Le Comité pour la fiscalité écologique (CFE), présidé par Christian de Perthuis, a adopté le 18 avril deux avis, dont celui sur la question sensible du différentiel de taxation entre le diesel et l'essence. Il demande au Gouvernement d'ici le 16 mai 2013 d'examiner différents scénarios de réduction de ce différentiel.
L'avis a été adopté par consensus. Maix deux organisations syndicales ont voté contre (FO, CFE-CGC) tandis que sept autres membres du comité se sont abstenus (Medef, Afep, UPA, CGPME, Martial Saddier, CLCV et FNSEA).
Un écart de taxation plus important que dans la moyenne de l'UE
Le comité établit tout d'abord un diagnostic. Que dit-il ? D'abord que l'écart de taxation en faveur du gazole est plus important en France (17 cts/l) que dans la moyenne de l'UE (12 cts/l) où les situations sont toutefois très variables : absence d'écart depuis le 1er janvier 2013 au Royaume-Uni contre un écart de 18 centimes en Allemagne.
Le gazole a bénéficié historiquement d'une fiscalité préférentielle en raison de son utilisation majoritairement professionnelle, rappelle le comité. "Le taux réduit de TICPE du diesel par rapport à l'essence a représenté une perte de recettes de 6,9 milliards d'euros en 2013, que la Cour des comptes recommande de qualifier de dépense fiscale", relève l'avis.
Cet écart de taxation a progressivement conduit les constructeurs automobiles, en particulier français, à équiper les voitures de moteur diesel. A cela se sont ajoutés les effets pervers d'un système de bonus/malus qui a favorisé l'achat de petits véhicules diesels à faible émission de gaz à effet de serre. Sans oublier la taxe sur les véhicules de société et la taxe sur la carte grise, toutes deux étalonnées sur les émissions de CO2, ni la déduction de TVA pour les professionnels également favorable au gazole. "Avant même l'achat du carburant, il existe donc toute une série d'incitations à l'achat de véhicules au diesel", soulignait Guillaume Sainteny, maître de conférence à l'Ecole Polytechnique devant la commission du développement durable de l'Assemblée le 27 mars dernier.
Résultats : plus de 72% des véhicules neufs immatriculés en France sont des diesels et près de 60% du parc automobile est équipé de moteur diesel. "La part du gazole dans le total des consommations de carburants dépasse 80% en France, contre moins de 70% dans l'UE", constate le comité.
Cela conduit à un déséquilibre de l'industrie nationale du raffinage. "Les raffineries françaises ne peuvent pas, sans investissements lourds, produire davantage de gazole à partir d'un litre de pétrole brut qu'elles ne le font aujourd'hui", explique l'avis. Conséquences : la France a dû importer plus de 50% de sa consommation de gazole, pour un coût de 13 Md€ si on déduit les exportations d'essence.
Vingt ans pour renouveler 90% du parc
Les véhicules diesel consomment moins de carburant et émettent moins de CO2 au kilomètre que les véhicules essence. Ce qui permet d'ailleurs au comité de dire qu'"un prix au litre équivalent pour les deux carburants se traduirait donc toujours par un avantage financier au kilomètre en faveur du gazole". En revanche, la combustion d'un litre de gazole émet 15% de gaz à effet de serre de plus que la combustion d'un litre d'essence.
En ce qui concerne la pollution atmosphérique locale, la comparaison est défavorable au gazole. Les émissions de NOx sont supérieures de 72% et celles de PM10 de presque 4.000% par rapport à l'essence, selon des chiffres de la Commission européenne avancés par le comité. Les émissions de particules, pour lesquelles la France fait l'objet de poursuites devant la Cour de justice de l'UE, expliquent le caractère cancérogène des gaz d'échappement des moteurs diesel reconnu par l'OMS en 2012.
La fiscalité actuelle est héritée de la TIPP introduite par la loi de finances pour 1928 avec un objectif de rendement et non un objectif environnemental, souligne le comité. Même si les véhicules diesel respectant les normes les plus récentes ramènent, dans le meilleur des cas, leur rejets de polluants au niveau des moteurs essence, "il faut environ 8 ans pour renouveler 50% du parc et 20 ans pour en renouveler 90%", relève le comité. "La justification de l'écart de taxation en faveur du gazole ne peut pas être apportée par des considérations environnementales", conclut-il.
