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Les ICPE soumises à déclaration : l’antithèse de la protection de l’environnement (3/3)

Ce troisième volet de la série d'articles consacrée aux ICPE soumises à déclaration revient sur plusieurs éléments qui démontrent la régression des classements ICPE et leur inutilité pour protéger les milieux dans lesquels sont installées les activités.

Publié le 04/11/2020

Malgré leur très grand nombre et leur localisation disséminée sur tous types de milieux, les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) relevant de la déclaration, ne font pas l’objet d’instruction ni pratiquement de contrôles. Ce qui s’explique par le souci constant de l’administration de favoriser ce régime ultra simplifié (1/3). Les contrôles périodiques, mis en œuvre tardivement et fort limitativement, n’ont rien changé à cette situation (2/3). Le régime de déclaration des ICPE représente une excellente illustration d’une déréglementation toujours plus soutenue au service d’une économie libérale et aux dépens constants de l’environnement.

Des seuils de classements, déconnectés des milieux impactés

Pour de nombreux projets, ICPE ou bien par exemple ouvrages « loi sur l’eau », l’obligation de conduire une évaluation environnementale ou de soumettre le projet à un débat public se fonde bien souvent sur des critères subjectifs de taille, de poids, de volume ou de surfaces, voire de coûts, sans aucun lieu avec la localisation et la sensibilité des milieux pouvant être affectés par ces opérations.

Aucune « clause filet » pour les projets n’a ainsi été établie, comme l’exige pourtant le droit européen, c'est-à-dire des critères permettant d'imposer une évaluation pour les projets qui sont en deçà des seuils ou critères réglementaires, mais localisés dans des milieux sensibles. Outre ce manque crucial, qui participe inéluctablement à la perte de biodiversité et génère des effets négatifs sur l’ensemble de l’environnement, ce système de seuils permet de déclasser facilement de nombreuses activités. Justement grâce à leur caractère arbitraire.

Ainsi le très grave accident survenu dans le port de Beyrouth, dû à un stockage de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium,a remis en lumière la persistance en France d’un classement inapproprié de ce produit, après la catastrophe AZF en 2001. D’autant plus si l’on prend en compte d’autres accidents moins meurtriers et moins médiatisés, mais majeurs, tel celui de l’incendie d’un hangar agricole en 2003, où étaient stockées « seulement » 3 tonnes de nitrates d’ammonium (sous formes d’engrais) à Saint-Romain-en-Jarez (Loire), qui fit 23 blessés dont 9 graves[1]. Après AZF le décret de nomenclature du 10 août 2005 maintient le seuil d’autorisation du stockage du produit à 350 tonnes, mais en-deçà on passe aussitôt à la déclaration (de 100 à 350 tonnes). À cette occasion, il a été introduit la présence d’une certaine teneur en azote et en substances combustibles dans le nitrate d’ammonium pour que son stockage soit classé. Ce qui a eu pour effet de…le déclasser en partie. A titre de comparaison, le site AZF stockait environ 120 tonnes de nitrate d’ammonium, soit pratiquement le seuil bas de la déclaration… Et si un stockage contient moins de 100 tonnes du produit (cas des hangars agricoles), il ne relève plus du régime des installations classées, c’est-à-dire qu’en pratique aucune prescription ni contrôle ne s’appliquent.

Les seuils, marqueurs sociétaux de choix politiques

A l’aide de cet exemple, on voit très bien que les seuils sont arbitraires. Ils sont en fait des marqueurs sociétaux, fonction des choix politiques. Ainsi, à une tonne près un exploitant peut ne pas être assujetti à la législation sur les ICPE, ou bien relever seulement de la déclaration. Mais à une tonne près également, il peut basculer aussitôt de la déclaration à l’autorisation, comme dans le cas du nitrate d’ammonium. Et comme en l’espèce le régime d’autorisation correspond au seuil Seveso (dès 350 tonnes), on passe ainsi de la déclaration au seuil Seveso ! Pour certaines substances, cela se joue même à quelques kilogrammes près. Sans que le milieu environnant (notamment la proximité de riverains) ne soit pris en compte.

