Certes, le plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR) pour 2016-2018 constitue un progrès, mais 10 ans après la loi qui l'impose, certaines questions récurrentes ne sont toujours pas traitées explicitement. C'est notamment le cas de la "cohérence des principes de gestion, en particulier pour ce qui concerne le recyclage et la valorisation". Derrière cette critique, se cache une remise en question de la politique française de traitement des combustibles usés à La Hague (Cotentin). Les gains environnementaux du recyclage des déchets radioactifs ne peuvent pas constituer un a priori, estime l'Ae.
De même, le plan présente les volumes globaux de déchets selon leur classement, mais "[ces informations] ne permettent pas de disposer d'ordres de grandeur de la nocivité de ces déchets et de son évolution à court, moyen et long terme". Pour mieux appréhender la nature du risque au cours du temps, il faudrait donc inclure dans le plan "une indication de l'évolution de l'activité et de la composition des principaux radioéléments et produits écotoxiques stockés, à diverses échéances de très long terme (millier d'années, dizaine de milliers d'années, centaine de milliers d'années, million d'années)", estime l'Ae.
Impact environnemental du retraitement
"L'analyse environnementale de ce plan conduit à s'interroger sur certaines questions récurrentes, que le plan ne traite pas explicitement", constate l'Ae. Parmi celles-ci figurent le recyclage et la valorisation des matières radioactives. Comme pour les autres déchets, les rebuts des activités nucléaires sont soumis à la hiérarchie des modes de gestion des déchets : réutilisation, recyclage, autres formes de valorisation et stockage. Selon le PNGMDR, "le traitement, puis le recyclage des combustibles usés inscrit cette activité dans une forme d'économie circulaire". L'Ae considère que cette appréciation "est pour le moins inappropriée, compte tenu du temps et des distances nécessaires au bouclage du cycle (sic)".
Elle estime qu'"il ne peut être affirmé a priori que le recyclage des combustibles usés est plus favorable pour l'environnement, pour les différentes générations, ni qu'il réduit la nocivité des déchets, compte tenu des sous-produits qu'il génère". Elle recommande donc une évaluation comparée des impacts pour la population et l'environnement des différentes alternatives de gestion des déchets radioactifs. Elle insiste explicitement sur deux aspects qui questionnent la stratégie française de recyclage : l'évaluation doit s'intéresser en particulier au retraitement des combustibles usés et elle doit prendre en compte les impacts des rejets, mais aussi les déchets générés par cette activité.
L'Ae regrette aussi que le PNGMDR passe sous silence le devenir des déchets étrangers traités à La Hague avant l'adoption de la loi de 1991 qui interdit leur stockage en France au-delà des délais techniques imposées par le retraitement. Mais la loi de 1991 n'a pas explicitement traitée la question des déchets étrangers antérieurs à son adoption et les tentatives législatives pour les intégrer à l'inventaire national n'ont pas abouti, rappelle l'Ae. "Il serait nécessaire de préciser ce que [le PNGMDR] prévoit concernant les déchets antérieurs à 1991 et concernant les calendriers de retours aux pays producteurs (voire leur effectivité dans certains cas, pour certains déchets qui auraient dû l'être depuis longtemps)", recommande l'Autorité.
Perspectives de valorisation insuffisantes
L'Ae revient aussi sur la valorisation des matières radioactives et sa place dans le PNGMDR. Elle estime que "compte tenu des volumes croissants (…), il serait utile de préciser (…) si leur perspective de valorisation sont suffisamment établies". D'autant que pour certaines matières, "[la] perspective de valorisation [est] incertaine et au mieux sur plusieurs milliers d'années". Elle recommande donc "de préciser de quelle façon l'autorité administrative prévoit de mettre en œuvre sa nouvelle responsabilité prévue par la loi de pouvoir requalifier certaines [matières] en déchets".
C'est notamment le cas du plutonium issu du retraitement pour lequel le plan évoque "un principe de stabilisation du stock, sans en préciser la référence ni les fondements". La question se pose aussi pour les quelque 17.000 tonnes de combustibles usés dont les volumes en attente de retraitement "progressent de façon continue". La question de leur enfouissement dans le centre industriel de stockage de déchets radioactifs en couche géologique profonde (Cigéo) est clairement posée. Bien sûr, ces matières pourraient être valorisées dans des réacteurs à neutrons rapides. Mais "l'Ae relève la prudence du plan à plusieurs reprises, dès lors que, même en faisant des hypothèses très ambitieuses (…), les stocks existants ne pourraient être valorisés avant plusieurs milliers d'années". "Surtout, pour l'Ae, ces perspectives passent actuellement intégralement sous silence des enjeux préalables majeurs" : sureté des installations, viabilité économique et, volumes et nocivité des déchets produits.
L'Autorité expose des enjeux similaires pour les stocks d'uranium appauvri (290.000 tonnes), d'uranium issu du retraitement (27.000 tonnes), d'uranium naturel (29.000 tonnes) et de thorium et substances thorifères (8.500 tonnes).