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Le préfet peut-il légalement refuser une autorisation de pêche à l'anguille ?

La cour administrative d'appel de Lyon estime que l'anguille jaune, espèce menacée au niveau mondial, ne fait pas l'objet d'une interdiction de principe de pêche au niveau local qui justifierait un refus d'autorisation aux pêcheurs professionnels.

DROIT  |  Commentaire  |  Biodiversité  |  
Droit de l'Environnement N°318
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°318
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Le préfet peut-il légalement refuser une autorisation de pêche à l'anguille ?
Samuel Deliancourt
Premier conseiller, rapporteur public, CAA Lyon, professeur associé, faculté de droit de Saint-Etienne, université Jean-Monnet
   

M.R. est un pêcheur qui exerce son activité professionnelle sur le Rhône. Il a conclu à cet effet avec l'État, sur le fondement des articles R. 435-2 et suivants du code de l'environnement, un bail de pêche pour la période du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2021 portant sur divers lots situés dans le département de l'Ardèche. Il a sollicité au titre de l'année 2019 l'autorisation de pêcher l'anguille jaune dans les lots dont il est attributaire. Toutefois, l'État, pris non pas en sa qualité de propriétaire du domaine public fluvial mais en sa qualité d'autorité de police spéciale en matière de pêche, a refusé par décision du 17 mai 2019 de faire droit à sa demande. Le représentant de l'État a considéré que l'autorisation sollicitée ferait courir un risque sur cette espèce protégée et en voie d'extinction, alors que la reconstitution du stock impose une action sur le long terme, puisque le stade d'une anguille jaune est compris entre 10 et 12 ans, parfois 15 et que les données récoltées ne permettent pas de connaître l'état des stocks d'anguilles jaunes sur le fleuve Rhône dans sa partie traversant le département de l'Ardèche. Le préfet en a déduit qu'il existait un risque de perte nette de biodiversité associé à un défaut de certitude d'absence d'impact sur la population des anguilles en cas de reprise de la pêche.

La demande de M. R. fait suite à la levée partielle de l'interdiction préfectorale en place depuis plus d'une décennie de pêcher et de consommer, pour des raisons de santé, l'anguille dans le Rhône en raison de la présence de polluants. En effet, les préfets de l'Ardèche, de la Drôme, du Vaucluse et du Gard avaient interdit en 2007-2008 la pêche de l'anguille, sauf dans le canal du Rhône à Sète et dans les étangs gardois, en raison de la contamination du Rhône par les polychlorobiphényles (PCB) associée au fait que l'anguille est un poisson bio-accumulateur. L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) recommandait alors de ne consommer que de manière très exceptionnelle cette espèce en raison de son pouvoir fortement accumulateur. Les masses d'eau du Rhône avaient ainsi été classées en zone de préoccupation sanitaire (ZPS) et une interdiction de pêche de certains poissons, dont l'anguille, avait été édictée par arrêté interpréfectoral (1) Drôme-Ardèche, non pour des raisons de préservation de l'espèce, mais pour des risques sanitaires afin d'éviter leur consommation. Cet arrêté a été modifié par celui du 9 novembre 2018 (2) qui lève une partie de cette interdiction de la pêche des poissons benthiques, dont les anguilles. Les masses d'eau du Rhône au regard des PCB ont été placées hors ZPS pour la partie située entre la confluence du fleuve Rhône avec la rivière Isère et la sortie du fleuve des départements de l'Ardèche et de la Drôme. L'article 1er de l'arrêté précité du 9 novembre 2018 prévoit toutefois que « ces interdictions courent jusqu'à ce qu'il soit établi par des études et/ou analyses complémentaires favorables que ces mesures ne s'avèrent pas utiles à la maitrise du risque pour la santé publique». Cette consommation possible depuis 2018 explique donc que les pêcheurs professionnels aient déposé des demandes d'autorisation de pêche à compter de l'année suivante.

M. R. a contesté cette décision de refus devant le tribunal administratif de Lyon  qui a rejeté sa demande d'annulation par le jugement du 10 juillet 2020 (3) dont il relève appel. Par l'arrêt présentement commenté, lu le 26 octobre 2022, la cour administrative d'appel de Lyon lui donne raison et annule le jugement de rejet ainsi que la décision de refus querellée.

