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Les biochars, un engouement à maîtriser

Mis en avant pour leur capacité à stocker du carbone à long terme, les biochars suscitent l'intérêt. Leur fabrication et leur mise en œuvre doivent toutefois être bien maîtrisées pour garantir un intérêt environnemental réel. Tour d'horizon des enjeux.

Décryptage  |  Agroécologie  |    |  F. Roussel
Les biochars, un engouement à maîtriser
Actu-Environnement le Mensuel N°442
Cet article a été publié dans Actu-Environnement le Mensuel N°442
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Tout commence dans les années 2000. L'analyse des terres fertiles d'Amazonie baptisées Terra Preta, du fait de leur couleur noire, met en évidence la présence de charbon de bois dans les sols. Conséquence d'une pratique humaine ancestrale, observée dans d'autres lieux de la planète mais disparue, qui participe à améliorer la fertilité des sols encore aujourd'hui. Depuis, l'usage des charbons végétaux ou biochars suscite l'intérêt de la communauté scientifique. « Ces quatre à cinq dernières années, nous assistons à une explosion de la production d'articles scientifiques et de métha-analyses, remarque Éric Van Hullebusch, à l'occasion de la Journée technique du réseau Rispo, ces spécialistes du retour de l'organique au sol, ce mercredi 13 décembre. C'est exponentiel, avec une prédominance de la Chine et des États-Unis », ajoute ce professeur des universités à l'université Paris-Cité, Institut de physique du globe de Paris, CNRS.

Et c'était sans compter sur le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) qui a présenté le biochar comme un outil potentiel d'atténuation du changement climatique dans ses rapports d'évaluation publiés en 2014 et 2022. Comment ? En séquestrant à long terme le carbone issu de la biomasse, en améliorant la fertilité des sols et en réduisant les émissions de gaz à effet de serre par la valorisation des sous-produits de sa fabrication.

De belles promesses, sur lesquelles la communauté scientifique cherche, à raison, à faire la lumière. « Les études démontrent de nombreux intérêts : productivité améliorée des plantes, rétention d'eau et de minéraux dans les sols… Mais attention, j'observe également une très grande variabilité des résultats. Ne faisons pas de bêtises ! Une fois le biochar dans le sol, on ne l'enlève pas », alerte Marc-André Selosse, professeur au Muséum national d'histoire naturelle de Paris. En fonction de la manière dont ils sont fabriqués et du type de biomasse utilisé, la qualité des biochars varie énormément, ce qui, pour beaucoup de spécialistes, doit appeler à la vigilance.

Un process de production à plusieurs variables

La fabrication du biochar se base sur le procédé de pyrolyse de la biomasse dans une atmosphère pauvre en oxygène. Un temps de séjour plus ou moins long, sous des températures pouvant être comprises entre 350 et 1 000 °C et dans différents types de fours de carbonisation qui, selon ces deux principaux paramètres, produit différents composés en plus ou moins grande quantité : du biochar, des gaz et parfois des huiles.

“ Une fois le biochar dans le sol, on ne l'enlève pas ” Marc-André Selosse, MNHN
Ce procédé confère au biochar ses principales propriétés : une forte proportion de carbone stable, des nutriments concentrés, une porosité intéressante, un pH basique. Autant de points forts qui lui ouvrent la voie d'un usage agricole certes, mais aussi bien plus. « Le biochar étant un matériau poreux, il peut être utilisé dans des process de filtration de l'eau ou de l'air, ou de stockage de gaz ; il peut être incorporé dans des matériaux de construction, ou encore sa richesse en carbone intéresse les industries de l'électrode », liste Yann Le Brech, enseignant-chercheur à l'université de Lorraine au sein d'un laboratoire du CNRS. L'usage agricole n'est d'ailleurs pas prioritaire aujourd'hui.

Mais si la pyrolyse confère au biochar de nombreuses propriétés, de ses réglages dépend aussi la présence ou non de polluants, les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), dans les biochars sortant. Un point de vigilance majeur pour les usages au sol.

Le process est donc à la croisée d'enjeux énergétiques et de circularité de la matière organique. Et pour les acteurs qui se positionnent sur ce marché, les intérêts sont parfois différents, entre ceux qui entendent privilégier la production d'énergie et ceux, au contraire, qui produisent en priorité du biochar. De ces choix dépendront le type et la quantité de biochar produit, sa qualité et ses usages potentiels.

Ce que l'on sait des biochars pour l'usage des sols

L'intérêt du biochar pour l'agriculture est le sujet de nombreux projets de recherche. Selon Toky Ramananjatovo, de la société Inrae Transfert, plusieurs études ont démontré des effets bénéfiques que l'ingénieur agronome a synthétisé à l'occasion de la journée Rispo du 13 décembre : « Le biochar augmenterait la porosité du sol, son aération et, par là-même, favoriserait la vie du sol et sa rétention d'eau. Son pH basique lui permet de rééquilibrer les sols acides également ». Car le biochar n'est pas un engrais à part entière, mais un amendement agricole. « Le biochar ne se mange pas, mais il rend le sol plus mangeable par les plantes », résume Marc-André Selosse.

