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Éolien : les décisions notables de l'année 2023

Sébastien Bécue, du cabinet TerraNostra Avocats, nous présente sa sélection des décisions jurisprudentielles marquantes de l'année 2023 dans le domaine de l'éolien.

DROIT  |  Étude  |  Energie  |  
   
Éolien : les décisions notables de l'année 2023
Sébastien Bécue
Avocat associé, cabinet TerraNostra Avocats
   

Selon que vous soyez Nordiste ou Charentais… Une recherche sur une base de données le montre rapidement : durant une même période, on trouve beaucoup plus de décisions juridiques relatives à l'éolien que de décisions relatives aux autres catégories d'installations classées. C'est logique si l'on sait que plus de 75 % des autorisations délivrées pour un parc éolien font l'objet d'un recours, et que la quasi-totalité des refus sont également contestés. Le contentieux éolien est devenu un contentieux de masse. Entre janvier et juin 2023, on compte ainsi plus de 200 arrêts de cours administratives d'appel. Ces décisions sont riches : au-delà des questions de fond d'acceptabilité du parc discuté – impact paysager et écologique, les requérants décortiquent, dans des recours qui atteignent régulièrement la centaine de pages, chaque ligne des dispositions législatives et réglementaires applicables du code de l'environnement, pour tenter d'en déceler des failles utiles à leur cause. Le juge est devenu un acteur essentiel du développement éolien. L'avocat aussi, qui conseille en amont, relit les dossiers, recommande des analyses complémentaires, accompagne dans les discussions avec l'administration et, bien sûr, représente l'opérateur au contentieux. Une connaissance fine de la jurisprudence, en particulier celle de la cour qui statuera, est donc essentielle. On constate en effet que des tendances « locales » à juger dans un sens déterminé se dégagent au sein des cours, et que le Conseil d'État attend parfois longtemps avant de trancher clairement des questions pourtant posées dans de nombreux recours …

Déroger ou non, telle est la question. Plus de 90 arrêts statuent sur la question de la soumission d'un parc à dérogation « espèces protégées » depuis le début de l'année 2023. Pour rappel, après qu'un flou généralisé se soit mis en place au sein des juridictions sur la question de savoir si les parcs éoliens doivent ou non être soumis à dérogation « espèces protégées », le Conseil d'État s'est finalement décidé, fin 2022, à réagir en prescrivant une méthodologie d'analyse : une demande de dérogation doit être déposée lorsque, après prise en compte des mesures d'évitement et de réduction, le risque pour les espèces protégées apparaît « suffisamment caractérisé ». Formule éminemment subjective, mais majoritairement comprise par les juges du fond comme réduisant le champ de soumission des projets à la dérogation. Depuis, le Conseil d'État se montre très ferme (1) sur le respect de sa méthodologie : les juges doivent tenir compte des mesures d'évitement et de réduction proposées, et doivent vérifier si celles-ci sont susceptibles « de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé ». Une cour ne peut ainsi se borner (2) à constater que ces mesures ne « permett[ent] pas d'écarter tout risque pour les espèces concernées ».

Procéduralement, le Conseil d'État juge également que l'absence de dérogation « espèces protégées » est un vice de nature régularisable, et qu'une cour ne peut donc simplement annuler une autorisation qui ne comporterait pas de dérogation.

Le Conseil d'État, au-delà de ces rappels de méthodologie, s'est saisi de plusieurs cas pour tenter de fournir des exemples d'application. Il est par exemple jugé qu'une dérogation n'est pas nécessaire malgré des passages sur le site d'implantation de grues cendrées et milans royaux, dès lors qu'aucune zone de nidification n'a été identifiée sur le site. À l'inverse, le Conseil d'État valide un arrêt (3) soumettant un projet à dérogation au seul motif que « l'impact du projet sur les espèces protégées de chiroptères était qualifié de moyen en période de migration, en ce qui concernait tant la perte de terrains de chasse que le risque de collision et qu'il était même important pour la pipistrelle commune, puis en énumérant les mesures d'évitement et de réduction prévues » – une situation très commune concernant une espèce commune, et maîtrisable par la mise en place d'un bridage adapté… Ces efforts de pédagogie semblent plutôt montrer que les cours gardent une marge d'appréciation importante dès lors qu'elles respectent la méthodologie prescrite.

