L'Inra, le CNRS et Irstea ont présenté jeudi 3 juillet à Paris les résultats d'une expertise scientifique collective (1) sur les effets agronomiques et environnementaux de l'épandage des matières fertilisantes d'origine résiduaire (Mafor) sur les terres agricoles ou les forêts. Une expertise réalisée à la demande des ministères de l'Agriculture et de l'Ecologie et dont les résultats étaient attendus par de nombreux acteurs, comme l'a montré le succès rencontré par cette restitution.
Valorisation logique en termes d'économie circulaire
Pourquoi une telle demande ? Il existe beaucoup de bonnes raisons de vouloir valoriser ces matières qui peuvent être issues des effluents d'élevage, des boues d'épuration urbaines, des déchets urbains (ordures ménagères résiduelles, biodéchets, déchets verts) ou des effluents industriels. "Tout ce qui est organique doit retourner à la terre", fait valoir avec bon sens Christine Cros, chef du bureau Planification et gestion des déchets au ministère de l'Ecologie. "Cette valorisation est logique en termes d'économie circulaire", ajoute Isabelle Déportes du service Prévention et gestion des déchets de l'Ademe.
Il est vrai qu'une telle valorisation permet d'éviter les coûts d'élimination des déchets liés à l'incinération ou au stockage, tout en assurant un apport de fertilisants pour l'agriculture. Elle permet ainsi de répondre à la problématique de la raréfaction de certaines ressources comme le phosphore et à la dégradation du taux de matière organique de certains sols cultivés, soulignent les auteurs de l'expertise.
"Oui, nous sommes intéressés, mais avec une certaine prudence, et un besoin de rigueur", précise Didier Marteau, agriculteur et président de la commission environnement de l'APCA (2) . Les interrogations sont en effet nombreuses : quels sont les bénéfices agronomiques des Mafor, quels sont les impacts environnementaux de leur épandage, quels avantages économiques présentent-elles, quels sont les risques sanitaires ? Les résultats de l'expertise apportent des éléments de réponses à ces premières questions, mais en laissant de côté l'évaluation des risques sanitaires, explicitement exclue de la commande et qui fait l'objet par ailleurs d'une saisie de l'Anses.
Une valeur agronomique intéressante mais des risques de contamination des sols
Que nous apprend cette expertise ? En premier lieu que les Mafor ont une valeur agronomique intéressante, tant en terme de fertilisation (apports en azote, phosphore et potassium) que d'amendement (entretien du stock de matière organique dans les sols, correction du pH), fait valoir Sabine Houot de l'Inra, co-responsable de l'étude. Cette valeur est toutefois variable selon les Mafor considérées (lisiers, boues d'épuration, fumiers, digestats, composts…) et les traitements susceptibles d'être appliqués (compostage, digestion anaérobie, séchage…).
En revanche, les Mafor sont susceptibles d'apporter trois classes de contaminants : biologiques, organiques et minéraux, précise Marie-Noëlle Pons du CNRS, co-responsable de l'étude. Il ressort de l'expertise que "les effluents d'élevage et les boues d'épuration urbaines, du fait de leur origine fécale, sont susceptibles de véhiculer des agents biologiques pathogènes, tels que bactéries, virus, parasites, et peuvent participer à la dissémination de l'antibiorésistance". Mais aucune étude n'a établi de lien entre l'épandage de ces matières et des maladies animales. Certains traitements sont en outre possibles. "Mais aucun n'est efficace à 100%", tient à préciser Marie-Noëlle Pons. En ce qui concerne la contribution des Mafor à l'antibiorésistance, elle est difficile à évaluer, indique l'étude.
Quant aux contaminants organiques et minéraux, la lente accumulation dans les sols de ceux qui sont le plus difficilement dégradables pourrait "sur le long terme, conduire à une contamination des sols difficile à maîtriser", révèle l'étude, tout en précisant que les comportements "complexes et difficiles à évaluer" des contaminants organiques dans les Mafor, les sols et l'environnement nécessitent que… "se poursuivent les recherches en cours dans ce domaine".
De nombreuses zones d'ombre demeurent
Au final, plusieurs paramètres doivent être pris en compte pour optimiser l'usage des Mafor en agriculture, estime Sabine Houot : l'origine de ces matières et les traitements appliqués, la maîtrise des quantités d'épandage, les conditions pédo-climatiques, le facteur "temps", sans oublier le paramètre "humain", c'est-à-dire l'acceptabilité de ces pratiques par les agriculteurs, qui sont les premiers concernés, et plus largement par la société civile.
Or, de nombreuses zones d'ombre demeurent malgré la somme de travail que représente cette expertise : les données sont particulièrement lacunaires sur les questions d'acceptabilité, sur le bilan économique des filières et sur les évaluations sanitaires. "On n'a pas regardé la réduction des pollutions à la source avec effets sur les concentrations de polluants dans les Mafor", reconnaît Marilys Pradel, de l'Irstea, co-responsable scientifique de l'étude, qui ajoute que "regarder toute la chaîne est aussi important".
La révision du règlement sur les engrais en trame de fond
La tâche des décideurs politiques se révèle donc délicate. C'est le cas d'Eric Liegeois de la Commission européenne, qui planche sur la révision du règlement sur les engrais minéraux, dont il annonce l'adoption pour la fin de l'année, en vue d'ouvrir son champ aux matières fertilisantes d'origine résiduaire. Certains trouveront la proposition incomplète, craint le fonctionnaire bruxellois, mais c'est parce qu'il juge ne pas avoir accès à tous les éléments nécessaires. "Un investissement plus actif pour donner accès aux donnés disponibles est nécessaire", ajoute-t-il à l'attention des autorités françaises qui disposent des données relatives aux opérations d'épandage via l'application Sillage (3) .
L'idée est en tout cas de mettre en compétition les engrais minéraux et les Mafor, en prenant en compte les avantages et inconvénients des uns et des autres, tant en termes de compétitivité que de risques. Les Mafor devront, une par une, faire l'objet d'une certification qui prendra en compte les intrants, les techniques de stabilisation et les teneurs du produit final, indique Eric Liegeois. "Une liste négative est prévue, mais on l'espère la plus courte possible", ajoute-t-il, précisant que la Commission lancera en 2015 un appel à projets pour une étude de faisabilité de l'évaluation des risques des Mafor.
"Nous sommes contre une liste négative", répond tout de go Hubert Brunet. Plutôt que se focaliser sur les risques largement maîtrisables, il faut utiliser "cette formidable opportunité pour produire des fertilisants durables", estime le président du Syndicat des professionnels du recyclage en agriculture (Syprea). "La seule autre alternative, c'est l'incinération", avertit-il... La réduction des déchets n'était définitivement pas inscrite à l'ordre du jour du colloque.