Un détricotage en règle du droit de l'environnement. C'est ainsi que de nombreuses associations et juristes spécialisés voient le projet de loi Asap, adopté par le Parlement fin octobre. Saisi par un groupe de députés de gauche qui ont soumis à son contrôle un certain nombre de dispositions de la loi, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision jeudi 3 décembre.
Si les gardiens de la Constitution invalident de nombreuses dispositions considérées comme des « cavaliers législatifs », ils préservent en revanche des dispositions très contestées en matière d'installations classées et d'enquêtes publiques.
« Pas de régression de la protection de l'environnement »
Les sages valident en premier lieu l'article 34 de la loi qui assouplit les règles applicables aux installations classées (ICPE). D'une part, il soustrait les ICPE existantes et les projets en cours d'instruction aux nouvelles prescriptions ministérielles lorsqu'elles concernent le gros œuvre. D'autre part, il permet d'appliquer aux projets en cours d'instruction les délais et conditions de mise en conformité plus favorables dont bénéficient les installations existantes. « Les dispositions contestées ne méconnaissent ni l'article 1er ni l'article 3 de la Charte de l'environnement et (…) n'entraînent pas de régression de la protection de l'environnement », juge le Conseil constitutionnel. Une mention qui peut être interprétée comme un début de reconnaissance du principe de non-régression, alors que sa consécration pourrait advenir très prochainement à l'occasion de la décision attendue sur la loi néonicotinoïdes.
Le Conseil valide également l'article 44 qui modifie les modalités de consultation du public sur certains projets ayant des incidences sur l'environnement. Cet article, adopté au forceps lors d'une deuxième délibération réclamée par le Gouvernement, donne au préfet la possibilité de recourir à une consultation électronique plutôt qu'à une enquête publique. Les sages estiment que ces dispositions ne méconnaissent ni l'article 1er, ni l'article 7 de la Charte de l'environnement.
Quant à l'article 56 de la loi, il permet au préfet d'autoriser l'exécution anticipée de certains travaux de construction avant la délivrance de l'autorisation environnementale. La rue de Montpensier n'y voit pas de violation des articles 1er et 3 de la Charte, ni du droit à un recours juridictionnel effectif.
La décision valide également l'article 79 qui habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour modifier les règles applicables à l'Office national des forêts et aux chambres d'agriculture. Il en est de même des articles qui assouplissent le code de la commande publique. Ces articles, que les requérants estimaient contraires au principe de clarté de la loi et à l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi, permettent de soustraire certains marchés publics à publicité et mise en concurrence. « Cette dispense permettra d'accélérer les mises en chantier et de remplir les carnets de commande des entreprises du BTP », se félicitent les ministres en charge de la transformation et de l'industrie, Amélie de Montchalin et Agnès Pannier-Runacher.
Cavaliers législatifs
En revanche, le Conseil constitutionnel déclare contraire à la Constitution toute une série d'articles qui ne présentent pas de lien avec le projet de loi. Cette censure ne préjuge pas de la conformité de ces « cavaliers législatifs » aux autres exigences constitutionnelles, précise la décision. En attendant, ils sont supprimés de la loi.
Parmi les articles censurés figurent des dispositions relevant du domaine de l'énergie : couplage des travaux d'installation de réseaux de télécommunication avec les travaux de raccordement d'une installation de production d'électricité, régime juridique de distribution publique de gaz, réfaction des coûts de raccordement des installations de production de biométhane.
Certaines dispositions supprimées relèvent du secteur de l'eau : détermination par décret des volumes susceptibles d'être prélevés dans certains bassins hydrographiques en déséquilibre, compétence donnée en premier et dernier ressort aux cours administratives d'appel pour juger les recours contre les projets de prélèvement d'eau pour l'irrigation, état des lieux du Gouvernement sur les ouvrages d'irrigation faisant l'objet d'un contentieux.
Enfin, un des articles censurés prévoyait d'exonérer de responsabilité civile les propriétaires et gestionnaires de sites naturels pour les dommages causés par la pratique de sports de nature sur leurs terrains.
« Conjuguer protection de l'environnement et attractivité économique »
Au final, et malgré ces articles censurés, les principales dispositions visant à simplifier le droit de l'environnement sont conservées dans le texte. Outre celles qui ont été examinées et validées par le Conseil constitutionnel, subsistent les dispositions limitant les possibilités d'actualisation des études d'impact, celles permettant au préfet de limiter les consultations du Coderst ou de la CDNPS, la simplification des démarches lors de la cessation d'activité d'une installation classée (ICPE), ou encore l'application du statut d'entreprise énergo-intensive aux installations situées sur une même plateforme industrielle.
Les ministres Amélie de Montchalin et Agnès Pannier-Runacher saluent la validation des dispositions clés du texte, dont le volet visant à « accélérer les implantations et extensions industrielles ». Ces mesures achèvent la mise en œuvre du rapport Kasbarian sur la simplification des installations industrielles, qui a aussi conduit à mettre des sites « clés en main » à disposition des investisseurs. « Ces évolutions (…) démontrent qu'il est possible de conjuguer protection de l'environnement et attractivité économique de notre territoire », vantent les deux représentantes du Gouvernement.
Un avis loin d'être partagé par le docteur en droit Gabriel Ullmann, très critique sur ce texte. « Si la loi comporte d'indéniables avantages pour les opérateurs économiques (…), elle comporte de graves atteintes pour les droits des citoyens et de la société », estime l'ancien commissaire-enquêteur. Et d'ajouter : « Loin d'être une loi de simplification, elle complexifie le droit en instituant des régimes différents selon les activités, les objets ou les circonstances, tout en étant elle-même une loi bavarde et fourre-tout ».
Sur ce dernier point, la décision du Conseil constitutionnel a au moins le mérite d'apporter un toilettage à ce texte de près de 150 articles.