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Refus d'autorisation de coupes de bois et gestion durable des forêts

Suivant les conclusions de son rapporteur public, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté la demande d'annulation de refus de coupe rase présentée par un groupement forestier sur des parcelles situées sur le territoire de la commune de Montaron.

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Droit de l'Environnement N°324
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°324
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Refus d'autorisation de coupes de bois et gestion durable des forêts
Samuel Deliancourt
Premier conseiller, rapporteur public, CAA Lyon, professeur associé, faculté de droit de Saint-Étienne, Université Jean-Monnet
   

Suivant les conclusions de son rapporteur public, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté la demande d'annulation de refus de coupe rase présentée par un groupement forestier sur le fondement de l'article L. 124-5 du code forestier dès lors que les parcelles concernées de 14 ha, qui ne présentaient pas de garantie de gestion durable, avaient déjà fait l'objet d'une éclaircie et que les 4 000 arbres concernés n'étaient pas encore arrivés à maturité.

Le groupement forestier de Thaix, qui exerce une activité de sylviculture dans plusieurs départements, a sollicité le 3 décembre 2018, sur le fondement de l'article L. 124-5 du code forestier auprès des services de la préfecture de la Nièvre une demande d'autorisation de coupe rase de bois portant sur 14 hectares (ha) situés sur les parcelles cadastrées section C n° 474, 475 et 476 sur le territoire de la commune de Montaron (156 habitants). Après avis défavorable du Centre régional de la propriété forestière (CRPF) du 19 mars 2019, il s'est vu opposer une décision de refus le 28 mars 2019 au double motif que le peuplement n'était pas arrivé à maturité et que cette coupe prématurée n'était pas compatible avec le schéma régional de gestion sylvicole (SRGS). Le groupement a contesté ce refus, sans succès, devant le tribunal administratif de Dijon qui a rejeté sa demande par le jugement lu le 24 juin 2020 dont il relève appel.

I) Un bois est-il un domicile protégé par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ?

Le groupement appelant soutient que la visite de contrôle effectuée sur place le 8 janvier 2019 serait irrégulière en raison de l'absence à la fois de consentement du propriétaire et d'information quant à la possibilité de s'y opposer et de saisir préalablement le juge judiciaire. Cette question a récemment fait débat (1) s'agissant de la compétence des personnels de l'Office français de la biodiversité (OFB). Il invoque à cet effet la seule violation des stipulations de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (Conv. EDH) selon lesquelles « toute personne a droit au respect (…) de son domicile (…) ». Le Conseil d'État avait jugé que (2) « si le droit au respect du domicile que ces stipulations protègent s'applique également, dans certaines circonstances, aux locaux professionnels où des personnes morales exercent leurs activités, il doit être concilié avec les finalités légitimes du contrôle, par les autorités publiques, du respect des règles qui s'imposent à ces personnes morales dans l'exercice de leurs activités professionnelles ; que le caractère proportionné de l'ingérence que constitue la mise en œuvre, par une autorité publique, de ses pouvoirs de visite et de contrôle des locaux professionnels résulte de l'existence de garanties effectives et appropriées, compte tenu, pour chaque procédure, de l'ampleur et de la finalité de ces pouvoirs ». La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) garantit en effet cette protection qu'elle étend, si l'on se réfère au Guide d'application de cette stipulation (p. 110 et suiv.), aux endroits de vie comme aux locaux professionnels, qu'il s'agisse de ceux d'un avocat, d'un notaire comme d'un professeur d'université. La notion de domicile est ainsi largement admise (3) .

Les agents des services de l'État chargés des forêts peuvent rechercher et constater les infractions forestières (4) dans tous les bois et forêts, quel que soit leur régime de propriété. Pouvaient-ils régulièrement pénétrer dans cette forêt privée ? Il a été jugé (5) , s'agissant des agents de France Agrimer, que le contrôle opéré sur place sans autorisation entachait d'irrégularité la procédure, ce qui induisait l'annulation de la décision contestée, à savoir le reversement de l'aide, l'intéressé ayant ainsi été privé d'une garantie. Le moyen est toutefois invoqué ici sous l'angle de la seule méconnaissance de l'article 8 de la Conv. EDH. Or, un immeuble non occupé ni habité ne peut être regardé comme un domicile au sens de cette stipulation. Il ne doit pas y avoir de confusion entre le domicile et la propriété, cette première notion étant un concept autonome ne dépendant pas des qualifications du droit interne. La CEDH estime (6) que des ensembles agricoles ne constituent pas un domicile, ni même des bâtiments et équipements industriels ou encore un bâtiment vide ou inhabité. Tel est le cas ici car il s'agit seulement de parcelles boisées, ce que l'on peut facilement constater avec les photographies satellites produites en défense, ne comportant ni ne supportant aucune construction ou habitation. Ces terrains ne peuvent donc être regardés comme un domicile au sens des stipulations précitées et, partant, comme protégés.

