Doctorant en droit public, Université de Pau et des Pays de l’Adour, E2S UPPA, CNRS, TREE, Pau, France
Si plusieurs études ont déjà eu pour objet les communautés d'énergie, il paraît néanmoins nécessaire de réaliser un court récapitulatif de la genèse de ce dispositif juridique. Tout d'abord, l'acception « communauté d'énergie » confond deux dispositifs juridiques, issus de deux directives européennes différentes, que sont les communautés d'énergie renouvelable (1) et les communautés énergétiques citoyennes (2) . Le dispositif communauté d'énergie renouvelable fut transposé via la loi dite « Énergie Climat » (3) , qui ne fit que mentionner la communauté d'énergie citoyenne – la directive dont est issu le dispositif étant parue seulement trois mois plus tôt. L'ordonnance du 3 mars 2021 paracheva la transposition des directives en insérant un titre « Communautés d'énergie et investissement participatif » dans le code de l'énergie, ainsi que des dispositions communes aux deux dispositifs juridiques (4) . Deux types de dispositions sont ainsi présents aux articles L. 291-1 à L. 293-4 du code de l'énergie : des dispositions tenant à la composition et aux règles de gouvernance desdites communautés, et des dispositions tenant aux objets possibles de ces dernières. Si le décret du 26 décembre 2023 ne traite que du premier type de dispositions, l'étude du second type aide à la compréhension du premier.
Concernant les dispositions tenant aux objets des communautés d'énergie, ils peuvent eux-aussi être regroupés en deux types. En premier lieu, des objets économiques, lato sensu, tenant à la production, à la consommation, à la vente, à l'agrégation et au stockage de l'énergie – ainsi qu'à la fourniture de services, à ses membres, ayant trait à l'efficacité énergétique et la recharge des véhicules électriques, dans le cadre de la communauté énergétique citoyenne. En second lieu, des objets ayant trait à l'autoconsommation collective (5) – le partage, au sein de la communauté, des unités de productions qu'elle détient. À noter, enfin, que les sources d'énergie dont il est question pour la communauté d'énergie renouvelable sont, sans surprise, les énergies renouvelables, alors que l'électricité est le vecteur unique pour la communauté énergétique citoyenne – sans que celle-ci ne soit obligatoirement d'origine renouvelable. À ce stade, il est toutefois important de noter que le dispositif juridique « communauté d'énergie » « crée d'ailleurs moins une pratique qu'il ne la concrétise juridiquement » (6) . Pourtant, si l'acception « communauté d'énergie » est en sociologie une expression presque militante, il apparait que la majorité des projets utilisant ce vocable ne sont en fait que des projets d'autoconsommation collective.
Concernant les dispositions tenant à la composition et aux règles de gouvernance, alors que le droit de l'Union européenne faisait référence à une « entité juridique », les articles L. 291-1 et L. 292-1 font référence à une « personne morale autonome ». De plus, le droit français ne retient que quatre formes juridiques pour la communauté d'énergie : la société anonyme, la société par actions simplifiées, la coopérative et l'association. Aussi, les articles L. 291-1 et L. 292-1 indiquent que ces communautés reposent « sur une participation ouverte et volontaire ». À l'origine, pouvaient être membres, ou actionnaires – et cela est important pour la suite –, les personnes physiques, les petites entreprises (7) ainsi que les collectivités territoriales et leurs groupements. Par sédimentation législative, furent ajoutés de nouveaux membres ou actionnaires potentiels. Tout d'abord, la loi dite « Climat et résilience » (8) ajouta les associations (9) , puis la loi dite « d'accélération des énergies renouvelables » (10) ajouta les sociétés d'économie mixte locales et certains fonds monétaires et financiers (11) . Enfin, pour la seule communauté d'énergie renouvelable, l'article L. 291-1 du code de l'énergie ajoute une condition : que la communauté soit « effectivement contrôlée par des actionnaires ou des membres se trouvant à proximité des projets d'énergie renouvelable auxquels elle a souscrit et qu'elle a élaborés ».