Le régime d’enregistrement ICPE, intermédiaire entre la déclaration et l’autorisation, aurait eu son utilité s’il s’était substitué, dans des cas comme celui-là, pour une large part au régime de déclaration. Or, au lieu de cela, l’enregistrement a été institué en lieu et place du régime d’autorisation.

L’examen au cas par cas, cause de dégradation de l’environnement et de la santé 

La procédure de demande d’examen au cas par cas a été introduite par la loi n°2010-788 du 12 juillet 2010 et le décret du 29 décembre 2011 portant réforme des études d’impact. Cette procédure a été mise à jour par le décret du 11 août 2016. Elle vise à examiner, au cas par cas, les demandes présentées par les maîtres d’ouvrage avant la réalisation d’un projet, pour savoir si elle doit faire ou non l’objet au préalable d’une évaluation environnementale (article R. 122-3 du code de l’environnement).

Cet examen se fonde sur un formulaire Cerfa en ligne (n°14734*03), renseigné par le maître d’ouvrage. L’objectif du formulaire est censé permettre à l’administration d’identifier, parmi les projets appartenant aux catégories visées par la 3ème colonne du tableau annexé à l’article R. 122-2 du code de l’environnement, ceux qui sont susceptibles d’avoir des impacts notables sur l’environnement et donc de relever d’une évaluation environnementale.

Toutefois ce formulaire est très simplifié et ne comporte notamment aucune donnée sur les milieux affectés par le projet, en-dehors des sites protégés ou remarquables. Comme aucune étude préalable de terrain, même sommaire, n’est demandée on ignore par exemple tout de la présence d’espèces protégées ou menacées. Lesquelles seront alors entièrement détruites dans le cas, ultra majoritaire, où l’administration considère qu’il n’y a pas lieu à étude d’impact. De nombreux milieux sensibles ou rarifiés ne sont pas davantage visés par le formulaire. C’est le cas par exemple des pelouses sèches.

Pour les zones humides, il convient de cocher une case en regard de la question de savoir si le projet se trouve « dans une zone humide ayant fait l'objet d'une délimitation ». Si le projet se trouve non pas à l’intérieur mais à proximité immédiate, pouvant ainsi altérer la continuité et la fonctionnalité écologiques de ces milieux, ou bien si ces zones humides n’ont pas fait l’objet de délimitation documentée, la réponse sera négative et … ces milieux détruits sans aucune étude ni mesure prescrite. Il en est de même dans le domaine de la santé par exemple pour des zones affectées par une pollution chronique de l’air, etc.

Au fil des modifications de la nomenclature établie à l'annexe de l'article R.122-2, ce sont des pans entiers qui ont basculé au mieux dans le régime de l'examen au cas par cas, quand ce n'est pas hors du régime de toute évaluation environnementale. Les exemples affluent. Ainsi, les plans d'eau relevant du régime d'autorisation étaient soumis à étude d'impact systématique, de même que les barrages de retenues ou ouvrages assimilés (retenues agricoles ou pour les stations de sports d'hiver). En 2016, ces installations ne sont devenues soumises à évaluation environnementale que lorsque le nouveau volume d'eau est supérieur ou égal à 1 million de m³, ou lorsque la hauteur est supérieure ou égale à 20 mètres. Ce qui est un volume considérable. Et ne relèvent désormais plus que de l'examen au cas par cas des barrages et des retenues d’une certaine ampleur, sans se soucier de la sensibilité du milieu affecté par ces ouvrages.

Par touches successives, le régime du « cas par cas » l'a emporté sur le régime de l'évaluation automatique pour représenter environ 80 % des projets soumis à la procédure d’évaluation environnementale. Une fois cela acquis, par touches successives encore, les autorités environnementales indépendantes chargées d'examiner les projets soumis au cas par cas se sont vu supplantées au profit des préfets. Ce qui explique notamment pourquoi en 2017, sur les 539 arrêtés préfectoraux d'enregistrement (régime qui relève du cas par cas), quatre installations seulement ont fait l'objet d'une évaluation environnementale.

Dernier exemple en date, en échange de nouvelles obligations en matière de risques incendies dans le domaine de la logistique, dans le contexte « post-Lubrizol », il est programmé un assouplissement majeur de la nomenclature ICPE pour les activités de logistique. Ainsi, le seuil de l'autorisation de la rubrique 1510 (entrepôts couverts, comme NL logistique qui a participé à la catastrophe Lubrizol) est relevé de 300 000 m³ à 900 000 m³. De plus, le régime d'autorisation ICPE est purement supprimé pour d’autres rubriques d’entrepôts et de stockages de diverses natures : n° 1530, 2662 et 2663.  

