'offres, des mécanismes de tarif d'achat puis de complément de rémunération pour les technologies éoliennes et solaires. L'importance d'une publication « rapide »du décret avait d'ailleurs été soulignée lors de la concertation publique sur le projet, confirmant bien l'attente dans laquelle se trouvent les acteurs de la filière. La publication du décret est de plus talonnée par la mise en opération de la Banque européenne d'hydrogène, dotée d'un budget de 3 milliards d'euros, dont 800 millions seront attribués à l'issue d'appels d'offres européens, dès l'automne 2023.

Les termes de la consultation étaient également significatifs. Celle-ci traitait de l'attribution de « subventions », rappelant s'il le fallait que les projets de production d'hydrogène ainsi soutenus étaient des projets d'intérêt général. Ce terme n'est pas repris dans le décret, préférant le vocable plus neutre de « dispositif de soutien ». La consultation faisait également référence générale à la production d'hydrogène « décarboné », englobant donc sous un « terme enveloppe » l'hydrogène renouvelable et l'hydrogène bas carbone, alors que l'ordonnance distingue entre ces deux modes de production. L'on pouvait déjà relever, au cours de la consultation, une lecture globalisante selon laquelle l'hydrogène, défini par la loi comme bas-carbone ou renouvelable, eut été, dans le décret d'application, uniquement « décarboné ». Instituée ainsi, cette équivalence aurait presque confiné à la fiction juridique où bas carbone serait totalement décarboné, tant que l'on reste en-deçà d'un certain seuil, ce bien sûr afin de permettre à l'hydrogène produit à partir d'électricité nucléaire de participer aux appels à projets. L'État affirmait d'ailleurs, au cours de la consultation publique sur le projet de décret, que l'on entendait par hydrogène décarboné de l'hydrogène « tant bas carbone que renouvelable ». Là où la loi distingue, la consultation généralisait. Le décret n'a pas non plus retenu ce « terme enveloppe », évitant ainsi l'emploi de termes fourre-tout potentiellement générateurs de confusion entre l'hydrogène bas-carbone et l'hydrogène décarboné.

Les modalités de conduite des procédures de mise en concurrence sont également riches en enseignements. Tout d'abord, on constate que la procédure sera conduite par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et non par la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Le décret prévoit néanmoins la saisine préalable de la CRE sur le document de consultation, laquelle dispose d'un mois pour donner son avis sur celui-ci. L'expérience de la CRE acquise des procédures d'appels d'offres en matière d'énergie renouvelable constituera sans aucun doute un soutien utile à la bonne conduite des appels à projets pour l'hydrogène bas-carbone ou décarboné. On relève, par exemple, que l'appel à candidature est publié au Journal officiel de l'Union européenne, ce qui résulte directement d'une recommandation de la CRE.

Une fois l'avis de la CRE obtenu sur le document de consultation, l'appel à projets peut ensuite être ouvert.

Le pouvoir réglementaire a opté pour une procédure qui sera réalisée soit en deux temps autour d'une phase de sélection puis de désignation, soit en trois temps avec l'ajout d'une étape intermédiaire de dialogue concurrentiel durant laquelle le contenu du cahier des charges est établi en lien avec les candidats retenus. Ce choix de procédure signifie donc d'une part, qu'un filtrage des candidats éligibles sera réalisé au cours de la première phase de sélection, et, d'autre part, qu'il n'est pas attendu que le contenu du cahier des charges soit arrêté dès le lancement de la procédure. En effet, que l'on soit en appel d'offres en deux phases ou en dialogue concurrentiel, le cahier des charges est « élaboré »au moment de la phase de désignation. Le dialogue concurrentiel servant essentiellement à obtenir l'analyse des candidats retenus sur son contenu. Cette procédure n'est pas sans rappeler le dialogue concurrentiel existant et utilisé notamment pour les appels d'offres portant sur l'éolien en mer, dont l'objet est de définir ou développer les solutions de nature à répondre aux besoins. Consultée sur le projet de décret, la CRE avait, dans une délibération du 23 mars 2023, critiqué la possibilité de recourir au dialogue concurrentiel, considérant, à la lumière du délai constaté pour l'éolien en mer, qu'une telle procédure est « de nature à considérablement allonger les délais de désignation des candidats ». La CRE n'a pas été suivie sur ce point, ce qui paraît compréhensible d'un point de vue technique, dans le contexte d'une procédure encore inédite pour la filière hydrogène. Du point de vue du calendrier cependant, il est vrai que la conduite d'un dialogue concurrentiel risquerait d'allonger une procédure de sélection qui peut déjà durer jusqu'à 11 mois si elle est conduite en deux temps -donc sans dialogue concurrentiel.