I) L'anguille européenne, une espèce en danger critique d'extinction

L'anguille européenne (Anguilla anguilla) est une espèce migratrice catadrome (4) qui se reproduit dans l'Atlantique nord, et plus précisément dans la mer des Sargasses (5) .Cette espèce appartient à la famille des anguillidés qui peut faire jusqu'à 150 centimètres (cm) pour 6 kilogrammes (kg) avec une durée de vie comprise entre 20 et 50 ans et qui grandit dans les eaux douces européennes. Elle passe par plusieurs stades : la larve (leptocéphale), la civelle (alevins), l'anguille jaune et enfin l'anguille argentée. Ce poisson qui peut respirer à l'air libre a été classé en 2008 sur la liste rouge mondiale et européenne des espèces menacées en « danger critique d'extinction » par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en raison de la surpêche, de sa sensibilité aux pollutions, aux difficultés de migration (barrages, turbines et bouchons vaseux), au braconnage et à l'existence d'un parasite (ver) marin. Sans intervention humaine, mais à cause de l'intervention humaine (!), cette espèce est vouée à disparaître définitivement.

A) L'exigence préalable d'une autorisation individuelle

Une autorisation de pêche est nécessaire, ce qui explique la demande déposée en ce sens le 9 janvier 2019 par M. R.. Il s'agit d'une autorisation de police spéciale de la pêche (6) . L'article R. 436-65-3 du code de l'environnement, créé par l'article 1er du décret du 22 septembre 2010 (7) relatif à la gestion et à la pêche de l'anguille, interdit à tous les pêcheurs, de loisir comme professionnels, la pêche de l'anguille de moins de 12 cm en amont des limites transversales de la mer, mais institue un régime d'autorisation préalable de la pêche professionnelle de l'anguille de moins de 12 cm dans les cours d'eau, leurs affluents et sous-affluents et dans les canaux dont l'embouchure est sur la mer du Nord, la Manche et la façade atlantique, pendant une période de cinq mois consécutifs au plus et dans la limite de quotas fixés par arrêté ministériel. Aussi, l'article 1er de l'arrêté du 4 octobre 2010  (8) relatif à la mise en place d'autorisations de pêche de l'anguille en eau douce prévoit que « l'autorisation de la pêche de l'anguille par les pêcheurs amateurs aux engins et aux filets et par les pêcheurs professionnels prévue aux II des articles R. 436-65-3, R. 436-65-4 et R. 436-65-5 du code de l'environnement est délivrée à titre individuel par le préfet de département. ».

S'agissant de ce régime, qui subordonne l'exercice de cette activité à la délivrance préalable d'une autorisation de police, le Conseil d'État a jugé (9) « qu'en adoptant les dispositions de l'article 1er du décret attaqué, qui soumettent la pêche professionnelle de l'anguille de moins de douze centimètres et de l'anguille argentée à des régimes d'autorisations individuelles valables dans certaines zones, pendant certaines périodes et, s'agissant de l'anguille de moins de douze centimètres, dans la limite de certains quotas dont une partie serait affectée au repeuplement, le pouvoir réglementaire s'est borné à mettre en œuvre les dispositions de l'article L. 436-11 du code de l'environnement qui instaurent une police spéciale de la pêche et prévoient notamment que cette police spéciale comporte la fixation de périodes de pêche et l'adoption de mesures utiles à la reproduction, au développement et à la conservation des espèces ; que, par suite, les dispositions contestées de l'article 1er du décret attaqué ne méconnaissent ni les dispositions de l'article 34 de la Constitution et de l'article 3 de la Charte de l'environnement qui réservent respectivement à la loi la détermination des principes fondamentaux de la préservation de l'environnement et la définition du cadre de la prévention et de la limitation des conséquences des atteintes à l'environnement, ni, en tout état de cause, les dispositions de l'article 34 de la Constitution qui réservent au pouvoir législatif la soumission d'une activité professionnelle n'ayant fait l'objet d'aucune limitation légale à un régime d'autorisation préalable ».