II)         Une logique de gestion durable fondant le refus

Le code forestier s'applique aux bois et forêts indépendamment de leur régime de propriété (7) . La logique, finaliste, retenue est celle de la gestion durable ainsi qu'il ressort des dispositions des articles L. 111-1 et L. 112-2 du code forestier. Les forêts, bois et arbres sont placés sous la sauvegarde de la Nation (8) , sans préjudice des titres, droits et usages collectifs et particuliers. Le régime d'autorisation imposé par ce code se comprend par la volonté de gestion durable des forêts, indépendamment de leur propriété publique comme privée. Dans une forme de continuité historique (9) , mais pour d'autres motifs désormais, la politique forestière relève de la compétence de l'État (10) . Selon l'article L. 121-1 du code forestier auquel renvoie l'article L. 121-4, cette politique a « pour objet d'assurer la gestion durable et la vocation multifonctionnelle, à la fois écologique, sociale et économique, des bois et forêts. (…) ». Cette notion de « gestion durable » des forêts a été intégrée dans le code forestier à la suite de l'adoption de la loi du 9 juillet 2001 d'orientation sur la forêt. Le titre II du livre Ier est ainsi relatif à la « Politique forestière et gestion durable ». Sont ainsi soumises à autorisation administrative les coupes « à défaut de gestion durable » (11) . Selon les dispositions de l'article L. 124-5 du code forestier, « Dans les bois et forêts ne présentant pas de garantie de gestion durable, les coupes d'un seul tenant supérieures ou égales à un seuil fixé par le représentant de l'État dans le département et enlevant plus de la moitié du volume des arbres de futaie ne peuvent être réalisées que sur autorisation de cette autorité, après avis, pour les bois et forêts des particuliers, du Centre national de la propriété forestière. (…) L'autorisation, éventuellement assortie de conditions particulières de réalisation de la coupe et de travaux complémentaires, est délivrée conformément aux directives ou schémas régionaux dont ces bois et forêts relèvent (…) ». La méconnaissance de ces dispositions constitue une infraction pénale (12) . La logique est simple : il n'y a pas besoin d'autorisation si les bois et forêts présentent des garanties de gestion durable, c'est-à-dire lorsqu'ils sont gérés au moyen de documents de planification prévus par l'article L. 124-1 du code forestier (documents d'aménagement, plans simples de gestion agréé obligatoire pour toute surface supérieure à 25 ha, code de bonnes pratiques sylvicoles, règlements type de gestion), lesquels « traduisent, de manière adaptée aux spécificités respectives des bois et forêts relevant du régime forestier ou appartenant à des particuliers, les objectifs d'une gestion durable des bois et forêts ». Une telle situation juridique a notamment pour effet de les dispenser (13) d'obtenir l'autorisation de coupe d'arbres prévue par l'article L. 124-5 précité du code forestier, qui exige que dans les bois et forêts ne présentant pas de garantie de gestion durable, comme en l'espèce, l'autorisation soit délivrée conformément aux directives ou schémas régionaux dont ces bois et forêts relèvent.

Il est soutenu que le refus du préfet serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation. Il nous semble qu'à l'instar de celui opéré sur les autorisations d'urbanisme, le contrôle est asymétrique et doit être plus étendu lorsqu'il s'agit d'un refus. Nous vous proposons ainsi de considérer que le refus d'autoriser est soumis à un contrôle de l'erreur d'appréciation. En l'espèce, la demande d'autorisation du 3 décembre 2018 porte sur ces 14 ha et sur 100 % de la surface plantée en 1978, laquelle a déjà fait l'objet d'éclaircies en 2016. Le nombre d'arbres est estimé à 4 000, soit 3 600 m3 de grume. Sont concernés en majorité des pins Douglas dont le diamètre avoisine les 30 cm ainsi que des pins Laricio au diamètre moyen de 35 cm. Ainsi qu'il a été rappelé plus avant, la décision de refus en litige du préfet de la Nièvre repose sur le motif tiré de ce que le peuplement n'est pas arrivé à maturité et que la coupe prématurée projetée n'est pas compatible avec les orientations du SRGS. Tel était l'avis rendu d'ailleurs en ce sens par le CRPF consulté.