Sur le fond, avec la possibilité de recourir au dialogue concurrentiel, l'État appelle les acteurs à l'assister dans la définition du besoin et des solutions, confirmant le caractère novateur et inédit de la mise en concurrence pour cette industrie. En matière de soutien à la production d'hydrogène, on peut par exemple s'attendre à ce que le dialogue permette une identification des secteurs pouvant être décarbonés, des usages multiples à inciter, et des modalités d'utilisation d'hydrogène dans ces secteurs. Le décret prévoit ainsi que les usages auxquels l'hydrogène peut être destiné sont définis au cours du dialogue concurrentiel, si l'État décide d'en conduire un.

Outre le filtrage opéré dans la phase de sélection des candidats, le cahier des charges à intervenir devrait également limiter les candidatures aux seuls candidats ayant déjà avancé dans le développement de leur projet au regard, par exemple, de la contractualisation de leurs droits fonciers, de la détention d'autorisations administratives, ou de la sécurisation de premiers éléments contractuels relatifs au raccordement de l'installation.

Ajoutons également que le cahier des charges qui sera élaboré par l'État devra fixer les usages auxquels l'hydrogène peut être destiné. Le choix du verbe pouvoir tend à indiquer qu'un candidat qui proposerait d'autres usages ne serait pas pour autant exclu de la procédure pour ce seul fait. Au cours de la consultation publique, l'État a indiqué qu'il entendait favoriser la mutualisation des usages de l'hydrogène produit, mis au service de plusieurs industries, plutôt qu'un usage unique. Nul doute qu'en cas de pluralité des usages, les modalités de répartition de l'hydrogène produit par lauréat devront être rigoureusement définies. D'autre défis se présenteront également, comme la priorisation des usages en cas de disponibilité réduite.

La publication du décret pour le soutien à la production d'hydrogène bas carbone ou décarboné était espérée par les acteurs de l'hydrogène, c'est désormais chose faite. La mise en place rapide des appels à projets est désormais attendue, afin de favoriser le déploiement de ces capacités de production, également désirées par les industriels qui pourraient en être les consommateurs. Plusieurs défis restent à relever, notamment en matière de calendrier de consultation sur le cahier des charges et d'intensité des appels d'offres une fois celui-ci établi. Les modalités de répartition et de priorisation des usages pour les productions à usage multiple seront également d'importance. La soumission de tous les candidats, quelle que soit la capacité de leur projet, à un seul et même appel d'offres, sans distinction de capacité, sera aussi porteuse de défis. La prise en compte des différentes tailles de producteurs, les modalités de production, la quantité qu'ils peuvent produire et la diversité des structures de coût pour se faire seront particulièrement épineuses dans l'élaboration du classement des candidats. Scinder les appels à projets en plusieurs catégories de capacité aurait été souhaitable, en ce que cela permettrait certainement à un plus grand nombre d'acteurs de se porter candidat et surtout de déposer une offre attractive face à des compétiteurs de même taille. Des adaptations seront peut-être décidées sur le tard, si des difficultés étaient effectivement constatées.

1. Ibid.

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