Le décret du 26 décembre 2023 ajouta alors un titre IX « Communautés d'énergie », dans le livre II de la partie réglementaire du code de l'énergie, et créa les articles R. 291-1 à R. 293-1 dudit code. Par ces articles est ainsi précisé le caractère autonome des communautés d'énergie, ainsi que le fait qu'elles reposent « sur une participation ouverte et volontaire ». Aussi, pour la seule communauté d'énergie renouvelable, l'article R. 291-2 du code de l'énergie précise la condition de proximité géographique attachée au contrôle effectif d'une communauté d'énergie renouvelable. Le caractère autonome et la participation ouverte et volontaire nécessitent toutefois des explications tant ces dispositifs paraissent complexes (I.), complexité identique pour ce qui est de la condition de proximité de la seule communauté d'énergie renouvelable (II.).
I. Les dispositions communes aux communautés d'énergie renouvelable et communautés énergétiques citoyennes
1. Les conditions de participation ouverte et volontaire
Créés par le décret du 26 décembre 2023, les articles R. 291-3 et R. 292-2 du code de l'énergie indiquent que « lorsqu'un actionnaire, un associé ou un membre d'une communauté d'énergie renouvelable [et/ou d'une communauté énergétique citoyenne] souhaite quitter la communauté, et que ce départ entraîne la fin d'une relation contractuelle ayant pour objet la fourniture d'électricité, au moyen le cas échéant d'une opération d'autoconsommation collective au sens de l'article L. 315-2, les dispositions des articles L. 224-14 et L. 224-15 du code de la consommation s'appliquent pour ce qui concerne la fin de cette relation contractuelle ».
Ces dispositions sont à comprendre au regard du droit de l'Union européenne, la directive du 11 décembre 2018 énonçant en premier lieu que « les États membres veillent à ce que les clients finals, en particulier les ménages, puissent participer à une communauté d'énergie renouvelable tout en conservant leurs droits ou obligations en tant que clients finals » (art. 22). La directive du 5 juin 2019, quant à elle, indique que « les membres ou actionnaires d'une communauté énergétique citoyenne ont le droit de quitter la communauté, auquel cas l'article 12 s'applique », ledit article 12 – à l'instar des articles L. 224-14 et L. 224-15 du code de la consommation cités par les articles R. 291-3 et R. 292-2 du code de l'énergie – régissant le droit applicable au changement de fournisseur et à la résiliation du contrat de fourniture.
Si la transposition réalisée par les articles R. 291-3 et R. 292-2 semble en parfait accord avec le droit de l'Union européenne, il faut toutefois noter que le renvoi aux articles L. 224-14 et L. 224-15 plutôt qu'à un régime juridique explicité au sein de l'article est judicieux. En effet, l'article 12 de la directive du 5 juin 2019 indique – pour les contrats de fourniture d'électricité – qu'« au plus tard en 2026, la procédure technique de changement de fournisseur est effectuée en 24 heures au plus, et peut être réalisée n'importe quel jour ouvrable ». Cette modalité n'est pas prévue à l'article L. 224-14 du code de la consommation, et nécessitera une réécriture, au plus tard en 2026.
2. La détermination du caractère autonome
Le dispositif juridique « communauté d'énergie » est, rappelons-le, au moins en partie à destination de la société civile. Il est pourtant difficile de synthétiser les dispositions des articles R. 291-1 et R. 292-1 du code de l'énergie, si bien que l'on se pose la question de leur applicabilité par ladite société civile.
Il faut tout d'abord rappeler que les articles L. 291-1 et L. 292-1 du code de l'énergie disposent que les communautés d'énergie sont des personnes morales « autonomes » « au sens de l'article 3 de l'annexe à la recommandation de la Commission du 6 mai 2003 concernant la définition des micro, petites et moyennes entreprises (2003/361/ CE) ». L'article 3 de l'annexe de cette recommandation nous apprend qu'une « entreprise autonome » est une entreprise qui ne peut être considérée comme une « entreprise partenaire » ou une « entreprise liée » d'une entreprise en amont. Cette considération peut être validée si, peu ou prou, l'entreprise amont détient 25 % du capital ou des droits de vote de l'entreprise aval, et/ou exerce une influence dominante sur celle-ci. À noter aussi que les petites et moyennes entreprises membres des communautés d'énergie renouvelable, et les petites entreprises membres des communautés énergétiques citoyennes doivent elles-mêmes être autonomes.