B) La mise en place de plans de gestion de l'anguille

La France a mis en place depuis le 1er juillet 2009 sous l'impulsion de l'Union européenne des plans de gestion de pêche à l'anguille (PGA) à la suite à l'adoption du règlement du 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d'anguilles européennes. Selon l'article 2 de ce règlement : « 1. Les États membres recensent et définissent les différents bassins hydrographiques situés sur leur territoire national qui constituent l'habitat naturel de l'anguille européenne (ci-après dénommés «bassins hydrographiques de l'anguille»); ces bassins peuvent comprendre des eaux marines. (…) 4. L'objectif de chaque plan de gestion est de réduire la mortalité anthropique afin d'assurer avec une grande probabilité un taux d'échappement vers la mer d'au moins 40 % de la biomasse d'anguilles argentées correspondant à la meilleure estimation possible du taux d'échappement qui aurait été observé si le stock n'avait subi aucune influence anthropique. Le plan de gestion des anguilles est établi dans le but de réaliser cet objectif à long terme. (…) ». Des mesures de réduction de l'activité de pêche commerciale et de limitation de la pêche récréative ainsi que la mise en œuvre de mesures de repeuplement sont prévues. À cette fin, le territoire métropolitain a été divisé en 9 unités de gestion de l'anguille (UGA) : Rhin-Meuse (RMS), Artois-Picardie (ARP), Seine-Normandie (SEN), Bretagne (BRE), Loire, Côtiers Vendéens et Sèvre Niortaise (LCVS) Garonne, Dordogne, Charente, Seudre, Leyre (GDC), Adour, Cours d'eau côtiers (ADR), Corse et Rhône Méditerranée (RMD).

La France a notamment pris l'engagement de réduire en trois ans de 30 %, puis de 60 % à partir de 2015 la mortalité liée à la pêche légale. C'est dans ce contexte de préservation de l'anguille qu'ont été adoptés en droit interne le décret du 22 septembre 2010 (10) relatif à la gestion et à la pêche de l'anguille, l'arrêté du 4 octobre 2010 (11) relatif à la mise en place d'autorisations de pêche de l'anguille en eau douce ainsi que l'arrêté du 22 octobre 2010 relatif aux obligations de déclarations des captures d'anguille européenne par les pêcheurs en eau douce. Ces dispositions réglementaires ont été contestées par la Fédération nationale de la pêche en France (FNPF). Par un arrêt lu le 12 juillet 2013 (12) , l'Assemblée du Conseil d'État a rejeté sa demande (13) , jugeant notamment au regard du principe constitutionnel de prévention que « les dispositions contestées du décret attaqué participent à la prévention de l'extinction de l'anguille européenne ; qu'en permettant d'autoriser, de façon limitée, la pêche professionnelle de l'anguille de moins de douze centimètres et de l'anguille argentée, le pouvoir réglementaire a entendu concilier l'activité professionnelle de pêche maritime et la conservation de cette espèce en adoptant des mesures ayant un coût économiquement acceptable ; que, si la fédération requérante soutient que le niveau de réduction de la pêche de 10 % par an serait insuffisant pour permettre la conservation de l'espèce, la fixation de cet objectif ne résulte pas du décret attaqué ; que, contrairement à ce que soutient la fédération requérante, le décret attaqué n'a ni pour objet, ni pour effet de « libéraliser totalement » la pêche de l'anguille de moins de douze centimètres ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que seule une mesure d'interdiction totale de la pêche de l'anguille européenne aurait permis de prévenir l'extinction de cette espèce ; qu'il ressort, en tout état de cause, des pièces du dossier qu'une telle mesure n'aurait pu être adoptée à un coût économiquement acceptable ; qu'ainsi, le décret attaqué ne méconnaît pas les exigences qui découlent du principe de prévention énoncé par l'article L. 110-1 du code de l'environnement ».

Le refus d'autorisation de pêche contesté porte en l'espèce sur l'UGA RMD. Les UGA font l'objet de mesures de gestion via les plans de gestion des poissons migrateurs (Plagepomi) élaborés par des comités de gestion des poissons migrateurs (Cogepomi). Selon l'article 9 du règlement précité, chaque État membre doit rendre compte de la mise en œuvre de son PGA à la Commission européenne tous les trois ans, puis tous les six ans après les 3 premiers rapports. Le premier PGA établi fut transmis à la Commission européenne le 17 décembre 2008 et mis en œuvre à compter du 1er juillet 2009, le deuxième en juin 2015, le troisième en juin 2018 et le dernier date du mois de juin 2021. Le dernier rapport de mise en œuvre disponible date du mois de juin 2018. S'agissant de l'UGA RMD sur lequel porte la demande, celui-ci compte 276 ouvrages avec l'anguille comme espèce cible classés en zone d'action prioritaire (ZAP), notamment par la création de passes à poissons. Sur les 5 400 km de cours d'eau, 4 640 sont classés en ZAP.