À cette liste, le spécialiste de l'Inrae ajoute la particularité du biochar de favoriser l'échange d'ions, surtout la captation d'ions positifs, limitant ainsi la lixiviation de certaines particules utiles pour les plantes (azote, calcium, magnésium) ou de certains polluants. L'adsorption de N2O par les biochars diminuerait par ailleurs les émissions de GES des sols. Mais il note aussi des effets négatifs sur l'activité microbienne et des résultats très hétérogènes selon les sols. « Le biochar serait principalement efficace en sols acides et en contexte tropical », tempère également David Houben, Et le directeur du collège agrosciences et enseignant-chercheur en science du sol à Unilasalle de rappeler qu'il existe peu de données sur l'utilité des biochars pour les sols européens. « Certains effets négatifs ont également été identifiés : augmentation de la salinité des sols, problème d'abrasion pour les vers de terre, effet limitant l'action des pesticides », ajoute le chercheur.

Un manque de données à combler

Le manque de données sur les effets du biochar sur les sols européens et leur contexte pédoclimatique est une réalité qui pousse à lancer de nombreuses recherches. Inrae Transfert participe d'ailleurs au projet européen Fenix, lancé en juin dernier pour quatre ans. En testant plusieurs mélanges de biochars et de digestats de méthanisation, les acteurs du programme espèrent trouver la bonne recette et mettre sur le marché européen des fertilisants utiles pour l'agriculture et le climat, via des tests en laboratoires et sur des parcelles agricoles.

L'Ademe mène également un important programme chargé d'identifier les qualités physico-chimiques et les potentiels de valorisation des produits de la pyrolyse, dont les biochars. Baptisé Qualichar, le programme fait le lien entre caractéristiques de la pyrolyse et qualité des biochars pour les sols. L'intégralité des résultats sont attendus pour mars 2024, mais Nicolas Thevenin, ingénieur de recherche au Rittmo Agroenvironnement, a livré de premiers résultats lors de la journée Rispo.

Plusieurs biomasses ont été étudiées (bois, effluents d'élevage, résidus de culture), à des pyrolyses plus ou moins chaudes et plus ou moins rapides. Résultats : « Les effets de la pyrolyse sont similaires en fonction de la catégorie d'intrants, mais la hausse de la température impacte les rendements en biochar à la baisse, de même que la rapidité de la combustion. Les biochars obtenus ont montré leur intérêt pour modifier les propriétés du sol, comme le pH, et pour la fertilisation phosphatée (pour les biochars d'effluents). Quelques données laissent entrevoir des risques liés aux pertes d'azote. » À confirmer au cours des mois à venir.

L'importance d'une ACV positive

Le programme de l'Ademe a comme objectif de valider les indicateurs permettant d'évaluer le comportement des biochars et de préciser les (contre-)indications d'emploi. Ce type de données sera essentiel pour concevoir un modèle de production et d'utilisation des biochars au bilan environnemental positif. Car là est tout l'enjeu : une tonne de biochar peut stocker entre 2,3 et 3 tonnes de carbone sur plus de cinq-cents ans. Mais si sa fabrication ou son usage relargue plus, ou dégrade les sols, tout sera perdu. L'analyse du cycle de vie devra donc devenir la boussole de cette filière afin que les modèles mis en place restent vertueux. Ce qui ne sera pas chose aisée.

Car il faudra du biochar de qualité, au bilan environnemental positif, et tout ça à un coût acceptable, surtout pour le monde agricole. Nombres de points qui poussent Dominique Helaine, Carbon Solutions Director chez Suez International, à plaider pour une production de biochar selon les usages envisagés : « Si l'on veut bénéficier de sa capacité à stocker le carbone, il faut l'envisager à grande échelle. Mais il devra être produit par destination et non par défaut. » Bien qu'encore mal connus, quelques biochars sont actuellement commercialisés en France comme matières fertilisantes. « Trois produits ont pu profiter d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) par l'Anses » , selon Pascale Chenon, consultante indépendante chez VoxGaïa.

L'équation complexe du modèle économique

Par ailleurs, le modèle est à la croisée des enjeux énergétiques. Les producteurs de biochar devront placer le curseur entre production de biochar et production d'énergie. « La France n'est pas en pole position en Europe sur la production et l'utilisation des biochars et se situe assez loin derrière l'Allemagne et les pays nordiques », indique Jean-Pierre Harry, expert de Suez Organique et rapporteur des premières Assises nationales du biochar, organisées à Rennes en mars 2023. En effet, les producteurs français ne sont que quelques-uns à s'être lancés. C'est le cas de Terra Fertilis, qui produit du biochar en Normandie à base de résidus de bois issus de la gestion des forêts du Grand Est et grâce à un procédé de pyrolyse autoalimenté en énergie. D'autres acteurs, comme Carbon Loop, misent sur un modèle mixte et calibrent leurs installations selon la typologie de leurs clients, soit des industriels consommateurs d'énergie décarbonée, soit des agriculteurs en quête de biochars qui peuvent rapporter des crédits carbone.

Malgré tout, Dominique Helaine, de Suez, en est convaincu, le sens de l'histoire ira vers le biochar : « Le biochar est l'une des options de séquestration du carbone les plus évidentes parmi la dizaine de solutions étudiées par l'ONU. » De plus, la nouvelle donne de la directive européenne RED III, qui a accentué la hiérarchie d'usage de la biomasse, pourrait également privilégier la production de biochar. « Nous n'avons pas le choix, il faut reprendre le CO2 en trop dans l'atmosphère et développer 10 gigatonnes de puits de carbone par an d'ici à 2050 pour respecter l'Accord de Paris. Le biochar fera partie de la réponse. »

Réactions1 réaction à cet article

Les présentations faites par les intervenants lors de cette Journée Technique du RISPO sur les biochars seront accessibles sur le site rispo.org pour les adhérents et participants

RISPO | 19 décembre 2023 à 13h15 Signaler un contenu inapproprié

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