La montée en puissance des souverainismes et des mouvements protectionnistes europhobes au Parlement européen à l'issue des élections européennes du 25 mai interférera-t-elle dans l'évolution des négociations sur le traité transatlantique ? Ces mouvements d'extrême-droite opposés au traité, qui ont triomphé dans les urnes dimanche dernier, représenteront plus de 140 députés, soit près d'un cinquième du Parlement (qui compte 751 sièges). Les formations de gauche ayant pris position contre le traité transatlantique, les Verts (55 sièges) et la gauche radicale (43 sièges), totalisent 98 députés. Quant aux trois groupes numériquement les plus nombreux au Parlement européen, les conservateurs du PPE (212 sièges), les sociaux-démocrates du PSE (186 sièges) et les libéraux démocrates (70 sièges), ils sont favorables au libre-échange et leurs programmes électoraux n'ont pas désavoué ce projet de pacte commercial.
La co-décision s'appliquera, rassurent les socialistes
Le 23 mai 2013, le Parlement européen a voté une résolution sur le mandat de négociation sur le traité transatlantique de commerce et d'investissement, à l'intention de la Commission, définissant les conditions d'approbation d'un éventuel accord en excluant le secteur culturel. Pour les socialistes, "l'accord transatlantique de commerce et d'investissement sera mutuellement avantageux pour les deux parties ou ne sera pas. Il n'y aura pas de «dindon de la farce». La Commission négocie avec un mandat de négociation, donné par le Conseil des ministres du Commerce extérieur le 14 juin 2013. Ce mandat acte, entre autre, l'exclusion des services culturels et des marchés publics d'armement des négociations, comme l'a exigé le Parlement européen dans sa résolution du 23 mai 2013. Ainsi mandatée, la Commission négocie, mais ce n'est pas elle qui décide".
Une fois conclu, l'accord devra être approuvé à l'unanimité par le Conseil des chefs d'Etats et de gouvernement, puis à la majorité qualifiée du Parlement européen, qui est co-décisionnaire en matière d'accords commerciaux, depuis l'application du Traité de Lisbonne en décembre 2009 ; puis par chacun des 28 Parlements nationaux. Si le Traité ne convient pas aux Européens, ou même aux seuls Français, ils disposent donc de trois instances de sécurité pour le rejeter. Le Parlement européen a déjà exercé son droit de veto en rejetant le Traité ACTA sur la contrefaçon et l'accord SWIFT sur la protection des données personnelles. "Il n'y a aucune raison de penser que les Américains vont nous imposer leurs normes et leurs standards, au détriment de nos choix de société, sinon notre sempiternel complexe d'infériorité. Ce défaitisme n'habite pas la plupart des autres pays européens, bien au contraire. C'est pourquoi une majorité d'Etats de l'UE et d'organisations professionnelles a milité en faveur de l'ouverture de ces négociations", estiment encore les socialistes français dans leur plate-forme programmatique.
Peser sur les normes mondiales
Outre la réduction du déséquilibre entre Union européenne et Etats-Unis sur l'accès aux marchés publics, les tenants européens du traité veulent harmoniser les barrières non tarifaires pour des raisons non seulement commerciales, mais aussi géopolitiques, face à la Chine, l'Inde et le Brésil dont ils estiment que les normes et les standards de protection des consommateurs sont inférieurs à ceux des grandes démocraties de l'Ouest. Gouvernements européens et organisations patronales se considèrent plus prompts à défendre des normes sanitaires, environnementales, sociales exigeantes que la plupart des BRICS. Ce pouvoir normatif s'élabore dans les instances de l'OMC, et, pour les pro-traité, il est bon que l'Union européenne et les Etats-Unis unissent leurs forces. Représentant ensemble 45% des échanges mondiaux et plus de la moitié de la production mondiale, ces deux puissances, si elles s'entendent sur des normes communes, pourraient favoriser l'apparition de règles et de standards pour l'ensemble de la planète, veulent croire les partisans de l'accord transatlantique.
Transition énergétique et aléas politiques
Deux grands rounds commerciaux se jouent en parallèle, le pacte transatlantique Union européenne-Etats-Unis et son équivalent UE-Canada. Ce dernier sera finalisé à l'automne et ratifié à l'été 2015. De même teneur que le traité transatlantique, l'accord UE-Canada a fait couler moins d'encre, mais c'est pourtant son prolongement géographique en territoire canadien, permettant à des filières d'entreprises états-uniennes domiciliées au Canada de faire jouer les mêmes clauses. Ainsi, le mécanisme de règlement des différends, un des points sensibles particulièrement critiqués pendant la campagne des Européennes, est-il déjà inscrit dans cet accord. Les réalités procédurales pourraient prendre de court les processus politiques et démocratiques, et balayer un moratoire sur les gaz de schiste ou des tarifs préférentiels de rachat des énergies renouvelables.
Numériquement, le rapport de forces ne changera guère au sein du Parlement européen, car PPE, PSE et Libéraux détiennent la majorité et approuvent le traité transatlantique. Mais le profil du futur président de la Commission devra tenir compte de l'opposition viscérale des souverainistes au fédéraliste Jean-Claude Juncker, candidat du PPE, parti arrivé en tête, qui, pour être élu, devra construire une coalition avec les socialistes et les libéraux. A moins qu'une autre personnalité n'émerge, pour faire la synthèse des attentes de réorientations exprimées par le scrutin du 25 mai. Le Français Michel Barnier, actuel commissaire au marché intérieur et ancien ministre de l'Environnement, se positionne comme candidat de compromis du PPE, dans l'esprit de renforcer "l'indépendance de l'Europe". "Nous ne sommes pas condamnés à acheter des produits et des technologies fabriqués par les Chinois ou les Américains", déclarait-il au Monde en mars dernier.