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Éolien : la prise en compte de la dimension littéraire d'un paysage, quelles conséquences opérationnelles ?

Le Conseil d'État a confirmé l'arrêt de la CAA de Versailles sur le refus de délivrance d'une autorisation environnementale pour la construction et l'exploitation d'un parc éolien, du fait de la valeur patrimoniale du lieu concerné.

DROIT  |  Commentaire  |  Energie  |  
Droit de l'Environnement N°329
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°329
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Éolien : la prise en compte de la dimension littéraire d'un paysage, quelles conséquences opérationnelles ?
Paul Elfassi et Alice Durand
Respectivements avocat associé et avocate collaboratrice, BCTG Avocats
   

Par un arrêté du 15 octobre 2020, la préfète d'Eure-et-Loir a refusé de délivrer une autorisation environnementale pour un parc composé de huit éoliennes d'une hauteur totale de 150 mètres, au motif que le projet portait atteinte à la commune d'Illiers-Combray. Cette dernière bénéficie d'un classement au titre des sites patrimoniaux remarquables et comprend dans son périmètre, notamment, une église, un ancien château et des jardins préservés en amont et en aval du village, eux-mêmes protégés au titre des monuments historiques. Pour justifier son refus, la préfète d'Eure-et-Loir s'est fondée sur le fait que ce patrimoine est évoqué dans l'œuvre de Marcel Proust « Du côté de chez Swann ».

La cour administrative d'appel de Versailles ayant été saisie d'un recours contre cet arrêté de refus, a confirmé sa légalité au motif que le projet portait effectivement atteinte à la commune d'Illiers-Combray et son environnement immédiat tels qu'illustrés dans l'œuvre littéraire de Marcel Proust (1) .

Contrairement à ce qu'il a pu être dit sur cette affaire, la seule circonstance que les lieux en cause soient décrits dans une œuvre littéraire n'a pas suffi à fonder juridiquement la décision des juges. En effet, la cour avait, d'abord, rappelé le caractère protégé du village d'Illiers-Combray et des éléments qui le composent ou l'entourent.

Elle avait rappelé que certaines parties du village d'Illiers-Combray avient été classées comme un site patrimonial remarquable (SPR), en application de l'article L. 631-1 du code du patrimoine, qui a le caractère d'une servitude d'utilité publique affectant « l'utilisation des sols et a pour objet de protéger, conserver, et mettre en valeur son patrimoine culturel et notamment, en l'espèce, l'esthétique du bourg et de son clocher, ainsi que le parcours pédestre de découverte de plusieurs sites liés à la vie ou à l'œuvre de Marcel Proust. En outre, le clocher de l'église d'Illiers-Combray et le jardin romantique à l'anglaise du Pré Catelan situé à proximité près du Loir, dessiné par Jules Amiot, oncle de Marcel Proust, font l'objet d'un classement au titre des monuments historiques » (cons. 6).

La cour avait ensuite constaté, à l'appui des photomontages présents dans le dossier, que les éoliennes « seraient très clairement visibles depuis certains lieux se situant au sein du périmètre de ce site patrimonial remarquable d'Illiers-Combray ou à sa périphérie »(cons. 7).

À cette occasion, elle avait relevé que le projet serait visible « notamment à l'entrée du village depuis la route départementale 921, à plusieurs endroits des circuits pédestres qui serpentent à l'intérieur ou à l'extérieur de ce site, et en particulier depuis le hameau de Tansonville, aux abords du moulin de la Ronce, et sur l'itinéraire du sentier du côté de Méséglise et à Méréglise, dans le prolongement du clocher de l'église » (cons. 7).

La cour avait donc conclu qu' « eu égard à l'ensemble de ces éléments, à la configuration des lieux, à la taille des éoliennes projetées, et à ces enjeux de covisibilité, la réalisation du projet de parc éolien de la vallée de la Thironne risquerait de porter une atteinte significative non seulement à deux monuments historiques, mais aussi au site remarquable classé et à l'intérêt paysager et patrimonial du village d'Illiers-Combray, où des acteurs publics et privés réalisent des actions culturelles autour de l'œuvre de Marcel Proust, dont les évocations littéraires sont encore pour partie matériellement inscrites dans ces lieux » (cons. 8).

On le voit, les circonstances de l'affaire étaient très particulières, qu'il s'agisse des classements de protection relatifs aux lieux, à leur intérêt, et aux covisibilités significatives et nombreuses avec le projet.

Dans sa décision du 4 octobre 2023 (2) , le Conseil d'État a confirmé le raisonnement suivi par la cour. Il a rappelé les dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'environnement, qui vise à protéger, notamment, « l'environnement et les paysages », ainsi que la « conservation des sites et des monuments ». Il a également visé les termes de l'article L. 350-1 A du code de l'environnement, selon lequel « le paysage désigne une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l'action de facteurs naturels ou humains et de leurs interrelations dynamiques ».

Le Conseil d'État a considéré que, « pour l'application de ces dispositions, le juge des installations classées pour la protection de l'environnement apprécie le paysage et les atteintes qui peuvent lui être portées en prenant en considération des éléments présentant, le cas échéant, des dimensions historiques, mémorielles, culturelles et artistiques, y compris littéraires. » Une telle solution n'est pas complètement nouvelle.

La dimension mémorielle des cimetières militaires du nord de la France, par exemple, a déjà été prise en compte par le juge pour apprécier l'impact d'un projet éolien à leur égard (3) .

Également, le juge a déjà relevé l'intérêt « culturel » des terrils d'un ancien site minier ayant justifié un classement au patrimoine mondial de l'Unesco, ou encore la « valeur culturelle » d'un paysage associé aux romans de Georges Sand (4) .