C) Les restrictions nationales de pêche à l'anguille

Le principe est celui de l'interdiction de la pêche de l'anguille en dehors des limites des unités de gestion fixées par arrêté du préfet de région aux 3 stades de son développement, à savoir l'anguille de moins de 12 cm, l'anguille jaune et l'anguille argentée. La réglementation diffère selon que la demande concerne la pêche professionnelle ou celle de loisir. La pêche de l'anguille de moins de 12 cm est interdite aux pêcheurs de loisir en tous lieux. Elle peut être autorisée sous conditions aux pêcheurs professionnels, pendant une période de cinq mois consécutifs au plus et dans la limite de quotas de pêche répartis par unité de gestion, fixés par arrêté ministériel et en affectant une part de la capture de l'anguille de moins de 12 cm au repeuplement. La pêche de l'anguille argentée est interdite, sauf sur certains cours d'eau et plans d'eau des UGA Loire, Bretagne et Rhône-Méditerranée, sur dérogation accordée par arrêté ministériel aux pêcheurs professionnels. S'agissant de la pêche de l'anguille jaune, qui correspond à la demande refusée, l'article R. 436-65-4 du code de l'environnement prévoit : « I. – La pêche de l'anguille jaune est autorisée pendant une période fixée par unité de gestion, et le cas échéant par secteur, par arrêté conjoint du ministre chargé de la pêche en eau douce et du ministre chargé de la pêche maritime. II. – La pêche de l'anguille jaune par les pêcheurs professionnels, ainsi que, lorsqu'ils utilisent des engins ou des filets, par les membres des associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique et les pêcheurs de loisir en zone maritime, est subordonnée à l'obtention d'une autorisation délivrée selon les modalités fixées, selon le cas, par arrêté du ministre chargé de la pêche en eau douce ou par arrêté du ministre chargé de la pêche maritime. ». L'arrêté ministériel du 5 février 2016 relatif aux périodes de pêche de l'anguille européenne aux stades d'anguille jaune et d'anguille argentée modifié le 28 décembre 2018 fixe les périodes d'autorisation de la pêche de l'anguille jaune. Il détermine les dates en fonction des UGA selon la zone fluviale, divisée en 2 catégories, ou la zone maritime. S'agissant de l'UGA RMD, pour le département de l'Ardèche, la période est fixée du 1er mai au 30 septembre 2019.

II) Un refus de principe ne peut être opposé à une demande individuelle

Alors que le refus du préfet de l'Ardèche était motivé et fondé sur la méconnaissance du principe de précaution, la juridiction de première instance lyonnaise avait opéré une substitution de base légale (14) au profit du principe de prévention. Selon l'article L. 110-1 du code de l'environnement, « Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l'air, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation. Ce patrimoine génère des services écosystémiques et des valeurs d'usage ./ (…) II. - Leur connaissance, leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état, leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu'ils fournissent sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants : (…) Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable. Ce principe implique d'éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu'elle fournit ; à défaut, d'en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n'ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées ; Ce principe doit viser un objectif d'absence de perte nette de biodiversité, voire tendre vers un gain de biodiversité (…)». Ce principe peut utilement être invoqué à l'encontre d'une décision individuelle (15) comme il peut fonder une décision de refus. Lorsque la mesure adoptée est contestée et que la méconnaissance du principe de précaution comme celui de prévention est invoquée, le contrôle juridictionnel (16) est le même, celui de l'erreur manifeste d'appréciation (17) , que ce soit à l'aune du principe constitutionnel de prévention (18) tel que prévu par l'article 3 de la Constitution ou tel qu'il est garanti par l'article L. 110-1  (19) précité du code de l'environnement. Il en va différemment, de manière asymétrique, lorsque c'est ce principe de prévention qui, comme en l'espèce, fonde une décision de refus comme celle contestée. Telle avait été la position adoptée par les premiers juges lyonnais : « 10. En cinquième lieu, eu égard aux motifs de la décision litigieuse rappelés au point 2 dont la teneur n'est pas sérieusement contestée par la requérant, et en se bornant à faire valoir à tort que la pêche professionnelle supporterait à elle seule la charge du repeuplement des anguilles dans les cours d'eau français alors que le volet local du plan de gestion de l'unité de gestion Rhône méditerranée accessible sur internet vise également à définir des mesures de gestion destinées à réduire les obstacles à la migration, le requérant n'établit pas que la préfète de l'Ardèche aurait commis une erreur d'appréciation en lui refusant la délivrance de l'autorisation sollicitée sur le fondement des dispositions précédemment substituées du 2° du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement ».