Or la question de la soumission des projets à dérogation est amenée à rester cruciale. En effet, le Conseil d'État n'a montré aucun signe d'ouverture (4) quant à la possibilité qu'une dérogation délivrée à un projet éolien soit légale depuis son dernier arrêt en la matière qui validait l'annulation d'une dérogation pour absence de raison impérative d'intérêt public majeur à la création du parc. Il faudra suivre ce qu'il advient en cassation d'un arrêt par lequel les juges toulousains ont décidé (5) à l'inverse, en se fondant de manière assez générale sur sa contribution aux objectifs nationaux, qu'un parc éolien terrestre d'une puissance – relativement moyenne – de 18 MW, relève d'une « raison impérative d'intérêt public majeur ».

Les choses ne sont pas plus simples du côté du second critère de délivrance de la dérogation – l'absence de solution alternative satisfaisante, qui n'a fait l'objet d'aucune disposition dans la loi d'accélération des énergies renouvelables : la cour administrative d'appel de Nancy vient de rendre, quant à elle, une décision à la portée très défavorable, en jugeant que l'opérateur n'a pas démontré qu'il n'existe pas d'alternative au site d'implantation choisi, alors que le site est localisé en zone de développement éolien. Selon la cour (6) , il aurait dû être démontré qu'il n'existe pas d'autres espaces plus propices à l'échelle du département, tâche ô combien difficile... La cour administrative d'appel de Toulouse s'est, quant à elle, montrée beaucoup plus conciliante (7) , en se fondant sur le fait que la zone était visée par une zone de développement éolien, qu'elle disposait, malgré son caractère boisé, d'un réseau important de voiries routières, et que la société avait étudié plusieurs implantations possibles.

Un jeu qui se joue à deux et à la fin c'est l'armée qui gagne. Alors qu'il s'agit d'un enjeu crucial pour la filière, puisque les contraintes militaires ferment une grande partie du territoire au développement éolien, les décisions du Conseil d'État sur la cohabitation entre l'armée et l'éolien vont toujours dans le même sens : le recours contre la fameuse instruction n° 1050 de la Dircam (8) qui augmentait les possibilités pour l'armée de s'opposer aux parcs éoliens est jugé sans objet (9) , puisque le ministère l'a retirée de lui-même – geste qui ressemble quand même à une reconnaissance d'illégalité, et ce quand bien même les principes de cette instruction sont toujours appliqués dans les faits... Pire, alors que la cour administrative d'appel de Lyon avait donné des espoirs aux opérateurs en annulant coup sur coup trois refus fondés sur des contraintes aéronautiques militaires, au moyen de motivations détaillées, le Conseil d'État casse ces décisions et valide la position de l'armée. Décidemment, le doute semble profiter à la Grande Muette (10) . Au Gouvernement d'agir pour libérer des espaces : il s'agit de la cause principale de la densification du motif éolien…

Couvrez ce rotor que je ne saurais voir. Rappelons que, pendant longtemps, l'appréciation de l'impact paysager d'une construction, et notamment d'un parc éolien, faisait l'objet d'une méthodologie d'analyse unique : le préfet, et le juge administratif, devaient d'abord qualifier l'intérêt du site naturel dans lequel est projeté la construction, puis évaluer, « l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site (11) ». Alors qu'une cour avait écarté la possibilité pour le préfet de tenir compte dans le cadre de cette analyse du risque de covisibilité entre un parc et un élément du patrimoine protégé, le Conseil d'État indique (12) assez logiquement que dans le cadre de l'analyse de l'impact de la construction, il doit être tenu compte de « l'ensemble des éléments pertinents » et notamment « la covisibilité du projet avec des bâtiments remarquables ».

Avec la densification de certaines zones du territoire, des requérants ont commencé à arguer que la présence d'un ou plusieurs parcs éoliens à proximité de leur lieu de résidence pourrait avoir un impact sur la qualité de leur vie, sur la commodité du voisinage ; et cela, indépendamment de la qualité paysagère de leur lieu de vie. L'Administration a entendu cette préoccupation croissante et a défini des indices permettant de caractériser l'existence d'une situation de saturation visuelle. Puis certains juges du fond ont donné prise à ces indices et à l'argument, tout en rappelant que le seul recours aux indices ne pouvait fonder un refus d'autorisation.

Par un arrêt important, le Conseil d'État a finalement une base légale à ce principe en jugeant explicitement qu'un parc éolien peut dans certaines conditions être considéré comme présentant « des inconvénients excessifs pour la commodité du voisinage auxquels les mesures de réduction envisagées par la société pétitionnaire ne permettaient pas de remédier ».

