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Projet Inspira : l'annulation de l'autorisation environnementale unique est confirmée en appel

Le 23 janvier 2024, la CAA de Lyon a confirmé l'annulation de l'arrêté préfectoral portant autorisation environnementale relatif au projet d'aménagement en zone industrialo-portuaire Inspira en raison d'une incompatibilité avec les objectifs du Sdage.

DROIT  |  Commentaire  |  Aménagement  |  
   
Projet Inspira : l'annulation de l'autorisation environnementale unique est confirmée en appel
Marius Combe et Charline Gillot
Respectivement avocat associé et élève-avocate, Hélios Avocats
   

Dans la présente affaire, la société publique locale (SPL) Isère Aménagement s'était vue confier par contrat l'aménagement d'un projet de zone d'aménagement concerté (ZAC) de 336 hectares (ha) en extension de l'actuelle zone industrialo-portuaire (ZIP) de Salaise/Sablons, située en Isère. Dénommé « Inspira » (ou « Espace industriel responsable et multimodal »), ce projet visait à poursuivre le développement de la zone en permettant la création de nombreux aménagements, dont la construction d'un quai, la création d'une plateforme multimodale ainsi que la réalisation de voies routières et ferroviaires.

En dépit des insuffisances révélées par l'autorité environnementale (1) et d'un avis défavorable de la commission d'enquête (2) , le projet avait été déclaré d'utilité publique par un arrêté préfectoral du 18 décembre 2019 (3) . Le lendemain, le préfet de l'Isère délivrait à la SPL Isère Aménagement une autorisation environnementale unique portant autorisation au titre de la loi sur l'eau, autorisation de défrichement et dérogation aux interdictions d'atteinte aux espèces protégées (4) .

Ces deux actes étaient attaqués par l'association Vivre Ici Vallée du Rhône environnement.

Par jugement du 31 janvier 2023, l'arrêté du 18 décembre 2018 déclarant d'utilité publique le projet Inspira était annulé dans son intégralité par le tribunal administratif de Grenoble.

L'arrêté du 19 décembre 2018 portant autorisation environnementale unique ayant également fait l'objet d'une annulation en première instance par cette même juridiction (5) , un appel avait été interjeté par la SPL Isère Aménagement et le ministre de la transition écologique.

Dans un arrêt du 23 janvier 2024 dernier, la cour administrative d'appel de Lyon a confirmé l'annulation de l'arrêté préfectoral portant autorisation environnementale du projet Inspira en raison d'une incompatibilité avec les objectifs du Schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage) Rhône-Méditerranée (I), en excluant toute possibilité de régularisation sur le fondement de l'article L. 181-18 du code de l'environnement (II).

I. L'incompatibilité du projet d'aménagement avec les orientations du Sdage

Conformément à l'article L. 212-1 du code de l'environnement, les programmes et décisions administratives pris dans le domaine de l'eau – au titre desquels figurent notamment les autorisations environnementales – doivent être « compatibles ou rendus compatibles avec les dispositions des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux ».

Afin d'apprécier cette compatibilité, le Conseil d'État (6) avait pu préciser qu'il appartient au juge administratif « de rechercher, dans le cadre d'une analyse globale le conduisant à se placer à l'échelle de l'ensemble du territoire couvert, si l'autorisation ne contrarie pas les objectifs qu'impose le schéma, compte tenu des orientations adoptées et de leur degré de précision, sans rechercher l'adéquation de l'autorisation au regard de chaque disposition ou objectif particulier ».

Dans le cadre de son analyse globale, la cour constate, tout d'abord, l'existence de neuf orientations fondamentales du Sdage Rhône-Méditerranée 2022-2027 traitant les grands enjeux de la gestion de l'eau, notamment économiser l'eau et s'adapter au changement climatique, réduire les pollutions et protéger la santé, préserver et restaurer les cours d'eau en intégrant la prévention des inondations, préserver les zones humides, la mer Méditerranée et la biodiversité.