Ce principe de prévention est également prévu par l'article 3 de la Charte selon lequel « Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences. ». La situation eût alors été différente si le fondement juridique avait été cette disposition qui, en effet, ne pose pas une règle directement applicable et n'est par suite pas directement invocable (20)  : une disposition législative doit s'insérer entre ce texte constitutionnel et la décision. Et lorsque tel est le cas, les autorisations accordées doivent, à peine d'illégalité, être assorties, le cas échéant, des prescriptions spéciales (21) imposant, d'une part, les mesures appropriées et suffisantes pour assurer le respect du principe de prévention, et, d'autre part, les mesures de suivi, tant des effets du projet sur l'environnement que des mesures destinées à éviter, réduire et, lorsque c'est possible, compenser ces effets. Notons que le décret n° 2010-1110 du 22 septembre 2010 (22) relatif à la gestion et à la pêche de l'anguille avait été contesté au regard de ce principe constitutionnel de prévention et, s'agissant du régime mis en place, le Conseil d'État avait jugé que « les dispositions contestées du décret attaqué participent de la mise en œuvre de l'article 3 de la Charte de l'environnement, en déterminant les modalités de prévention de l'extinction de l'anguille européenne ; qu'elles visent à mettre fin à la réduction du stock d'anguilles européennes et s'inscrivent dans le cadre d'un plan de réduction progressif de l'ensemble des facteurs anthropiques de mortalité et de perturbation de l'anguille européenne ». Puis de considérer « qu'en permettant d'autoriser, de façon limitée, la pêche professionnelle de l'anguille de moins de douze centimètres et de l'anguille argentée, le pouvoir réglementaire a entendu concilier l'activité professionnelle de pêche maritime et la conservation de cette espèce en adoptant des mesures ayant un coût économiquement acceptable ».

M. R. soutenait en cause d'appel que ce principe de prévention de l'article L. 110-1 ne pouvait légalement fonder la décision querellée, contrairement à ce qu'avait jugé le tribunal. La cour lui donne raison : «Alors que l'interdiction de la pêche à l'anguille jaune en vue de sa consommation et sa commercialisation en raison du danger que cette consommation faisait courir à la santé humaine a été partiellement levée par arrêté inter-préfectoral des préfets de la Drôme et de l'Ardèche des 7 et 9 novembre 2018, il ne ressort pas des pièces du dossier, qu'un principe d'interdiction de la pêche de l'anguille jaune serait localement justifié, en dépit de l'objectif de préservation que poursuit le préfet dans le cadre de l'exercice des pouvoirs de police spéciale que lui confèrent les dispositions citées au point précédent et qui peuvent d'ailleurs le conduire à compléter la délivrance de l'autorisation requise des mesures appropriées à la charge du pétitionnaire. La ministre ne conteste pas, dès lors que le risque d'atteinte à l'environnement est avéré, que la base légale tirée du principe de précaution prévu au 1° du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement sur laquelle s'était fondé le préfet, était erronée.».