Le démantèlement croissant du droit de l’environnement

Années après années, et même mois après mois, ce sont les pièces d’un immense puzzle de démantèlement du droit de l’environnement qui se mettent en place, avec pour objectif principal : faciliter et accélérer les projets économiques en supprimant le plus possible l’évaluation environnementale et les consultations préalables.

Rehausser sans cesse les seuils, sortir des projets du champ de l’étude d’impact et des enquêtes publiques, multiplier les procédures simplifiées et l’absence de contrôles effectifs concourent activement au processus de dégradation de notre environnement. Mais l’assouplissement des règles d’implantation et d’exploitation y participe également, de façon forte et croissante. Cela touche aussi bien les plateformes que les sites industriels eux-mêmes.

La notion d’exploitant d’un établissement, responsable de sa création jusqu'à sa mise à l'arrêt et à l’éventuelle remise en état des lieux, qui a été l’un des fondements de la législation sur les ICPE dès son origine en 1810, laisse peu à peu place à celle d’une notion moins tangible de plateformes industrielles.

La loi Pacte de mai 2019 introduit ainsi dans le code de l'environnement la nouvelle notion de "plateforme industrielle", définie comme "le regroupement d'installations sur un territoire délimité et homogène conduisant, par la similarité ou la complémentarité des activités de ces installations, à la mutualisation de la gestion de certains des biens et services qui leur sont nécessaires". Cette disposition fait suite à un amendement du député LREM Damien Adam, dont la rédaction provient l'Union des industries chimiques, devenue "France Chimie", comme l’a reconnu le député. Il s’agit d’"adapter les dispositions réglementaires ne faisant pas appel explicitement à la notion d'exploitant à la situation objective des plateformes où un site industriel est partagé entre plusieurs entreprises".

Puis, l’année suivante, dans le but de « raccourcir les délais d'implantation et attirer de nouveaux investissements », près de 80 sites industriels « clés en main » sont publiés par le Gouvernement, pour lesquels les procédures administratives relatives à l'urbanisme, à l'archéologie préventive et à l'environnement ont été menées en amont par un aménageur, de telle sorte qu'un industriel puisse démarrer rapidement sa production sans avoir à se soucier de ces questions. C’est encore une fois déconnecter les activités et le milieu, car en aucune façon une évaluation préalable sur une vaste zone ne peut intégrer tous les impacts sur l’environnement et sur la santé, pouvant être générés par les industries qui s’y implanteront en fonction de leurs activités. La forte contestation sur l’aménagement de la zone industrialo-portuaire de 110 ha du Carnet, dans l'estuaire de la Loire, qui dispose dès à présent des autorisations d’aménagement, y compris sur le plan environnemental, au sein d’une zone à très forte richesse écologique, démontre toute la difficulté de l’exercice.

L’artificialisation des sols s’accroît sur les friches

L’administration vise notamment à veiller, par la nouvelle procédure relative aux sites industriels « clé en main », à « reconvertir les nombreuses friches existantes pour limiter l'artificialisation des sols ». Il conviendrait bien mieux de limiter la consommation et la stérilisation des espaces, de tous les espaces. Car les friches, et notamment les friches urbaines, qui sont des zones refuge pour la faune et la flore, sont parfois d’importants réservoirs de biodiversité. Toutes les études scientifiques montrent qu’il s’agit même bien souvent de la plus riche biodiversité en zones urbaines[2]. Les friches sont riches ! Ce genre de mesures, loin de préserver l’environnement, sont de nature à détruire certains milieux uniques, abritant des espèces spécifiques, déjà en voie de raréfaction.  

Il importe avant tout de s’attaquer à la source du problème portant sur le choix et l’utilité du projet, sa conception, ses modalités d’implantation et de dimensionnement du projet. Au lieu de construire ainsi d’immenses parkings qui stérilisent de grandes surfaces, faisons par exemple comme d’autres pays qui construisent des parkings à étages ou bien des silos à voitures. Cela traduit toute l’importance de recourir à une évaluation environnementale préalable, en vue de s’assurer du bon lieu et mode d’implantation du projet, de son dimensionnement et de son mode d’exploitation au regard des exigences écologiques et de santé humaine par rapport au milieu d’implantation.

