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Eaux souterraines : pour une approche globale et décloisonnée

Parties intégrantes du cycle de l'eau, les nappes d'eaux souterraines nécessitent d'être mieux prises en compte et intégrées dans les politiques de gestion de l'eau, surtout avec les conséquences du changement climatique qui se profilent.

Eau  |    |  F. Roussel
Eaux souterraines : pour une approche globale et décloisonnée

La France compte des milliers de nappes souterraines, dispersées de manière variée sur le territoire, en raison des spécificités géologiques. Toutes ces nappes interagissent avec les autres milieux aquatiques, elles font donc partie intégrante du cycle de l'eau. Mais, actuellement, elles ne sont que très peu prises en compte dans la gestion territoriale de l'eau. À part dans les régions où elles sont la seule source d'eau potable, peu de territoires connaissent bien et intègrent leurs nappes dans leur réflexion. Pourtant, ils auraient tout à y gagner. Attention toutefois, de par leurs caractéristiques, les eaux souterraines impliquent une gestion différente. Pas question de leur appliquer les mêmes recettes que pour les eaux superficielles.

Des enjeux identiques aux eaux superficielles mais une réponse différente

Tout comme les eaux superficielles, les eaux souterraines sont exposées à des risques de pollution et de manque d'eau. Selon le dernier état des masses d'eau de 2013 – le prochain bilan est en cours – 10 % des masses d'eau souterraines était en mauvais état quantitatif et 23 % en mauvais état qualitatif,notamment à cause de la pollution aux nitrates. Pour Jean-Christophe Maréchal, responsable de l'unité Nouvelles Ressources en Eau et Économie au BRGM, « la qualité est la question la plus importante. Car en terme de quantité, si on régule les prélèvements, on retrouvera un bon état rapidement. C'est plus compliqué de récupérer la qualité, l'inertie est plus longue », explique-t-il. Et c'est bien cela qui caractérise les eaux souterraines, et qui en fait un milieu particulier où il faut appliquer des méthodes adaptées. « On ne gère pas les eaux souterraines comme on gère les eaux de surface », martèle le professeur Alain Dupuy, directeur de l'Ensegid. « Pour les eaux de surface, c'est cyclique, on a un renouvellement d'eau tous les ans. Pour les systèmes profonds, il faut une gestion différente puisque le cycle de recharge est supérieur à l'échelle humaine. »

Un constat partagé par Bruno de Grissac, directeur du syndicat mixte d'étude et de gestion de la ressource en eau du département de la Gironde (SMEGREG – EPTB des Nappes profondes de Gironde). Cette approche différente, à mettre en place pour les eaux souterraines, peut s'illustrer sur plusieurs points. « Face à une crise – une pollution ou une sécheresse – le constat est facile dans les rivières, il est donc partagé par les acteurs concernés. Et quand on cherche les causes, on sait se tourner vers l'amont et construire une politique de gestion. Pour les eaux souterraines, ce constat partagé n'existe pas. On ne peut pas montrer à quelqu'un l'état de la ressource. Il y a toujours le filtre de l'expert entre le milieu et les acteurs », explique le spécialiste. Associée à une temporalité différente qui nécessite de sortir des logiques habituelles, la gestion des eaux souterraines peut s'avérer complexe, ce qui, pour Bruno de Grissac, en fait un « passager clandestin » au sein des politiques de l'eau.

Un expert à la juste place

Pour remédier à cette problématique, l'hydrogéologue a un rôle clé à jouer. Mais la position de l'expert est parfois délicate. L'expert est dans une situation particulière, il doit donner des informations sur la base de ce qu'il sait mais ne pas prendre de décision. Or, le sujet étant complexe, on lui en demande trop parfois, et il peut être tenté d'en dire plus, surtout lorsqu'il travaille au sein d'une collectivité. « Quand on est fonctionnaire territorial, la décision revient à l'élu. Les experts sont là pour l'aider à prendre la décision. Il ne faut pas de confusion des genres », prévient Bruno de Grissac. Mais lorsque la décision doit être prise sur des données ponctuelles et fragmentaires, comme c'est souvent le cas pour les eaux souterraines, par manque de connaissance du milieu, la parole de l'expert est d'autant plus attendue. Il faut alors convaincre à agir tout en restant à sa place : « La politique, c'est aussi une prise de risque, estime Bruno de Grissac. Prendre une décision sans tout connaître, sans avoir de certitude absolue. Il faut alors un médiateur entre homme de science et élus. C'est ce rôle que jouent les hydrogéologues aujourd'hui. »

