Jeudi 16 août 2012, Willy De Roovere, le directeur général de l'Agence fédérale belge de contrôle nucléaire (AFCN), a jugé "très difficile" le redémarrage du réacteur numéro 3 de la centrale de Doel (Flandre), après la découverte de potentielles fissures sur la cuve de l'unité exploitée par Electrabel, la filiale de GDF Suez.
Il a expliqué "[ressentir] un sentiment de malaise en raison du grand nombre de ces défauts", rapporte l'AFP. "Ce sont ces indications de défauts que nous prenons très au sérieux", a-t-il indiqué, ajoutant que "le réacteur n°2 de Tihange [Wallonie] est depuis aujourd'hui à l'arrêt [et] subira le même type d'inspection que le réacteur de Doel 3 car la cuve a en effet été forgée par le même fabricant (Rotterdamsche Droogdok Maatschappij)". En effet, l'AFCN estime que de tels défauts sont en principe liés à la construction et non pas au vieillissement de la cuve.
Le directeur général de l'AFCN s'exprimait à l'issue d'une réunion technique, tenue à Bruxelles (Belgique) à l'initiative de son Agence et rassemblant des experts américains, français, suisses, suédois, hollandais, allemands, espagnols et britanniques. "L'objectif de la réunion technique était bien une prise de connaissance de la situation, pas une prise de décision sur l'avenir de Doel 3", a insisté Willy De Roovere, ajoutant qu'une seconde réunion aura lieu à dans le courant du mois d'octobre.
Elle est constituée de viroles (des anneaux métalliques), de brides (des pièces de jonction entre les viroles et le fond de cuve et le couvercle) et de tubulures forgées et usinées indépendamment. Ces pièces sont soudées entre elles et protégées de la corrosion par un revêtement mince (environ 7 millimètres) en acier inoxydable déposé par soudage sur la surface intérieure, généralement en deux couches.
Ce sont des indications de fissures découvertes dans des centrales nucléaires françaises qui ont conduit la Belgique à approfondir ses propres contrôles, a expliqué jeudi l'AFCN. En l'occurrence, "des indications de fissures, perpendiculaire à la surface, soit celles qui sont dangereuses" ont été découvertes lors de contrôles effectués en 2004 sur un réacteurs de la centrale de Tricastin (Drôme), a expliqué Willy De Roovere. Ces microfissures sont situées entre le métal de base de la cuve et la couche interne d'acier inoxydable (cf encadré).
Cette découverte a alerté les autorités belges qui ont entrepris de réaliser en juin 2012 des mesures sur la cuve de Doel 3 en utilisant un nouveau type de capteurs ultrasoniques. Ces contrôles, effectués par Intercontrole, filiale du groupe Areva spécialisée dans l'inspection des cuves, et d'AIB Vinçotte International, en tant qu'Inspecteur agréé en charge de la validation, ont révélé les défauts sur la cuve du réacteur de 1003 mégawatts (MW) mis en exploitation en 1982. La cuve souffrirait dans sa partie inférieure d'environ 8.000 fissures de quelque 20 milimètres de long.
L'AFCN précise que ces fissures seraient laminaires, c'est-à-dire parallèles à la paroi de la cuve, contrairement à celles détectées en France et présenteraient donc moins de risques puisqu'elles ne sont normalement pas sujetes à des tensions.
37 défauts contre 10.000
Les situations sont-elles comparables ? "La réponse est non", a indiqué le directeur général de l'AFCN, précisant que son Agence "[a] découvert autre chose". Contactée par Actu-environnement, l'Autorité de sûreté nucléaire française (ASN) confirme cette analyse. "Les réacteurs français ne présentent pas de défauts comparables à ceux constatés à Doel", indique Sébastien Crombez, directeur des équipements sous pression à l'ASN, confirmant "que des défauts de fabrication ont été constaté sur certaines cuves françaises sous le revêtement interne en acier inoxydable".
Concrètement, les cuves françaises sont contrôlées par ultrason depuis le début des années 1990, explique le responsable de l'ASN, précisant qu'il s'agit d'"une particularité française". En vingt ans, ces analyses ont fait apparaître 37 microfissures sur 12 des 58 cuves du parc électronucléaire français, la plus affectée étant celle du réacteur 1 de Tricastin qui compte 20 des 37 défauts. La particularité de la situation belge est qu'une seule cuve présente quelque 10.000 microfissures principalement concentrées sur une même virole.
Par ailleurs, Sébastien Crombez rapporte que les défauts français font l'objet d'un suivi régulier et qu'aucune détérioration n'a été enregistrée jusqu'à maintenant. Enfin, en novembre 2010, l'ASN a publié une note d'information relative à l'aptitude au service pour 40 ans des cuves des réacteurs de 900 MW de puissance. "Il existe (…) des dossiers spécifiques pour les [9 cuves des réacteurs de 900 MW] sur lesquelles [33] défauts ont été mis en évidence lors des inspections en service", indique la synthèse du rapport du Groupe permanent d'experts pour les équipements sous pression nucléaire, ajoutant que "ces dossiers correspondent à une démarche de justification réaliste".
L'ONG Greenpeace a cependant une vision différente. "Depuis que des fissures auraient été identifiées dans la cuve du réacteur de Doel 3, les régulateurs de différents pays ont des positions différentes quant à la présence de fissures dans d'autres réacteurs et leurs risques potentiels", estime Greenpeace Belgique, déplorant que l'"ASN (…) déclare avoir connaissance de la présence de fissures dans plusieurs réacteurs français, mais estime qu'il ne s'agit pas là d'une raison suffisante pour les fermer, même si certaines de ces fissures se trouvent dans des zones dangereuses".
Electrabel devra défendre son réacteur
Dans ce contexte, l'AFCN a pris contact avec les autorités de sûreté nucléaire de différents pays afin d'échanger des informations et de l'expérience à ce sujet. Vingt-et-une cuves de ce type existeraient de par le monde, précise l'AFCN. De même, l'AFCN annonce avoir eu plusieurs réunions de concertation avec Electrabel afin de rassembler davantage de renseignements.
L'AFCN demande tout d'abord à Electrabel de réaliser une investigation en profondeur du dossier de construction originel de la cuve du réacteur pour contrôler s'il s'agit de défauts de fabrication. Ensuite l'Autorité attend une investigation au niveau métallurgique pour détecter la cause et l'explication des éventuels défauts de fabrication. Enfin, un dossier complet de justification dans le cadre d'un redémarrage est attendu.
Globalement, Electrabel devra démontrer que les défauts constatés ne représentent aucun danger pour l'intégrité structurelle de la cuve du réacteur. "Cela va être difficile à prouver", prévient Willy De Roovere, stipulant que "si on considère que ça ne passe pas, alors on arrête définitivement le réacteur". Concrètement, la décision finale de l'AFCN se basera sur l'évaluation de sûreté du dossier complet, sur les avis de son conseil scientifique et sur un audit international.