Il reste toujours évidemment assez peu évident d'apprécier la légalité d'un refus individuel face à un risque d'extinction au niveau mondial. Les PGA prévoyaient une réduction de 30 % de la pêche à l'anguille jaune en 2012 et de 60 % en 2015. Selon les données fournies, sur l'ensemble du territoire, le nombre de pêcheurs professionnels disposant des droits de pêche a sensiblement diminué au cours de la période 2009-2018 : - 25 % pour les pêcheurs à l'anguille argentée et - 28 % pour les pêcheurs d'anguille jaune et, plus précisément, - 24 % pour les pêcheurs fluviaux. Le nombre de pêcheurs fluviaux est ainsi passé de 169 en 2009 à 128 en 2018. Concomitamment, et mécaniquement, le nombre de tonnes pêchées a diminué. S'agissant plus particulièrement de l'UGA RMD, la pêche de la civelle est interdite et le nombre de licences accordées depuis des années pour les pêcheurs en eau douce est de 4 et ne concerne que les étangs gardois. Il y avait en moyenne 8,6 déclarants pour l'UGA RMD pour la période 2004-2008 correspondant à 1,629 tonne d'anguilles jaunes péchées, mais depuis 2012, il est de 0 en raison de l'interdiction de pêche en raison du PCB dans le Rhône. Pour rappel, la pêche professionnelle représentait 17,5 tonnes d'anguilles jaune sur le Rhône pour la période 1999-2002. La difficulté est l'absence de données fiables ou exploitables pour déterminer le pourcentage. Sans pêcheurs, plus de déclarations et donc plus de statistiques. Aussi, les données concernant le stock d'anguilles dans le Rhône qui, certes, se régénère depuis 10 ans, ne permettent pas de disposer d'une évaluation fiable et d'apprécier ainsi si les objectifs tant en termes de biodiversité que juridique, au niveau national comme celui de l'Union européenne, sont remplis.

Selon le rapport relatif à la mise en œuvre du PGA de la France de juin 2018, « Les pêcheurs maritimes et fluviaux ont capturé, en moyenne, un peu plus de 290 tonnes d'anguilles jaunes par an durant les années 2015 à 2017. Ils avaient capturé en moyenne 380 tonnes d'anguilles jaunes par an dans les années 2012 à 2014. Cela correspond donc à une diminution des captures d'environ 23 % entre la période 2012-2014 et 2015-2017 » (p. 81). De manière plus globale et générale, et toujours selon ce rapport (p. 168), les captures d'anguilles jaune et argentée ont diminué depuis 2004-2008 et sont stables entre 2015 et 2018 : « Les taux de déclarations de captures alimentant le SNPE ont considérablement baissé depuis la période de référence 2004-2008. C'est pourquoi l'estimation du taux d'exploitation pour l'anguille jaune n'a pas pu être mise à jour. Il est donc impossible de fournir avec précision une estimation de la diminution de la mortalité́ sur le stade anguille jaune au regard de l'objectif de réduction de 60 % attendu pour 2015 par le PGA » (p. 92). Selon le tableau de bord Plagepomi 2022-2027 de juin 2020, « Dans le cadre du PLAGEPOMI 2016-2021, au-delà de la réglementation existante, l'objectif est de poursuivre le suivi de l'évolution des quantités pêchées pour évaluer la pression de pêche mais aussi pour contribuer à l'estimation des stocks de poissons migrateurs à partir des quantités capturées. Un effort de capitalisation et de valorisation de ces données de pêcheries est visé. Suite à la levée des interdictions « PCB » de consommation des poissons pêchés en eau douce, il est prévu que le Cogepomi examine la nécessité de définir des mesures de gestion de pêche pour l'anguille sur la base de l'évaluation de la pression de pêche exercée. » (p. 9).

Quelle approche par suite adopter dans le cadre d'une demande individuelle ? Une approche concernant une espèce menacée d'extinction au niveau mondial ne peut être réduite au seul niveau des lots de pêche, mais elle doit être plus globale puisque l'anguille est une espèce migratrice qui est protégée à l'échelle de l'Union européenne avec ses déclinaisons dans les droits nationaux. Il n'y a pas d'interdiction générale et absolue de pêche sur le territoire national puisque des autorisations individuelles sont délivrées. Par exemple, en 2018, ce sont 135 autorisations de pêche à l'anguille jaune qui ont été délivrées aux pêcheurs fluviaux professionnels, dont quelques-unes sur l'UGA RMD, mais aucune par exemple sur l'UGA ARP (Artois-Picardie). Tout dépend ainsi des conditions de lieux et d'espaces, ce qui induit d'ailleurs un sentiment de discrimination entre les pêcheurs professionnels. Les captures d'anguilles jaunes, selon les déclarations des pêcheurs, représentaient 290 tonnes annuelles entre 2015 et 2017 par rapport aux 380 tonnes pour la période 2012-2014, soit une baisse de 23 %. C'est bien l'objectif de prévention qui guide cette politique publique. Mais, pour autant, la cour a jugé que le préfet ne pouvait légalement refuser sans apprécier concrètement la situation au niveau local : « le refus d'autorisation sollicitée (…) ne repose sur aucun motif propre à la situation individuelle du demandeur ni aucune spécificité des lots concernés. ». Le refus est ainsi annulé.