Le facteur aggravant du changement climatique

Et si ces experts plaident pour une gestion adaptée des eaux souterraines, c'est que le changement climatique risque de modifier le cycle de l'eau et son fonctionnement. « Le changement climatique ne va pas beaucoup modifier les quantités d'eau précipitées, mais il va modifier le type et la période des précipitations. Celles-ci vont se concentrer en hiver, puis on aura des périodes de sécheresse. Ça impactera les modèles de gestion », explique le professeur Alain Dupuy. « Les niveaux des nappes vont baisser et alimenteront moins les rivières en été. L'impact sur les débits d'étiage sera direct », prévient Jean-Christophe Maréchal, du BRGM. De nombreux cours d'eau sont alimentés par des nappes, de même que certaines zones humides. Pour l'expert du BRGM, ce pouvoir régulateur est bien souvent négligé dans l'approche globale des écosystèmes. Or, si l'eau vient à manquer en surface, on se tournera vers les eaux souterraines avec la tentation de puiser plus, sans bien en maîtriser les conséquences. Surtout si le cadre de gestion n'intègre pas les spécificités des eaux souterraines. « Le changement climatique oblige à s'interroger sur l'interaction entre les gestions des cours d'eau, du petit cycle de l'eau et des aquifères. Le système global va être modifié, il faut donc renforcer et encadrer, réglementer les interactions », estime Alain Dupuy.

Anticiper la réaction des nappes

Afin de préparer une réponse adaptée aux eaux souterraines et au cycle de l'eau dans sa globalité, il est grand temps de leur consacrer un volet à la hauteur des enjeux dans les schémas de gestion des masses d'eau. « Avec les évolutions quantitatives et qualitatives attendues, il va falloir s'adapter à ce que sera la disponibilité, prévient le professeur Dupuy, en intégrant le changement climatique dans des modèles de prévision robustes. » Certaines agences de l'eau, aidées par le BRGM, ont réalisé des simulations pour anticiper le comportement des nappes et des forages, comme sur l'aquifère du Lez à Montpellier (Hérault).

Ce forage hors-norme et unique au monde pompe 35 millions de m3 d'eau par an, soit 1 050 litres par seconde pour alimenter la métropole en eau potable. Pour l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse et la Métropole, le BRGM a simulé les impacts du changement climatique à l'horizon 2050 pour voir si les prélèvements pouvaient être augmentés en prévision de la hausse démographique attendue dans la région. « Les résultats sont encourageants. L'aquifère pourrait supporter des prélèvements accrus même avec une modification du cycle de l'eau, selon Jean-Christophe Maréchal. Même s'il faut rester prudent en raison des incertitudes des modèles. » Un exercice à multiplier selon l'expert.