Pour Yannick Jadot, eurodéputé EELV, "le diesel est un piège pour la santé et l'environnement puisqu'il entraînerait 16.000 morts par an dans notre pays, soit quatre fois plus que les accidents de la route ! C'est aussi un mensonge pour les acheteurs puisque ce n'est rentable qu'à partir du moment où ils roulent plus de 20.000 km/an, et un entêtement français qui s'avère coûteux pour le contribuable français".
Des exonérations sectorielles non justifiées au plan environnemental
De plus, le taux de la taxe intérieure de consommation (TICPE) sur le gazole fait l'objet de nombreuses mesures dérogatoires "à finalités généralement sectorielles", précise l'avis. Les bénéficiaires ? Le transport routier de marchandises, le transport en commun de voyageurs par la route, les exploitants agricoles, le BTP, les travaux forestiers, les taxis… Ces mesures bénéficient également aux agrocarburants et aux gaz de pétrole.
"L'ensemble de ces mesures (…) ont représenté des dépenses fiscales de plus de 3 Mds € en 2011. Elles ont, pour la plupart, été jugées inefficaces par le comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales d'août 2011", indique l'avis adopté par le comité. Ce dernier considère que ces soutiens sectoriels envoient des incitations indésirables sur le plan environnemental. D'où sa recommandation de voir "étudiées des méthodes alternatives permettant de concilier" ces soutiens avec le "verdissement de notre système fiscal".
Examiner différents scénarios de réduction de l'écart
Au final, le comité demande au Gouvernement d'examiner différents scénarios de réduction progressive du différentiel de taxation, en accompagnant ces scénarios d'études d'impact sur la compétitivité des entreprises et le pouvoir d'achat des ménages, afin d'identifier l'ensemble des mesures d'accompagnement à mettre en place pour les plus touchés.
Le Comité français des constructeurs d'automobiles (CCFA) s'oppose par avance à toute hausse éventuelle des taxes sur le diesel. "On va grever le budget des ménages et donc leur donner moins d'argent pour remplacer les voitures de plus de 15 ans qui sont l'essentiel du problème, c'est une double peine", a réagi son porte-parole François Roudier.
De la même façon, l'Automobile Club Association, principale organisation de défense des automobilistes, préconise "de mener une politique d'aide au remplacement des véhicules diesel anciens plutôt que de taxer injustement tous les possesseurs de véhicules diesel". Et de proposer également une autre piste, sans doute moins réaliste compte tenu des finances publiques : "Pourquoi ne pas plutôt envisager l'alignement de la taxation de l'essence sur celle du diesel ?".
Le CFE ne l'exclut d'ailleurs pas formellement puisque, prudent, il demande l'étude des "différents scénarios de réduction progressive de cet écart". Comme le relevait Guillaume Sainteny le 27 mars dernier, le gazole n'est pas sous-taxé. Ce qui pose problème c'est l'écart de taxation entre les deux carburants, car cet écart crée une incitation. "Les deux devraient chacun faire un bout de chemin", estime le spécialiste de la fiscalité écologique.
"Je peux partager l'objectif de rapprocher sur le long terme la fiscalité sur les deux carburants (…), admet Fabienne Keller, sénatrice UMP du Bas-Rhin. Mais "une telle mesure ne peut être envisagée sans un accompagnement financier et structurel de nos constructeurs nationaux", estime la vice-présidente de la commission des finances du Sénat qui craint que cette fiscalité n'ait d'autre but que de dégager une nouvelle recette pour financer le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE). "Pour que la mesure de rééquilibrage soit acceptable, elle devrait s'accompagner de mesures d'adaptation pour les particuliers et les entreprises", estime également Jean-Paul Chanteguet, le président socialiste de la commission du développement durable de l'Assemblée.
De leur côté, plusieurs associations de protection de l'environnement (FNH, FNE, WWF et RAC) se sont félicitées dans un communiqué commun du travail effectué par le comité qui devra, d'ici mai, documenter précisément l'impact d'un tel rattrapage. La balle sera alors totalement dans le camp du Gouvernement qui, malgré les divergences de la ministre de l'Ecologie, Delphine Batho, et du ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg, devra trouver une position commune. Il s'agira, en premier lieu, de savoir si une première mesure doit être inscrite dans le projet de loi de finances pour 2014.