Le décret ajoute donc de nouvelles limites à la détention inférieure à 25 % du capital ou des droits de vote par une entreprise amont, si celle-ci détient donc entre 10 % et 25 % des droits de vote (12) . Dans ce cas, les salariés de ladite entreprise amont ne peuvent détenir individuellement plus de 10 % des droits de vote des communautés d'énergie. Conjointement, les salariés de ladite entreprise amont ne peuvent détenir plus de 33 % des droits de vote, et à cela s'ajoute la condition que l'entreprise amont et ses salariés à la détention conjointe, ne peuvent conjointement détenir plus de droits de vote que les autres membres réunis – 25 % de détention de l'entreprise et 33 % de ses salariés pouvant, sinon, dépasser la majorité des droits de vote.
Enfin, se rajoute une ultime condition : une entreprise et ses salariés ne doivent pas, réunis, détenir plus de 40 % des droits de vote. De prime abord, cette condition parait inutile du fait de la condition précédente de prohibition de la détention de la majorité des droits de vote par une entreprise et ses salariés. Cette condition ne peut se comprendre qu'à la lecture des articles L. 291-3 et L. 292-4 du code de l'énergie : « Une catégorie de personnes […] est présumée exercer un contrôle effectif lorsqu'elle dispose, directement ou indirectement, d'une fraction des droits de vote supérieure à 40 % et qu'aucune autre catégorie ne détient directement ou indirectement une fraction supérieure à la sienne ». Cette définition du contrôle effectif par la disposition d'une fraction des droits de vote supérieur à 40 % a été insérée par l'article 3 de la loi dite « d'accélération des énergies renouvelables ». Issu de l'amendement n° 2728 (rectifié) du Gouvernement (13) , adopté sans discussion (14) , il n'a pour d'autre justification qu'« ainsi, les entités autorisées à participer aux CER et aux CEC sont celles qui ne remettront pas en cause l'autonomie de la Communauté d'énergie ». Le même amendement indique d'ailleurs que cette règle des 40 % était mise en place en prévision du décret étudié (15) – alors en cours d'élaboration –, ce qui renseigne bien sur la pyramide des normes inversée du secteur de l'énergie. Cette règle des 40 % est, d'ailleurs, une application classique du droit des sociétés relative à la présomption de contrôle (16) . L'application de cette condition à toutes les communautés d'énergie interroge, celles-ci ne prenant pas forcément la forme de sociétés commerciales. Ironiquement, le Gouvernement, en imposant la présomption de contrôle, appose une présomption de commercialité aux communautés d'énergie. À cela s'ajoute, pour la seule communauté d'énergie renouvelable, l'article R. 291-2 du code de l'énergie disposant que « lorsque la communauté est constituée sous forme de société anonyme ou de société par actions simplifiées, la participation des collectivités territoriales ou de leurs groupements à son capital répond aux conditions posées aux articles L. 2253-1, L. 3231-6 et L. 4211-1 du code général des collectivités territoriales » – défiance supplémentaire vis-à-vis de la forme sociétaire.
Enfin, la condition d'autonomie interroge en ce qu'elle s'applique aux deux communautés, alors que le droit de l'Union européenne ne la prévoyait que pour la seule communauté d'énergie renouvelable (17) . D'ailleurs, la version de l'article L. 292-1 issue de l'ordonnance du 3 mars 2021 ne faisait aucune référence au caractère autonome de la communauté énergétique citoyenne, cette référence ayant été incorporée par la loi dite « d'accélération des énergies renouvelables ». Cette incongruité est elle-aussi ajoutée par l'amendement n° 2728 (rectifié) du Gouvernement, toujours sans aucune discussion et sans aucune explication dans l'exposé sommaire dudit amendement.