Dans ce contexte, le Conseil d'État a rappelé le caractère juridiquement protégé du patrimoine d'Illiers-Combray avant de rappeler les visibilités et covisibilités existantes entre le projet et ce patrimoine. Certes, l'œuvre de Marcel Proust a été prise en compte dans la solution retenue, tant par la cour administrative d'appel de Versailles que par le Conseil d'État. Néanmoins, ainsi que le Conseil d'État l'a clairement relevé dans sa décision du 4 octobre 2023, le classement du patrimoine d'Illiers-Combray en tant que site patrimonial remarquable,« trouve son fondement dans la protection et la conservation de paysages étroitement liés à la vie et à l'œuvre de Marcel Proust, dont un parcours pédestre favorise la découverte » (cons. 7).En d'autres termes, l'existence de l'œuvre de Marcel Proust semble essentiellement être appréciée en tant qu'elle a justifié le classement du village d'Illiers-Combray.

Il sera effectivement rappelé qu'un tel classement, qui a « un but de protection, de conservation et de mise en valeur du patrimoine culturel », doit nécessairement résulter d'une justification conforme à l'article L. 631-1 du code du patrimoine. Il faut que les « villes, villages ou quartiers dont la conservation, la restauration, la réhabilitation ou la mise en valeur » est poursuivie, présentent « au point de vue historique, architectural, archéologique, artistique ou paysager, un intérêt public. »

Il ne saurait donc être déduit de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles, confirmé par le Conseil d'État, que seule l'existence d'une œuvre littéraire associée à un paysage suffirait pour apprécier l'impact d'un parc éolien sur ce paysage. Il faut en effet encore prendre en compte, classiquement, « l'intérêt particulier » des lieux (au sens de l'article L. 511-1, susvisé) ou le caractère juridiquement protégé, comme dans cette affaire, du patrimoine en cause.

La simple existence d'œuvres littéraires ou d'ailleurs artistiques (des peintures par exemple) faisant état de paysages concernés par un projet de parc éolien ne saurait suffire, en effet, à justifier un refus d'autorisation ou l'annulation d'une autorisation environnementale. Dans ses conclusions relatives à la décision du Conseil d'État, le rapporteur public Nicolas Agnoux indiquait d'ailleurs qu' « à l'évidence, la seule évocation d'un paysage dans une œuvre littéraire ne saurait lui conférer une immunité faisant obstacle à l'implantation de toute installation ICPE » telle que des éoliennes.

Une telle solution ne saurait d'ailleurs être admise à l'heure où elle constituerait un obstacle supplémentaire au développement des énergies renouvelables, dans un contexte où les politiques publiques nationales et internationales font preuve d'une volonté toujours plus importante d'accélération de leur développement.

Dans ce contexte, et en définitive, le rapporteur public relevait lui-même dans ses conclusions susvisées que, « sans qu'il soit nécessaire que la décision du Conseil d'État ne fige des critères qui pourraient s'avérer trop rigides pour embrasser tous les cas soumis aux juges du fond, trois facteurs paraissent devoir être réunis pour justifier un refus d'autorisation sur le fondement de l'article L. 511-1 : d'abord, la renommée de l'œuvre ou sa place particulière dans l'histoire de l'art ; ensuite, l'existence d'une relation si étroite entre et l'œuvre et un paysage inscrit dans un lieu précis que le second apparaisse immédiatement et indissociablement lié à la première ; enfin, un état de conservation des lieux suffisant, au regard de la description qui en est faite dans l'œuvre, pour que la correspondance de l'un à l'autre présente encore un enjeu. À l'aune de ces critères cumulés, le motif tiré de la composante artistique ou littéraire ne devrait être mobilisé que de manière tout à fait exceptionnelle. Dans bien des cas, ce sont les caractéristiques intrinsèques des lieux, leur beauté exceptionnelle ou leur valeur patrimoniale historique qui suffiront à justifier la préservation des paysages et des sites, que l'on pense à la Montagne Sainte-Victoire peinte par Cézanne, au site d'Etretat évoqué par Maurice Leblanc ou au château d'If du Comte de Monte-Christo » (5) .

En pratique, il ne nous semble donc pas que cette affaire ne révolutionne ni la jurisprudence ni la manière dont les projets doivent être développés. Les développeurs devront continuer de rester attentifs aux situations, dont on peut raisonnablement penser qu'elles seront exceptionnelles, dans lesquelles l'intérêt d'un paysage, qui sera sans doute protégé pour cette raison, découle de relations étroites avec une œuvre artistique considérée comme majeure.

1. CAA Versailles, 11 avr. 2022, n° 20VE032652. CE, 4 oct. 2023, n° 464855 : Lebon T.3. V. par ex., CAA Douai, 2 avr. 2020, n° 18DA01065 ; CAA Douai, 15 juill. 2020, n° 18DA02473 ; CAA Douai, 8 déc. 2022, n° 22DA013334. V. par ex., CAA Douai, 13 avr. 2021, n° 19DA02102 ; CAA Douai, 25 janv. 2022, n° 20DA00240 ; CAA Douai, 24 nov. 2022, n° 21DA02299 ; CAA Bordeaux, 6 déc. 2022, n° 20BX01650 ; v. également le « chemin de Stevenson » faisant partie de l'itinéraire culturel du Conseil de l'Europe « sur les traces de R.L. Stevenson » : CAA Marseille, 18 juin 2019, n° 17MA038125. Concl. rapporteur public sous CE, 4 oct. 2023, n° 464855

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