
Directeur du GIP Ecofor
Actu-Environnement.com : La forêt a-t-elle changé au cours du temps ?
Jean-Luc Peyron : Jusqu'à la révolution industrielle, la forêt a largement dû s'ajuster aux activités économiques. Ses surfaces se sont réduites pour faire place aux activités agricoles. Son exploitation était intensive pour répondre aux besoins grandissants de la société en énergie et bois d'oeuvre pour la construction, les transports, les objets du quotidien. Avec la révolution industrielle, le bois énergie a été supplanté par le charbon puis par le pétrole, le gaz et l'électricité et de nouveaux matériaux se sont développés. Ce mouvement s'est accompagné de gros gains de productivité agricole et d'un exode rural. La forêt s'est en conséquence remise à progresser après 1800. Sa surface a été multipliée par deux en deux siècles et le volume de bois par hectare par quatre. Le volume total de bois a donc été multiplié par huit. La forêt a beaucoup changé mais la société aussi avec un doublement de la population. La surface de forêt par habitant est donc restée stable.
AE : La perception de la forêt a-t-elle évolué avec ces transformations ?
J.-L.P : Elle est perçue différemment par une société aujourd'hui essentiellement urbaine et très sensible aux effets des coupes sur le paysage. Mais la contestation contre l'exploitation des forêts n'est pas nouvelle. On la rencontre dans la littérature à travers les œuvres de Ronsard, Chateaubriand ou Rousseau avec un certain anthropomorphisme que l'on retrouve aujourd'hui dans l'ouvrage de Peter Wohlleben. Cette contestation se manifeste aussi dans un mouvement social initié par les peintres de l'école de Barbizon qui conduit à la création de réserves artistiques dans la forêt de Fontainebleau (Ile-de-France) dès 1853.
AE : Si la forêt a progressé en surface, ne s'est-elle pas dégradée qualitativement, notamment en raison de la mécanisation ?
AE : Les coupes rases constituent-elles une menace pour la forêt ?
Les coupes de récolte et de régénération sont généralement progressives sur 10 ou 20 ans. Les coupes rases sont assez rares en France et ne sont pratiquées qu'en cas de plantation ou après des catastrophes, notamment les tempêtes. Or, on ne compte que deux millions d'hectares plantés sur 16 millions d'hectares de forêt en France métropolitaine.
AE : Le changement de perception du public conduit-il à une modification des pratiques des professionnels du bois ?
C'est un problème important que les professionnels doivent prendre en compte. Il a conduit l'ONF à changer de mode de sylviculture en Ile-de-France de manière à maintenir un couvert permanent. Mais il y a une certaine ambivalence du public qui peut par exemple apprécier le mobilier en bois tout en critiquant les chantiers de coupe en forêt. Pourtant, le bois est un matériau renouvelable, fondamental pour la bioéconomie : sa récolte en France permet de le substituer à des matériaux importés ou beaucoup plus consommateurs d'énergie et émetteurs de gaz à effet de serre.
AE : Faut-il laisser plus de surfaces en libre évolution comme le préconise Peter Wohlleben ?
Il est important et utile de conserver des surfaces en libre évolution. La France s'est fixée des objectifs dans ce domaine. La question est de savoir où et jusqu'à quel point le faire. Certains arguments avancés par Peter Wohlleben sont erronés. Une forêt plus jeune combat plus efficacement le changement climatique et résiste mieux aux tempêtes. Pour les zones restant exploitables, il préconise par ailleurs de faire appel aux chevaux pour débarder les bois mais se garde bien d'en évaluer la faisabilité à large échelle, les contraintes techniques et les coûts. Or, du fait du temps long dans lequel elle s'insère, la sylviculture ne peut se financer qu'en maîtrisant les coûts.
AE : Etes-vous surpris par le succès de cet ouvrage ?
La forêt intéresse beaucoup de monde, 80% des gens disent s'y rendre au moins une fois par an, mais il est rare qu'elle soit l'objet d'un succès de librairie. Je suis moins surpris par ce succès auprès des Allemands, qui ont une forêt beaucoup plus cultivée et une sensibilité plus forte sur ces sujets, que par le fait que nous semblions leur emboîter le pas. C'est un phénomène de société.
AE : Comment l'ouvrage est-il accueilli par les sylviculteurs ?
Cet ouvrage fait l'objet de réactions très différenciées mais je suis frappé par le fait que les plus naturalistes des forestiers ont eux-mêmes du mal à adhérer à l'ensemble des idées qu'il véhicule délibérément ou moins intentionnellement. Il faut dire que l'auteur a utilisé un procédé de communication basé sur l'anthropomorphisme qui est très efficace pour la vulgarisation mais peut avoir des effets pervers. Les arbres parlent, entendent, communiquent entre eux, s'inquiètent pour leur progéniture, souffrent... Cela permet de mieux comprendre le fonctionnement des écosystèmes mais modifie radicalement la relation nature-société. Par ailleurs, il s'appuie sur la science mais surtout pour justifier ses propres thèses. A l'inverse, la sylviculture est un métier qui demande beaucoup de tempérance pour trouver le bon compromis permettant de bénéficier d'une ressource renouvelable tout en préservant son fonctionnement et l'ensemble des services qu'elle rend à la société.