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Le droit de l'environnement « déconstruit » !

Le mouvement actuel de déconstruction du droit de l'environnement par le législateur conduit à une démocratie et une justice environnementales malmenées au bénéfice de procédures simplifiées aux fins d'accélération des chantiers industriels.

DROIT  |  Tribune  |  Gouvernance  |  
Droit de l'Environnement N°324
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°324
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Le droit de l'environnement « déconstruit » !
Rémi Radiguet
Maître de conférences en droit public, Université de Perpignan Via Domitia, CDED YS (UR 4216), chercheur associé à l’IMH, Université Toulouse Capitole et au CRJ, Université de La Réunion
   

« Ce qui repousse partout ne peut être dissout » [sic]. Ainsi s'exprimaient sur le réseau social à l'oiseau bleu, entre autres, les responsables du mouvement « Les soulèvements de la Terre », après la dissolution de ce « groupement de fait » par décret du 21 juin 2023 au motif que « sous couvert de défendre la préservation de l'environnement et de se présenter comme un mouvement militant, ce groupement incite à la commission de sabotages et de dégradations matérielles, y compris par la violence (…), prônant l'action directe et justifiant les actions extrêmes allant jusqu'à la confrontation avec les forces de l'ordre ».

Sans entrer dans le débat de la prétendue « instrumentalisation » faite par le Gouvernement de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure pour réprimer les mouvements écologistes ou de la pertinence de la « violence légitime » (1) incitée par ces mouvements dans un État de droit, cet évènement d'actualité met la lumière sur la radicalisation de la contestation environnementale qui a court depuis les fameuses « zones à défendre » (ZAD), dont l'emblématique « Notre-Dame-des-Landes » et qui ne cesse de se développer sous des formes diverses.

Analyser rétrospectivement pour comprendre et s'attaquer aux causes de cette radicalisation dans une démarche préventive plutôt que de l'attiser par une démarche répressive confine au bons sens qui devrait guider l'action publique. Une telle démarche inviterait indéniablement à interroger notre « démocratie environnementale », afin de se pencher sur l'efficacité des dispositifs juridiques devant permettre une acceptabilité sociale des politiques publiques environnementales à mener pour assurer une transition écologique, transition qui ne peut advenir sans l'assentiment et la participation de la population. Cet examen de conscience conduirait assurément à un bilan de santé peu réjouissant pour un droit de l'environnement dont certains responsables politiques invitent à prendre congé, le temps d'une « pause réglementaire voulue », qu'il ne rechignerait pas tant elle serait méritée.

Parce que derrière notre Charte « constitutionnelle » de l'environnement, qui reconnaît « la préservation de l'environnement » comme un intérêt fondamental de la Nation tout en proclamant le couple droit de l'homme à l'environnement (art. 1er) et devoir de celui-ci envers la préservation et à l'amélioration de l'environnement (art. 2), le mouvement législatif effréné en matière environnementale, s'il conduit ci et là à quelques innovations bienvenues pour l'environnement, se traduit aussi par une déconstruction sans précédent de ce droit sous le doux slogan de la modernisation, simplification et accélération.

De haute technicité, les atteintes au droit de l'environnement sont subreptices car elles sont effectuées par à-coups législatif sur des « procédures » et non sur « le fond » du droit, sous-entendant une certaine déconnexion entre l'un et l'autre. Pourtant au titre des procédures, c'est bien l'instruction des projets industriels, dont l'acceptabilité sociale peut être discutée du fait de leur fort impact environnemental, qui est fortement remaniée. Or, en son sein, s'y trouvent les procédures environnementales, dont l'étude d'impact des projets sur l'environnement et l'enquête publique, garantes respectivement de la mise en œuvre du principe de prévention des atteintes à l'environnement et du principe de participation du public au processus décisionnel en matière environnementale consacrés par la Charte de l'environnement. On assiste dès lors à un rabotage continu des procédures environnementales aux motifs d'accélération et de simplification des chantiers industriels en jouant sur « l'instruction » de ces projets.

Le paroxysme de ce rabotage est d'avoir réussi, dès 2014, le tour de force de réunir, au nom de la simplification pour les entreprises, une multitude d'autorisations environnementales sous l'égide d'une seule – l'autorisation environnementale « unique » – au champ d'application qui ne cesse de croitre au fil des réformes pour atteindre un regroupement de 17 régimes juridiques différents, limitant une analyse minutieuse par les services administratifs et une participation effective du public, que l'on contraint tous deux par des délais d'instruction et de participation réduits. Cette dernière se réalisant au passage à l'ère de l'e-administration, par voie électronique - vitesse oblige -, rognant sur l'échange avec le public encadré par un commissaire enquêteur en charge de la rédaction d'un rapport.

En ne laissant ni le temps à une instruction sereine ni aux procédures de démocratie environnementale de faire leur œuvre, les projets subissent inévitablement un flot de contestations dont les voies de droit invitent à solliciter la justice en premier lieu la justice administrative. Bien conscient de cette soif de justice, qui constitue en soi la mission des associations agréées de protection de l'environnement en tant que « chiens de garde » de la démocratie environnementale, le législateur poursuit son office de déconstruction du droit de l'environnement sur la voie contentieuse.

La procéduralisation de nos autorisations environnementales autrefois distinctes par leur intégration sous le joug de l'autorisation environnementale « unique » constituait déjà un signe précurseur d'une déconstruction du fait du peu d'attention portée par le juge administratif quant à la légalité des « vices de procédures », vice qu'il ne retoque que lorsqu'il les considère comme « substantiels ». Parce que les recours contentieux semblent être considérés par le législateur comme synonymes d'une « perte de temps » plutôt qu'une expression démocratique non entendue par les pouvoirs publics, l'effectivité limitée des contentieux a amplement été renforcée par celui-ci. Au programme, on use des outils éprouvés du contentieux de l'urbanisme pour refreiner les recours des voisins récalcitrants. Réduire l'accès au juge et limiter les effets des illégalités constituent dès lors les ingrédients d'une formule miracle déployée pleinement à la matière environnementale, pourtant « patrimoine commun des êtres humains » et par voie de conséquence, revendicable par tous. En atteste la récente loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production des énergies renouvelables qui conforte le mouvement initié depuis une décennie, en ajoutant notamment de nouveaux régimes juridiques au champ d'application de l'autorisation environnementale « unique » tout en étendant le champ de la régularisation à ces actes, et à laquelle s'ajoutera assurément le projet de loi « industrie verte » qui sera examiné durant la période estivale.

Alors que sur le devant de la scène, certaines décisions du juge administratif ont été fortement médiatisées – affaires climatiques et contentieux de la pollution de l'air – comme attestant d'un « activisme » du juge administratif en la matière, aux conséquences pratiques pourtant limitées pour l'État condamné, en coulisse la justice environnementale du quotidien est malmenée. Alors oui, tenter de faire taire les mouvements écologistes qui se radicalisent en empruntant la voie de la censure plutôt que de chercher à supprimer le mal « à la racine » par le biais d'une démocratie environnementale restaurée, conduira à faire germer de nouvelles pousses réactionnaires !

1. Pour une analyse juridique sur le sujet : Drago G., Dissolution de l'association « Les soulèvements de la Terre » : La liberté constitutionnelle d'association face à l'ordre public, un combat inégal », Le club des juristes, 30 juin 2023

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