Une cour peut ainsi tenir compte des critères suivants pour rejeter un projet éolien : le nombre de parcs construits ou en projet à proximité et les effets que cette présence induit sur le paysage, et s'appuyer sur les indices suivants : indice d'occupation de l'horizon, indice de densité sur les horizons occupés et indice d'espace de respiration, au regard de la topographie réelle des lieux (13) . En revanche, dans un arrêt du même jour, le Conseil d'État juge (14) que dès lors que la commodité du voisinage ne figure pas parmi les intérêts protégés par le code de l'urbanisme, le préfet ne peut pas refuser un permis de construire sur le fondement de la saturation visuelle.

Une fois l'autorisation devenue définitive, les requérants disposent toujours de la possibilité de former un recours en troubles anormaux du voisinage, devant le juge judiciaire. Il est aujourd'hui établi que, quelle que soit la nature du trouble, le juge judiciaire ne peut ordonner (15) le démantèlement d'un parc éolien sur ce fondement. En revanche, s'il établit l'existence d'un trouble et le caractère anormal de celui-ci, le voisin peut obtenir une indemnisation de ses préjudices. Cette possibilité a néanmoins été encadrée par la Cour de cassation, qui a jugé que l'anormalité du trouble causé par des éoliennes à leur voisinage doit être mise en balance avec l'objectif d'intérêt public poursuivi par le développement de cette énergie. L'espèce jugée (16) concernait un parc localisé dans un paysage rural ordinaire, séparé des habitations par un boisement et dont les émissions sonores étaient inférieures aux seuils réglementaires. On aurait pu s'imaginer que cet encadrement mettrait un terme à la condamnation d'opérateurs sur ce fondement de responsabilité. Ce n'est pas le cas. Un premier arrêt de la cour d'appel de Toulouse (17) condamne lourdement un exploitant éolien sur le fondement des troubles anormaux du voisinage, en reconnaissant que les voisins requérants souffraient d'un « syndrome éolien », constaté par un rapport d'expertise judiciaire. On note avec un regret certain que l'opérateur s'est désisté de son pourvoi en cassation contre cet arrêt qui semblait très discutable (18) . Plus récemment, la cour d'appel de Rennes condamne un opérateur et le vendeur d'un bien localisé à proximité du parc pour troubles de jouissance et dépréciation de la valeur immobilière du bien. S'agissant du vendeur, les juges bretons sanctionnent (19) la réticence dolosive établie lors des discussions préalables à la vente. La condamnation de l'opérateur est quant à elle fondée sur un constat d'huissier qui conclut que la construction du parc conduit à une « saturation de l'horizon dont l'effet important et permanent sur l'habitabilité d'une résidence principale ». Il n'apparaît pas évident à la lecture de cet arrêt que la situation des voisins en question soit différente de celle de milliers d'autres dont l'habitation se trouve à quelques centaines de mètres d'un parc éolien. Il faudra donc guetter le sort du pourvoi qui devrait logiquement être introduit contre cette décision

L'intérêt est principal… La question n'est pas nouvelle mais la solution, constante. Le Conseil d'État décide cette fois (20) de la trancher d'une manière semble-t-il définitive : un opérateur éolien ne peut pas introduire un recours contentieux contre l'autorisation obtenue par un concurrent. Ni du fait du risque de perte de production lié à l'effet de sillage, ni du fait du risque de projet de pale ou de fragment de pale. Les possibilités pour les tiers de former un recours contre une autorisation délivrée après annulation du refus initialement opposé sont également clarifiées : lorsque le juge délivre lui-même l'autorisation, les tiers doivent former une tierce-opposition contre l'arrêt. En revanche, lorsque le juge ne délivre pas lui-même l'autorisation mais enjoint au préfet de le faire dans un délai déterminé – solution qui tend aujourd'hui à se généraliser, alors c'est l'autorisation elle-même qui doit être attaquée, par recours direct, et non l'arrêt (21) . Autre point important : alors que les requérants ont aujourd'hui tendance à ne plus se cantonner au seul recours contre l'autorisation du projet, et à contester notamment les contrats conclus pour la maîtrise foncière du terrain et des accès, le Conseil d'État juge que la convention par laquelle une collectivité autorise une société à utiliser son domaine public – en l'espèce routier – pour l'exploitation d'un parc éolien, n'est « pas susceptible de léser suffisamment directe et certaine les intérêts défendus » par l'association de riverains. Cette dernière n'a donc pas intérêt à agir (22) contre la convention.

Quand le bateau est au milieu du fleuve, est-il trop tard pour réparer l'avarie ?