Mieux exploiter le potentiel des aquifères

Connaître les scénarios d'évolution probables permettrait de mettre en place dès aujourd'hui les bonnes mesures de gestion qui, pour certaines nappes, nécessiteront des économies d'eau sur les territoires alimentés, un meilleur partage de l'eau puisée selon les usages et les usagers et, si nécessaire, une réduction des prélèvements. « Il faut définir des volumes prélevables sur une masse d'eau entre les usages (eau potable, irrigation,industrie) puis entre chaque usager, en fonction des résultats des modèles », estime Jean-Christophe Maréchal du BRGM. Il faut aussi mettre en place, en amont, des pratiques favorables à l'infiltration de l'eau dans les nappes. « Par méconnaissance, on considère les eaux souterraines comme des zones à préserver, alors qu'il faut les voir comme des réservoirs naturels dans lesquels on pourrait stocker plus », estime Bruno de Grissac. Cette approche sous-entend de faire, par exemple, la promotion des pratiques agricoles favorisant l'infiltration de l'eau plutôt que le ruissellement, ou réduire l'imperméabilisation des sols. Et pourquoi pas la recharge artificielle, encore peu développée en France ? Il existe déjà des installations de ce type en région parisienne et dans la vallée du Rhône (plus de 40 millions de m3 ar an et par dispositif) mais la France n'est pas pionnière en la matière, contrairement à l'Allemagne qui la pratique beaucoup. Un potentiel encore trop négligé en France. Pourtant, « il est aujourd'hui plus facile de mener un projet de réalimentation de nappe que de construire un barrage. Mais il faut le développer là où c'est utile et faisable. Il ne faut pas tout sanctuariser, mais il ne faut pas faire n'importe quoi non plus », estime Bruno de Grissac du Smegreg.

Adapter la gouvernance

Les acteurs de l'eau doivent également faire face à un autre enjeu : celui de la gouvernance. « La gestion de la ressource est une compétence régalienne mais peu définie et non attribuée à des entités territoriales. Autrefois les départements, à travers la clause de compétence générale prenaient à leur charge cette compétence. Mais la loi Notre d'août 2015 a supprimé cette clause. Depuis, qui intervient ? Personne », explique Bruno de Grissac. Le président du Smegreg s'est alors mobilisé pour faire évoluer la législation dans le cadre des Assises de l'eau. La loi Engagement et Proximité de décembre 2019 précise désormais que les services d'eau potable peuvent, s'ils le jugent opportun, s'impliquer dans la gestion de la ressource qualitative (pour les pollutions diffuses par exemple) ou quantitative (pour garantir la disponibilité de la ressource). « La Loi engagement et proximité permet ainsi aux services d'eau potable de gérer la ressource au-delà du périmètre de protection des captages, explique Charlotte Alcazar, directrice du syndicat de la nappe de la Crau. Jusqu'ici, les syndicats outrepassaient la loi. Cette faille juridique est désormais comblée », explique la directrice. « C'est un premier pas », se réjouit M. de Grissac qui souhaite désormais aller plus loin. « Cette démarche de qualification législative s'inscrirait dans la suite de l'exercice entamé par le législateur avec la compétence Gémapi, à savoir la définition et la normalisation du grand cycle de l'eau, qui reste à parachever. Peut-être dans le cadre d'une future loi sur la gouvernance de l'eau qui définirait le rôle et les responsabilités de l'État, des collectivités territoriales et de leurs groupements ? »

Réactions2 réactions à cet article

Les nappes sont les meilleurs des réservoirs naturels . Il va devenir urgent de intéresser à la recharge de ces nappes .
Pratiques agricoles favorisant l'infiltration, éléments fixe : bandes enherbées ,haies et talus limitants le ruisselement ...
Mais c'est avant tout l'imperméabilisation des sols qu'il faut limiter . Les collectivités doivent avoir un plan de gestion du pluvial combien en sont dotées ? En milieu urbain le pluvial est trop souvent géré avec des tuyaux qui emportent l'eau directement à la rivière sans chercher à faire infiltrer cette eau .
De même pour l'eau potable prélevée dans les nappes , elle fini en sortie de STEP dans la rivière alors que des solutions de ré-infiltration pourraient être mises en place .

balxha | 05 octobre 2020 à 20h48 Signaler un contenu inapproprié

Parfaitement d'accord avec votre commentaire, balxha.
Mais comme cela est bien précisé par un intervenant dans l'article, la question de la qualité de la ressource importe au moins autant, si ce n'est plus encore, que celle de la quantité. Des mesures strictes, impliquant divers acteurs, doivent donc être prises pour limiter autant que possible le transfert de polluants dans les nappes.

Pégase | 14 octobre 2020 à 22h58 Signaler un contenu inapproprié

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