1. A. interpréfect. (Drôme) n° 2012069-0010, 9 mars 2012 ; A. interpréfect. (Ardèche) n° 2012066-0006, 6 mars 20122. A. interpréfect. (Drôme) n° 26-2018-11-07-004, 7 nov. 2018 ; A. interpréfect. (Ardèche) n° 07-2018-11-09-002, 9 nov. 20183. TA Lyon, 10 juill. 2020, n° 19036564. Espèces de poissons d'eaux douces qui se reproduisent en mer5. Sargazzo ou varech6. Voir CE, 10 févr. 1893 : Thubé-Lourmand, rec. p. 1135, concl. Le Vavasseur (à propos de la pêche au homard à Terre-Neuve) : « Considérant que le décret du 2 mars 1852 n'est un qu'un règlement sur la police de la pêche à la morue à l'île de Terre-Neuve; que l'attribution faite, sous le nom de concession, au sieur Thubé-Lourmand, conformément aux dispositions du décret, d'une place déterminée sur le French Shore, constitue une simple permission de police qui confère à celui qui l'a obtenu le droit de pêche à l'endroit qui lui est assigné en se conformant aux conditions spécifiées par ce règlement, et ne saurait, en aucun cas, être considérée comme un contrat synallagmatique, pouvant, en cas d'inexécution, donner ouverture à des dommages-intérêts »7. D. n° 2010-1110, 22 sept. 2010 : JO 24 sept. 8. A., 4 oct. 2010, NOR : DEVN1024522A : JO 27 oct.9. CE, 12 juill. 2003, n° 344522, Fédération nationale de la pêche en France : Lebon10. D. n° 2010-1110, 22 sept. 2010, op. cit. 11. A., 4 oct. 2010, op. cit.12. CE, 12 juill. 2003, op. cit.13. RFDA 2014, p. 115, note Robbe J.  ; AJDA 2013, p. 1737, chron. Domino X. et Bretonneau A. ; Dr. adm. 2013, comm. N° 84, note Pissaloux J.-L. ; JCP G 2013, n° 1215, note Janicot L., ; Droit de l'environnement 2014, n° 217, p. 387, note Foucher K.14. V. CE, 3 déc. 2003, n° 240267, Préfet de la Seine-Maritime c/ El Bahi : Lebon15. CE, 4 août 2006, n° 254948, Comité de réflexion d'information et de lutte anti-nucléaire (Crilan) et Association « Le réseau sortir du nucléaire » : Lebon T.16. Pour le principe de précaution, v. CE, 24 avr. 1999, n° 192465, Société Pro-Nat : Lebon T. ; CE 1er oct. 2001, n° 225008, Association Greenpeace : Lebon T.17. CE, 4 août 2006, op. cit., jugeant que « compte tenu des mesures prises par le décret qui devront être appliquées sans interruptions, ce décret n'est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ni dans l'application du principe de précaution ni dans l'application du principe de prévention ».18. Par ex. CE, 12 juill. 2003, op. cit.19. Par ex. CE, 26 mai 1995, n° 120905, Comité intervalléen pour la sauvegarde de l'ours : Lebon T., jugeant que « l'article 1er de l'arrêté attaqué, qui ne repose pas sur des faits matériellement inexacts et n'est pas entaché d'erreur manifeste, a pu, sur les parties du territoire des communes du département des Pyrénées-Atlantiques qu'il définit, légalement interdire la chasse et la pénétration des chiens autres que de berger, dans le but de prévenir la destruction et de favoriser le repeuplement des ours des Pyrénées » ; CE, 4 août 2006, op. cit.20. V. CE, 9 juill. 2018, n° 410917, Commune de Villiers-le-Bâcle et autres : Lebon T.21. CE, 30 déc. 2020, n° 432539, Association Koenigshoffen demain : Lebon T., Dr. env. 2021, n° 298, concl. Hoynck S., JCP A 2021, n° 2085, note Polizzi J.-F., BJCL 2021, p. 278, concl. Hoynck S., BJDU 2021, p. 107, concl. Hoynck S.22. D., 22 sept. 2010, op. cit.

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