Certains juges n'hésitent parfois pas à annuler une autorisation environnementale pour des vices qui ne semblent pourtant pas avoir de conséquences sur la faisabilité du projet. Le Conseil d'État veille au grain en rappelant inlassablement les méthodologies : avant d'annuler une autorisation, le juge doit d'abord vérifier si le vice constaté est neutralisable (« danthonysable » dans le jargon des environnementalistes : ce vice a-t-il eu une influence sur le sens de la décision ou nuit à l'information du public), puis s'il n'est pas régularisable (c'est-à-dire réparable par la fourniture de compléments au dossier ou la reprise d'une étape de la procédure). Et ce n'est que si le vice n'est ni neutralisable, ni réparable que l'autorisation peut être annulée. En l'espèce, le Conseil d'État juge que (23) même si l'on peut déceler des insuffisances dans l'étude chiroptérologique, celle-ci permet quand même de disposer d'une bonne image des enjeux du site. Notons également cette décision aux termes de laquelle le Conseil d'État juge expressément (24) que la note produite directement devant le juge confirmant les capacités financières n'a pas à être produite dans le cadre d'une procédure d'information du public de régularisation, dès lors que l'irrégularité initiale n'a pas « eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ». Par ailleurs, il est jugé que si le bénéficiaire de l'autorisation a sollicité la mise en œuvre d'une régularisation, et que la mesure est d'une nature régularisable, le juge doit mettre en œuvre prioritairement cette option par rapport à celle de l'annulation partielle. D'où l'importance au contentieux de solliciter systématiquement la régularisation (25) à titre préventif.

Rien ne sert de courir. La régularisation a beau permettre de sauver de nombreuses autorisations, lorsque le fond est touché – l'intérêt paysager ou écologique particulier du site, l'annulation est encourue. S'il y a encore quelques années, des opérateurs se risquaient à construire avec une autorisation sous recours contentieux, le risque d'annulation semble accru depuis la densification du motif éolien et la montée des préoccupations de biodiversité. Un arrêt intéressant, mais à la portée limitée puisqu'il concerne un parc ancien soumis à permis de construire, précise les modalités de l'action judiciaire en démantèlement suite à l'annulation du permis. L'espèce concerne un permis annulé pour insuffisance de l'étude d'impact relative à la présence d'aigles royaux dans la zone d'implantation du parc. Le Conseil d'État juge que même si l'étude d'impact relève du code de l'environnement, son insuffisance doit être assimilée à une méconnaissance d'une règle d'urbanisme. Par ailleurs, la seule implantation du parc dans l'une des zones listées à l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme permet son démantèlement, sans qu'il soit nécessaire que le permis soit annulé pour non-conformité avec l'objectif de protection de la zone. On a vu ainsi plusieurs exemples de parcs construits dans l'obligation d'être démantelés. Et depuis la soumission de l'éolien à autorisation environnementale, la procédure de sanction semble avoir gagné en efficacité (26) .

1. CE, 22 juin 2023, n° 465839 ; CE, 22 juin 2023, n° 461394 ; CE, 11 août 2023, n° 4657512. CE, 27 mars 2023, n° 452445 ; CE, 22 juin 2023, n° 465839, op. cit.3. CE, 27 mars 2023, n° 4511124. CE, 10 mars 2022, n° 4397845. CAA Toulouse, 20 avr. 2023, n° 20TL237216. CAA Nancy, 14 mars 2023, n° 20NC003167. CAA Toulouse, 20 avr. 2023, n° 20TL237218. Direction de la circulation aérienne militaire9. CE, 4 juill. 2023, n° 45561310. CE, 27 mars 2023, n° 45163311. CE, 13 juil. 2012, n° 345970 : Lebon T.12. CE, 24 mars 2023, n° 46047413. CE, 1er mars 2023, n° 459716 : Lebon T. ; V. à l'inverse pour la validation d'un arrêt rejetant une absence de saturation visuelle : CE, 27 mars 2023, n° 45575314. CE, 1er mars 2023, n° 455629 : Lebon T.15. Cass. 1ère civ., 25 janv. 2017, n° 15-25.526 : Bull. civ.16. Cass. 3e civ., 17 sept. 2020, n° 19-16.93717. CA Toulouse, 8 juill. 2021, n° 20/0138418. Cass. civ., 12 mai 2022, n° 21-23.20319. CA Rennes, 28 mars 2023, n° 20/0270620. CE, 22 juin 2023, n° 45619221. CE, 22 juin 2023, n° 46225122. CE, 30 juin 2023, n° 46757823. CE, 1er mars 2023, n° 458933, op. cit.24. CE, 27 mars 2023, n° 455753, op. cit.25. CE, 20 juill. 2023, n° 46616226. CE, 28 avr. 2023, n°464400

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