
Chef du service des risques naturels et hydrauliques au Ministère de l'Ecologie
Actu-environnement : Les premières Assises nationales des risques naturels ont été organisées les 19 et 20 janvier derniers à Bordeaux. Quel bilan tirez-vous de ces deux jours de débat ?
Anne-Marie Levraut : Nous sommes satisfaits car il y a eu une forte participation. Les acteurs qui ont participé ont semble-t-il jugé intéressant et utile l'organisation de ces assises dont l'objectif était de partager les connaissances. Même si la France est un pays tempéré, au moins en métropole, et donc moins exposé à des catastrophes majeures comme en Chine ou dans des pays tropicaux, nous connaissons des événements plus ou moins importants qui peuvent avoir des conséquences graves, notamment au niveau local. L'objectif majeur de la prévention en la matière est donc de s'adapter au risque naturel. Et cette politique d'adaptation passe par une bonne connaissance et une bonne information des différents acteurs sur l'état des risques. Mais le risque c'est l'oubli. Si vous n'êtes pas confrontés régulièrement à ce genre d'événements, vous n'avez pas la possibilité d'acquérir une véritable expérience. Une étude allemande a ainsi montré qu'après un événement même majeur, les gens oublient au bout de sept ans si on n'a pas entretenu cette culture, cette mémoire… Tout l'enjeu est donc d'acquérir cette culture du risque.
AE : Quels ont été les principaux enseignements de ces assises ?
AML : À travers les prises de position des différents acteurs, on a pu sentir une volonté de travailler ensemble, de trouver des synergies nouvelles entre l'aménagement et la prévention et de décloisonner les visions. Mais les acteurs ont surtout exprimé le besoin d'avoir une réglementation minimum commune à tous, tout en laissant la place aux initiatives locales. Un certain nombre de collectivités ont en effet revendiqué le fait qu'elles voulaient être pleinement responsables et construire des solutions communes avec l'Etat. Et ça, c'est tout à fait encourageant pour aller dans le sens de la politique que nous voulons promouvoir qui est d'apprendre à vivre avec le risque.
AE : Les collectivités vous semblent-elles plus impliquées en matière de gestion des risques naturels ? Y a-t-il eu une prise de conscience dernièrement ?
AML : L'accumulation d'événements ces dernières années a en effet renforcé la prise de conscience au niveau des collectivités. En France, on a eu la chance d'avoir assez peu d'événements importants pendant plusieurs décennies. Mais depuis 15 ans, les événements se succèdent depuis les crues du Rhône en 93/94 jusqu'à maintenant, notamment dans les quarts sud-ouest et est de la France. Ces événements ont marqué l'opinion et les esprits.
Depuis 2002, à travers les appels à projets PAPI [Plan d'action de prévention des inondations], des collectivités nous présentent des bouquets d'action complémentaires qui visent à réduire les dégâts potentiels d'une inondation sur un territoire. Aujourd'hui, la tonalité générale est d'adhérer à ce type de démarche qui était réservé il y a quelques décennies à quelques collectivités particulièrement en pointe. Cette problématique est devenue beaucoup plus générale et nous sommes passés de "collectivités pilotes" à la généralisation de cette approche.
AE : Quel doit être l'état d'esprit d'une collectivité qui travaille sur ce sujet ?
AML : Ces assises des risques naturels ont été l'occasion de mettre en avant le concept du "GBS" pour "Gros Bon Sens". Il ne faut pas toujours chercher des choses compliquées mais essayer d'appliquer des solutions simples qui fonctionnent très bien. Il faut également laisser la place à l'initiative individuelle. Plusieurs pistes de réflexion ont été soulevées : faire respecter dans un premier temps la réglementation existante, par exemple, les plans communaux de sauvegarde ; apprendre à vivre avec et non contre l'inondation et articuler les politiques sectorielles. L'élu doit aborder le territoire dans son entier, sans cloisonnement même si la réglementation est assez cloisonnée. Le Plan de Prévention des Risques Naturels (PPRN) par exemple est un outil qu'il faut essayer de construire simultanément avec le Schéma de Cohérence Territoriale (SCOT) et le Plan de Prévention des Risques (PPR) pour avoir une vraie interaction. La préconisation est avant tout la co-construction des instruments en mettant en avant le "GBS".
AE : Où en sommes-nous dans la mise en place des PPRN ?
AML : Ca avance bien. Près de 9.000 ont été approuvés, y compris dans un certain nombre de grandes villes. Mais leur réalisation peut être longue car les sujets sont complexes et nous sommes toujours confrontés au problème de la connaissance des risques. Quels sont les scénarios de crues réalistes ? Quelles conséquences cela a sur les systèmes de protection, en termes de hauteur d'eau, de vitesse ? Les règles de prévention à prendre dépendent également des situations locales. Il y a des règles nationales qui interdisent d'urbaniser des zones vierges et potentiellement dangereuses mais dans les centres urbains denses, il est normal de faire des exceptions. Le cœur d'une ville comme Toulouse par exemple ne peut être changé. Dans ces zones il faut réfléchir aux moyens de réduire la vulnérabilité. Les PPRN sont donc réalisés pratiquement "sur mesure". Cela nécessite des analyses assez fines, surtout quand on est dans une grande ville avec des enjeux importants.
AE : L'Observatoire National des Risques Naturels proposé par le Comité d'Orientation pour la Prévention des Risques Naturels Majeurs et dont la création a été confirmée lors de ces assises verra-t-il le jour prochainement ?
AML : L'Observatoire est en cours de conception depuis début janvier. Nous sommes encore dans une phase expérimentale qui a pour but de faire partager les données et connaissances, notamment avec le monde des assurances, pour aboutir à une meilleure vision de la problématique du risque. Certaines propositions issues des Assises sont intéressantes comme la création d'un comité des utilisateurs qui permettrait de bien cerner leurs besoins. Cet observatoire pourrait également s'articuler avec les observatoires locaux pour que ce soit interopérable et que ça facilite la mutualisation de données. C'est encore un chantier en construction mais on travaille avec des bases de données existantes comme celle de Cartorisque de l'Etat. Mais il reste encore à compléter certaines données notamment la carte des inondations.
Propos recueillis par Clément Cygler