Comme une mesure de régression suit toujours une autre (c’est une vraie course-poursuite pour les juristes commentateurs…), le champ de l'évaluation environnementale est encore réduit pour les implantations industrielles et commerciales. Jusqu’alors, tout projet créant une surface de plancher supérieure ou égale à 40 000 m² était soumis à évaluation environnementale. Désormais, seuls les projets supérieurs à 40 000 m² qui sont situés dans un espace non urbanisé seront soumis à évaluation environnementale. Pour une surface moindre, de 10 000 à 40 000 m², ils feront l’objet d’un examen au cas par cas mais en absence de toute étude faune/flore. Exit les friches urbaines… En deçà de 10 000 m², un simple permis de construire suffit. Il y a peu ce seuil n’était que de 3000 m²…C’est donc une cascade de textes régressifs qui permet progressivement de s’affranchir de toute évaluation environnementale, et ce faisant d’enquête publique, tout en affichant dans le même temps l’engagement politique de limiter la consommation de l’espace.

La régression affecte même les sites Seveso

Le décret n° 2018-435 du 4 juin 2018 a amplifié le processus de régression au bénéfice des sites relevant de la directive Seveso. Par la modification opérée dans la nomenclature de l’annexe du R. 122-2, l’évaluation environnementale ne vise désormais plus ces installations, mais les seules créations d’établissement. De même, si les modifications faisant entrer un établissement dans cette catégorie relèvent de l’évaluation, ce n’est plus cas, par exemple, des modifications substantielles d'un site Seveso existant.

En outre, la nomenclature définit l’établissement Seveso comme un ensemble d'installations relevant d'un même exploitant sur un même site, ce qui exclut les établissements qui sont exploités par plusieurs exploitants. Cette définition ne respecte donc la directive 2012/18/UE du 4 juillet 2012, dite « Seveso 3 »[3]. Si l’on cumule les deux « exceptions françaises », à savoir une évaluation pour la seule création d’un site relevant d’un même exploitant, rien n’empêche plus un groupe industriel de créer un établissement exploité par deux filiales juridiquement distinctes, chacune mettant en œuvre une partie des matières dangereuses relevant de la directive Seveso, mais avec un seuil inférieur au classement pris individuellement.

Une fois mis bout à bout les différents morceaux du puzzle de la régression du droit de l’environnement, il ne s’agit même plus d’une régression, mais d’un démantèlement proche du délabrement. Le summum est atteint avec le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, ou loi ASAP, que d’aucuns ont déjà traduit par « as soon as possible », aussi vite que possible. Ce texte va en effet autrement plus loin dans le démantèlement du droit que les autres lois relatives à l’accélération et/ou à la simplification qui n’ont cessé de se multiplier, à commencer par celle du 17 février 2009 pour l'accélération des programmes de construction et d'investissement publics et privés qui institua le régime d’enregistrement ICPE au détriment de celui d’autorisation (deux articles à venir).

[1] Voir « Après Beyrouth, un nouvel AZF est-il possible en France ? », 2 sept. 2020, Matthieu Jublin, Alternatives économiques.

[2] Voir notamment « Les friches urbaines sont d’étonnants réservoirs de biodiversité » sur les travaux de la chercheuse du Muséum national d’histoire naturelle Audrey Muratet. Reporterre, 31 mai 2017.

[3] « Ensemble du site placé sous le contrôle d'un exploitant où des substances dangereuses se trouvent dans une ou plusieurs installations, y compris les infrastructures ou les activités communes ou connexes ». De plus, on le voit la définition européenne ne se limite pas aux seules installations.

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1 Commentaire

Albatros

Le 05/11/2020 à 9h55

Je ne porterais pas le deuil si on démantelait enfin la stupide nomenclature ICPE franco-française et qu'on adoptait une réglementation comme en Allemagne, au Danemark ou aux Pays-Bas, pays dans lesquels l'administration ne se cache pas derrière une nuée de textes inextricable.
Mais ça fait bosser beaucoup moins d'"experts"...

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