
Le Sénat a adopté le 9 juin au soir la proposition de loi du député Christian Jacob (UMP) "visant à interdire l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique". 165 voix ont permis de l'adopter (UMP et Union centriste), 152 sénateurs dont 2 UMP se sont prononcés contre. L'ensemble des amendements proposés par l'opposition a été rejeté. Une commission mixte paritaire composée de 7 sénateurs et de 7 députés sera chargée mercredi prochain d'élaborer une version commune aux deux assemblées, version qui reviendra devant le Parlement pour un vote définitif.
Autorisation des recherches scientifiques
L'écriture du projet de loi sous-entend dans un premier temps que l'exploration et l'exploitation des gaz de schiste sont autorisées en France si la technique de fracturation hydraulique n'est pas utilisée. Si pour l'instant les techniques alternatives n'en sont qu'au stade de la recherche, le texte vise explicitement la fracturation hydraulique et non l'interdiction pure et simple de l'exploitation des gaz et huiles de schiste.
Le texte évoque donc une interdiction de l'utilisation de la technique de fracturation hydraulique sur le territoire national mais les différentes modifications apportées lors des débats en commission et en séance plénière dénaturent la portée originelle du texte. En effet, dès le premier article, il est clairement précisé que cette technique pourra être mise en œuvre "dans le cadre de projets scientifiques d'expérimentation". Ces recherches devraient permettre de mieux connaître les impacts environnementaux de cette technique et de développer des alternatives. Ces projets seront précédés d'une enquête publique. Les conditions précises de leurs réalisations seront fixées par décret en Conseil d'État.
Ces expérimentations seront proposées et suivies par une "commission nationale d'orientation, de suivi et d'évaluation des techniques d'exploration et d'exploitation". Elle devrait réunir des représentants de l'État, des collectivités territoriales, des associations, des salariés et des employeurs des entreprises concernées. Un décret en Conseil d'État viendra préciser sa composition, ses missions et ses modalités de fonctionnement.
La nouvelle mouture du texte s'inspire donc fortement des premières recommandations formulées en avril dernier par le Conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGIET) et celui de l'environnement et du développement durable (CGEDD). Missionnés par les ministres en charge de l'énergie et de l'écologie, les deux conseils encouragent la recherche sur les techniques de fracturation hydraulique et leurs impacts environnementaux tout en conseillant un encadrement plus strict des explorations et la consultation du public.
Fracturation hydraulique : condition d'abrogation des permis
Toreador Energy France et Hess Oil France bénéficient conjointement de permis pour la recherche d'huiles dans les départements de Seine-et-Marne, de l'Aisne, de l'Aube et de la Marne.
La société Total Gas Shale Europe bénéficie quant à elle de permis d'exploration gazière pour les départements de l'Ardèche, de la Drôme, du Vaucluse, du Gard et de l'Hérault.
Enfin, Schuepbach Energy LLC recherche du gaz dans les départements de l'Ardèche, du Gard, de l'Hérault, de l'Aveyron et de la Lozère.
Un texte "en trompe l'œil" pour "calmer la mobilisation"
Selon l'avocat Arnaud Gossement du cabinet Huglo Lepage, le texte adopté pose plus de question qu'il n'en résout : "La loi en cours d'élaboration ne correspond sans doute pas aux critères de "qualité de la loi" dégagés par la Haute juridiction administrative", juge l'avocat. L'absence de définition juridique d'un "projet scientifique d'expérimentation" ou de la fracturation hydraulique risque de compliquer l'analyse des rapports remis par les détenteurs. "A compter de quel moment pourra-t-on avec certitude savoir, à la lecture de ces rapports, si les permis sont ipso facto abrogés ?", s'interroge l'avocat ajoutant que les informations transmises à l'époque par les industriels du secteur pour l'obtention des permis "ne semblent pas permettre de trancher sur le recours précis à des produits chimiques et lesquels."
M. Gossement constate également que la loi a été "élaborée en urgence, sans débat préalable suffisant, discutée sans attendre les conclusions de la mission parlementaire mise en place", ce que regrettent les sénateurs socialistes dans un communiqué : "la proposition de loi soutenue par le gouvernement, et votée par la majorité sénatoriale, est un texte d'affichage politique adopté en urgence ayant pour principal objectif de calmer la mobilisation citoyenne."
Pour Eric Delhaye, président délégué de CAP21, mouvement écologiste présidé par l'eurodéputée Corinne Lepage, le texte est un "trompe l'œil" : "on pourrait le comparer à celui du moratoire de la chasse à la baleine et à la vaste hypocrisie des dérogations accordées à des fins de pêche scientifique".
Pour les sénateurs il semble évident que "l'adoption de cette loi d'opportunité ne saurait mettre un terme à l'amplification de la mobilisation citoyenne". Les sénateurs socialistes appellent "à la protection des territoires par la vigilance citoyenne".