II. Des conditions de proximité asymétriques
Le décret insère un article R. 291-2 dans le code de l'énergie, article précisant la condition de proximité du 3° de l'article L. 291-1 du même code (18) . Selon l'article L. 291-1, la communauté d'énergie renouvelable « est effectivement contrôlée par des actionnaires ou des membres se trouvant à proximité des projets d'énergie renouvelable auxquels elle a souscrit et qu'elle a élaborés ». Ce contrôle effectif est, rappelons-le, présumé lorsqu'un des membres dispose de plus de 40 % des droits de vote. Le contrôle effectif est ainsi subordonné à une condition de proximité qui, selon l'article R. 291-2 du code de l'énergie, est différent en fonction du type de membre concerné.
Si le membre est une personne physique, il doit résider dans le département d'implantation de l'un des projets, ou dans un département limitrophe. Si le membre est une petite ou moyenne entreprise, son siège social ou l'un de ses établissements secondaires doit être situé dans le département d'implantation de l'un des projets, ou dans un département limitrophe. Si le membre est une association, les conditions sont encore plus complexes, car il faut que parmi l'ensemble des membres de l'association, au moins vingt soient des personnes physiques résidant dans le département d'implantation de l'un des projets, ou dans un département limitrophe.
Si le membre est une collectivité territoriale, le critère de proximité est différent, car la collectivité ne doit pas être située à proximité de l'un des projets, mais bien de « chacun des projets d'énergie renouvelable auxquels la communauté a souscrit et qu'elle a élaborés ». Le périmètre déterminé pour une commune est son territoire ou celui du groupement auquel elle appartient, ou sur le territoire d'une commune ou d'un groupement limitrophe. Le périmètre déterminé pour un département est son territoire ou celui d'un département limitrophe. Enfin, le périmètre pour une région, est strictement le territoire de celle-ci.
Il n'y a donc pas un unique critère géographique, mais bien une myriade de critères géographiques attachés à la nature du membre contrôlant effectivement la communauté d'énergie renouvelable. Tout d'abord, et dogmatiquement, il est dommage de ne pas avoir une condition unique, en lieu et place d'un condition ratione personae. Aussi, pour le Conseil national d'évaluation des normes, la « rédaction semble ainsi ignorer que les CER ne répondent pas, de facto, aux frontières administratives qu'elles soient communales, intercommunales, départementales ou régionales » (19) . Autrement dit : la carte n'est pas territoire. Enfin, et surtout, cette myriade de critères pose problème eu égard à la liquidité possible des parts sociales d'une communauté d'énergie. Cette liquidité pourrait, selon les cas, s'opposer frontalement à la condition de contrôle effectif du fait des différences flagrantes entre chacun des sous critères géographiques.
Au surplus, il faut mentionner que les personnes physiques, les petites et moyennes entreprises, les associations et les collectivités territoriales ne sont pas les seuls membres pouvant disposer du contrôle effectif d'une communauté d'énergie renouvelable. En effet, les SEM et certains fonds monétaires et financiers introduits par la loi dite « d'accélération des énergies renouvelables », n'ont pas, encore, de critère géographique – alors même que, rappelons-le, l'ajout des dispositions par amendement du gouvernement avait pour objectif de « garantir une meilleure assise législative au décret relatif aux communautés d'énergies actuellement à l'étude au conseil d'État ».
Conclusion
Ce décret du 26 décembre 2023 est d'une grande complexité, questionnant sur son appropriation citoyenne. Le régime du seul décret est complexe, mais il faut en plus le penser en combinaison avec les différents objets des communautés d'énergie, en premier lieu le régime juridique de l'autoconsommation collective. De plus, le décret ne répond pas à toutes les questions que l'on pouvait se poser sur le régime juridique des communautés d'énergie (20) . Enfin, comme l'indique bien la Commission de régulation de l'énergie, l'on « observe (…) que le projet de décret ne donne pas de droit ou d'avantage nouveau aux communautés d'énergie en plus des dispositifs existant déjà » (21) .