Procédant ensuite à une analyse in concreto des aspects environnementaux du projet d'aménagement, le juge relève, en premier lieu, la particulière sensibilité du milieu naturel et aquatique, constitué des dernières grandes zones humides relictuelles de la vallée du Rhône, présentant un grand potentiel écologique classé Natura 2000 et réserve naturelle nationale. En second lieu, il prend acte du classement par le Sdage du territoire de la nappe alluviale du Rhône court-circuité de la plaine de Péage de Roussillon en déficit quantitatif. En troisième lieu, la cour rapporte les incertitudes formulées par la mission régionale d'autorité environnementale (Mrae) dans son avis du 20 février 2018 sur la nature des prélèvements devant permettre au projet de satisfaire ses besoins en eau ainsi que le risque d'aggravation du déficit quantitatif de la nappe du Rhône court-circuité identifié par la commission d'enquête dans ses conclusions du 27 juillet 2018.

En dépit de l'existence de prescriptions préfectorales restreignant les prélèvements en eau et imposant à la SPL Isère Aménagement de sélectionner les entreprises susceptibles de s'implanter sur le site en appliquant un critère relatif à l'usage de l'eau, la cour juge que le projet Inspira n'est pas compatible avec les objectifs et les orientations Sdage 2022-2027 du bassin Rhône-Méditerranée, compte tenu :

-          de l'ampleur du projet ;

-          des besoins en eau qu'il génère ;

-          de l'aggravation du déficit de la nappe résultant de l'accroissement des besoins sans planification équilibrée de la ressource en eau ;

-          de la haute valeur écologique de la zone.

L'autorisation délivrée au titre de la loi sur l'eau étant illégale, il revenait alors à la juridiction de se prononcer sur les possibilités de régularisation de cet acte et, à défaut, sur le sort de l'autorisation de défrichement et la dérogation aux interdictions d'atteinte aux espèces protégées.

II. L'impossibilité de régulariser l'autorisation environnementale unique

Afin d'éviter l'annulation définitive de son autorisation délivrée au titre de la loi sur l'eau, la SPL Isère Aménagement avait logiquement entendu se prévaloir des possibilités de régularisations offertes par l'article L. 181-18 du code de l'environnement.

Créées par une ordonnance du 26 janvier 2017, ces dispositions dotent en effet le juge administratif de pouvoirs étendus lui permettant, soit de sursoir à statuer pour permettre la régularisation de l'autorisation environnementale attaquée, dès lors que les vices sont susceptibles d'être régularisés, soit de limiter la portée ou les effets de l'annulation qu'il prononce lorsque le vice qu'il retient n'affecte qu'une phase de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale ou une partie de cette autorisation.

Afin de faire droit à la demande de la requérante, il revenait à la cour de vérifier si le vice entraînant l'illégalité de l'autorisation environnementale unique attaquée lui apparaissait, au vu de l'instruction, susceptible d'être régularisé par une décision modificative. La mise en œuvre de l'article L. 181-18 ayant fait l'objet d'une abondante jurisprudence, le juge administratif avait notamment pu considérer comme régularisables les vices tirés d'une insuffisance de l'étude d'impact, d'une absence d'information suffisante du public, notamment concernant la présentation par le pétitionnaire de ses capacités techniques et financières (7) , d'une insuffisance du montant des garanties financières exigées en matière de projets éoliens (8) ou bien encore d'un défaut de demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées (9) . Transposant la jurisprudence du Conseil d'État rendue dans le cadre de la procédure analogue de régularisation ou d'annulation partielle des autorisations d'urbanisme (10) , la cour administrative d'appel de Nantes avait pu juger, à propos d'un arrêté portant autorisation d'exploiter un parc éolien, que ce dernier ne pouvait donner lieu, ni à une annulation partielle, ni à un sursis à statuer dans l'attente de sa régularisation, dans la mesure où il ne pourrait être remédié aux atteintes du projet sans lui apporter « un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même » (11) .

Au cas présent, la cour d'administrative d'appel de Lyon écarte toute possibilité de régulariser le projet sur le fondement de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, notamment par un complément d'étude d'impact ou par une autorisation modificative sur le fondement du 2° du I de l'article L. 181-18 du Code de l'environnement, compte tenu :

-          de son ampleur ;

-          de sa contrariété au regard du Sdage applicable ;

-          de l'absence de PGRE (12) applicable.

