Classiquement, les évaluations des risques sanitaires (ERS) et des risques environnementaux (ERE) réalisées dans le cadre de la gestion des sites et sols pollués (SSP) s'effectuent à partir de la concentration totale des contaminants mesurés dans les sols. Des calculs assez conservateurs pouvant remettre en cause les projets de réhabilitation de certains sites : friches industrielles, terrains pollués, etc.
Depuis 2017, pour les contaminants métalliques, la méthodologie nationale de gestion des SSP considère que ces évaluations (ERS) peuvent également s'opérer à partir d'autres mesures – celles de la bioaccessibilité et de la biodisponibilité - et ce, pour mieux évaluer l'exposition des populations. Qualifiée d'« orale » quand elle s'applique à l'ingestion d'une matrice contaminée (de la terre, par ex.), la bioaccessibilité évaluée par une méthode d'essai en laboratoire permet de quantifier la fraction du polluant métallique pouvant être assimilée par l'organisme à la suite de la digestion, par solubilisation dans le tractus gastro-intestinal donc.
Simuler la contamination potentielle de l'organisme
La détermination de la bioaccessibilité orale est réalisée avec le test normalisé UBM [Unified Bioaccessibility Method, norme Iso 17924 (1) ], une méthode d'essai validée par rapport à un modèle in vivo et considérée comme la méthode de référence pour l'arsenic, le cadmium et le plomb – trois éléments métalliques toxiques que l'on trouve fréquemment dans les sites pollués. Concrètement, ce test simule la libération d'éléments métalliques contenus dans un sol lors du passage par la bouche, l'estomac et l'intestin grêle, grâce à une série d'extractions chimiques utilisant des sucs salivaires et gastro-intestinaux synthétiques.
Test UBM : un outil peu utilisé
Pour autant, cette méthode développée par le groupe Barge (the BioAccessibility Research Group of Europe) est « longue et coûteuse », souligne la scientifique, notamment parce qu'elle nécessite l'utilisation d'un grand nombre de réactifs, mais également un certain savoir-faire. Si bien qu'en France, les acteurs de la filière SSP (sites et sols pollués) ne se sont pas franchement appropriés cet outil et rencontrent des difficultés pour intégrer les valeurs de bioaccessibilité dans les ERS (lire l'encadré).
Comment développer l'usage de la bioaccessibilité ? En en simplifiant l'accès ! Tel était en tout cas l'objet du projet connu sous le nom de code Odessa (Optimisation de la gestion des sites et sols pollués par une mesure simple de bioaccessibilité), lancé par l'Ademe en août 2015 et achevé en février 2020. Piloté par Aurélie Pelfrêne, qui travaillait en partenariat avec l'École des hautes études en santé publique de Rennes (Ehesp), ce projet ambitionnait de proposer une méthode simplifiée au test UBM pour prédire la bioaccessibilité de l'arsenic, du cadmium et du plomb. « Nous avons testé plusieurs extractants chimiques et le grand vainqueur a été l'acide chlorhydrique (HCl) dilué, se souvient la chercheure. À l'issue de ce projet, j'ai présenté les résultats à l'Afnor, qui m'a recommandé de porter la normalisation de ce test à l'ISO (…). J'ai ainsi intégré en 2020 le groupe de travail à l'ISO TC190 SC7 WG4 "Human Exposure" et après plusieurs présentations et votes des pays concernés, mon projet de normalisation a été approuvé. Le processus est très long, nous arrivons bientôt au bout. »
Normaliser un test simplifiéCourse contre la montre
« Dans l'univers des SSP, note Stéphane Fievet, responsable R&D chez Wessling France qui est associé à la promotion de la bioaccessibilité dans l'Hexagone, les temps d'analyses sont critiques pour la gestion des flux de matière sur le terrain, et toute augmentation des délais représente des coûts et des contraintes techniques importantes. Aujourd'hui, un test UBM dure, entre la réception des échantillons et le rendu des résultats, environ un mois, à raison d'une capacité de gestion de dix échantillons par semaine. Le protocole simplifié HCl apporte un gain de temps, avec un rendu des résultats à moins de dix jours après réception, et avec la possibilité de traiter vingt à trente échantillons par jour. »
Pendant ce processus de normalisation, en juin 2022, l'idée a germé « de réaliser des essais interlaboratoires avec les pays impliqués dans le WG4 à l'ISO, ajoute Aurélie Pelfrêne. Ces essais sont en cours avec onze laboratoires participants regroupant la France, la Belgique, la Suède, l'Allemagne et l'Angleterre. » L'analyse des solutions produites dans le cadre de ces essais a été confiée au laboratoire Wessling de Saint-Quentin-Fallavier, en Isère. « Nous avons centralisé les analyses de plus de 500 extraits (…), envoyés par les dix autres laboratoires internationaux », précise Stéphane Fievet, responsable R&D de Wessling France. À raison de dix échantillons par laboratoire, sachant que parmi les onze participants à la validation de la méthode HCl simplifiée, huit ont également réalisé le test UBM afin de comparer les résultats, mais selon un protocole beaucoup plus lourd.
Afin d'éviter un biais de préparation, tous les échantillons à analyser ont été élaborés par Aurélie Pelfrêne. Ils ont ensuite été envoyés aux laboratoires, dont celui de Wessling en Isère, pour réalisation du test simplifié. Dans les grandes lignes, ce test consiste à verser une solution d'acide chlorhydrique diluée sur l'échantillon de terre, d'agiter pendant quinze minutes et de plonger le tout dans un bain à 37 °C pendant une heure, avant filtration pour retrait des particules de sols. Une moitié de chaque échantillon a été retournée à Wessling pour analyses – l'autre moitié étant conservée par les laboratoires partenaires pour qu'ils réalisent leurs propres mesures et confrontent leurs résultats à ceux du laboratoire français.
« Nous réalisons ces essais interlaboratoires pour voir comment ça répond, confie la chercheure. On espère que les onze laboratoires vont réussir à s'approprier le nouveau protocole, à le mettre en œuvre… Car la finalité [du test simplifié HCl, ndlr] n'est pas de remplacer le test UBM, mais de fournir une première prédiction afin de recommander ou non le test UBM sur un nombre d'échantillons plus restreints. »
Et dynamiser ainsi le recours à une approche – la mesure de la bioaccessibilité/biodisponibilité – qui permette de réhabiliter des sites aujourd'hui inexploitables en raison de teneurs en éléments métalliques incompatibles avec les usages.