La décision querellée est fondée sur lesprescriptions du SRGS de Bourgogne. Selon celles-ci, la commission régionale de la forêt et du bois (CRFB) a notamment défini comme méthodes de gestion de maintien des futaies régulières résineuses la coupe sélective des arbres de 10 à 35 cm de diamètre selon une périodicité de 5 à 15 ans et celle des arbres dont le diamètre est supérieur à 35 cm selon une périodicité de 7 à 15 ans, ainsi que les coupes de régénération à l'arrivée à maturité des essences de peuplement. Un débat s'est engagé entre les parties afin de déterminer la nature des prescriptions dudit schéma : préconisations ou règles impératives ? Ces dispositions sont applicables et opposables aux demandes de coupes rases en application des articles L. 122-2 et D. 122-8 du code forestier. Certes, il n'interdit pas les coupes mais a vocation à permettre une gestion durable et l'appréciation de la demande doit se faire au regard de ces règles imposées ainsi qu'en dispose explicitement l'article L. 124-5 précité du code forestier. Et ce schéma, dont l'illégalité n'est pas excipée, ne permet que des coupes sélectives tous les 5 à 15 ans pour les petits et moyens bois, c'est-à-dire les futaies régulières résineuses de 10 à 35 cm, ainsi que les coupes de régénération à l'arrivée à maturité des essences de peuplement. En l'espèce, les trois parcelles concernées de 14 ha par la demande d'autorisation de coupes supportent des pins Douglas de 30 cm de diamètre et des pins Laricio de diamètre plus petit et ces bois ont déjà fait l'objet d'une éclaircie en 2016, soit seulement 3 ans auparavant. Ces prescriptions n'étant pas respectées, le refus est fondé. (…) Le préfet de la Nièvre n'a ainsi pas au regard de l'objectif de gestion durable commis d'erreur d'appréciation en refusant ces coupes de bois (…).

 

1. Cass. crim., 5 janv. 2021, n° 20-80.569, Bull. crim. ; Cons. const., 13 avr. 2023, n° 2023-1044 QPC2. CE, sect., 6 nov. 2009, n° 304300, Sté Inter Confort : Lebon ; CE, 20 janv. 2016, n° 374950, Caisse d'épargne et de prévoyance du Languedoc-Roussillon (CELR) : Lebon T.3. S'agissant des bureaux de la CNIL, v. CE, 27 juil. 2012, n° 340026, Sté AIS 2 : Lebon T.4. C. rur., art. L. 161-4 et L. 161-75. CE, 14 nov. 2018, n° 389254, Sté Château du Grand Bois ; v. CJUE, 7 août 2018, n° C-59/17, Château du Grand Bois SCI, RD rur. 2018, comm. 203, note Barthe F., estimant que le règlement (CE) n° 555/2008 du 27 juin 2008 n'autorise pas les agents qui procèdent à un contrôle sur place à pénétrer sur une exploitation agricole sans avoir obtenu l'accord de l'exploitant.6. CEDH, 16 déc. 1992, n° 13710/88, Niemietz c/ Allemagne ; CEDH, 6 sept. 2005, n° 63512/00, Leveau et Fillon c/ France

7. C. forestier, art. L. 111-18. C. forestier, art. L. 112-19. Perron D., La forêt française - Une histoire politique, Ed. L'aube, 202110. C. forestier, art. L. 121-111. C. forestier, art. L. 124-512. Par ex., CA Chambéry, 1er oct. 2020, n° 19/00397 : RD rur. 2021, comm. 99, note Rondeau N. ; v. Mandeville M., La protection pénale de la forêt, un droit pénal instrumentaliste : RD rur. 2018, dossier 213. CE, 21 déc. 2018, n° 404912, Cne de Saint-Jean de Marsacq, Dr. Env. 2019, p. 60, concl. Barrois de Sarigny C.

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