Partant, une dernière solution pour la SPL Isère Aménagement aurait été d'obtenir de la part de la cour qu'elle limite la portée de l'annulation à la seule autorisation délivrée au titre de la loi sur l'eau, et non à l'ensemble des autres composantes de l'autorisation environnementale unique. Comme avait pu le préciser le Conseil d'État, le 1° du I de l'article L. 181-18 permet en effet au juge administratif « de prononcer des annulations limitées soit à une ou plusieurs des anciennes autorisations désormais regroupées dans l'autorisation environnementale, soit à certains éléments de ces autorisations à la condition qu'ils en soient divisibles » (13) .

La cour relève cependant que l'autorisation de défrichement et la dérogation espèces protégées concernaient l'ensemble du projet et que, leur délivrance ayant été justifiée pour permettre la réalisation des travaux objet de l'autorisation loi sur l'eau, l'annulation de cette dernière faisait perdre toute finalité aux deux autres composantes de l'autorisation unique. Elle conclut, dès lors, que ces dernières doivent en l'espèce être regardées comme étant nécessairement viciées par l'illégalité de l'autorisation délivrée au titre de la loi sur l'eau.

Dans ces conditions, l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Isère du 19 décembre 2018 sans faire application des dispositions de l'article L. 181-18 est confirmée en appel.

Conclusion. Dans le prolongement de récentes décisions juridictionnelles prononçant l'annulation de grands projets d'aménagements (14) , l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon interroge sur le devenir de tous ceux dont les incidences négatives sur l'environnement et la santé excèdent de manière disproportionnée les bénéfices attendus. En sus des enjeux traditionnels relatifs à la préservation des espèces et des habitats naturels, ou encore des paysages, la raréfaction croissante de la ressource en eau, combinée aux objectifs nationaux en matière de réduction des émissions de gaz à effets de serre et de lutte contre l'artificialisation des sols, sont des paramètres déterminants de la légalité d'un projet. Partant, ceux-ci doivent être intégrés le plus en montant possible dans les projets d'aménagement et se traduire de manière plus effective dans ces derniers à travers la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC), dont la mise en œuvre est encore trop souvent insuffisante.

1. Mrae, avis, 20 févr. 2018, n° 2017-ARA-AP-00482 ; CGEDD, Autorité environnementale, avis, 10 juill. 2019, n° 2019-64 ; CGEDD, Autorité environnementale, avis, 5 mai 2021, n° 2021-192. Commission d'enquête du projet Inspira, conclusions, 27 juill. 20183. A. préfect. n° 38-2018-12-18-005, 18 déc. 2018, déclarant d'utilité publique le projet Inspira4. A. préfect. n° 38-2018-12-19-001, 19 déc. 2018, portant autorisation unique du projet Inspira5. TA Grenoble, 4 mai 2021, n° 19028056. CE, 21 nov. 2018, n° 408175 : Lebon T. ; CE, 25 sept. 2019, n° 418658 : Lebon T.7. CAA Bordeaux, 29 déc. 2020, n° 17BX028248. CAA Douai, 1er févr. 2024, n° 22DA007079. CAA Bordeaux, 30 mars 2021, n° 19BX01278 ; CE, 1er mars 2023, op. cit.10. C. urb., art. L. 600-5 et L. 600-5-111. CAA Nantes, 23 oct. 2020, n° 19NT0414412. Plan de gestion de la ressource en eau13. CE, 22 mars 2018, n° 415852 : Lebon14. V. notamment en ce sens : CAA Bordeaux, 10 déc. 2019, Département de la Dordogne et a.,n° 19BX02327, 19BX02367, 19BX02369, 19BX02378, 19BX02421, 19BX02422, 19BX02423, 19BX02424 ; CAA Paris, 21 déc. 2021, n° 21PA01295, ZAC « Pleyel » ; CE, 27 déc. 2022, n° 449624, centre commercial « Val Tolosa » ; CAA de Bordeaux, 7 juill. 2022, n° 21BX02843 (contournement du bourg de Beynac-et-Cazenac) ; TA de Strasbourg, 12 mai 2023, n° 1909706 (déviation de Châtenois) ; TA de Grenoble, 15 février 2024, n° 2000640 (PLU de la commune d'Huez-en-Oisans)

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