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« Malgré le changement climatique, les évolutions des usages de mobilité atteignent assez vite des limites »

En termes de mobilité, l'adaptation au changement climatique passe aussi par des changements de comportements. Une variable encore mal prise en compte, pour les intégrer comme pour les faire évoluer, constate l'enseignant-chercheur Arnaud Passalacqua.

Interview  |  Transport  |    |  N. Gorbatko
Actu-Environnement le Mensuel N°440
Cet article a été publié dans Actu-Environnement le Mensuel N°440
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« Malgré le changement climatique, les évolutions des usages de mobilité atteignent assez vite des limites »
Arnaud Passalacqua
Enseignant-chercheur au Lab’Urba - université Paris-Est-Créteil
   

Actu-Environnement : Les dérèglements du climat pourraient-ils modifier les comportements en termes de déplacements et dans quel sens ?

Arnaud Passalacqua : Aujourd'hui, les évolutions des usages en matière de mobilité atteignent assez vite des limites et elles sont essentiellement motivées par le coût des déplacements. C'est le cas pour l'autopartage et le covoiturage. Ce dernier, d'ailleurs globalement assez marginal dans les déplacements, continue son développement. Mais surtout pour les longues distances et peu pour les trajets domicile-travail, là où il serait le plus utile. Malgré la bonne volonté des employeurs et des pouvoirs publics, il se heurte à la configuration du territoire, à l'atomisation des logements, à la dispersion des marchés de l'emploi et aux rythmes de fonctionnement des entreprises.

Des choses intéressantes se développent dans la mobilité urbaine, comme la location longue durée de vélos à assistance électrique qui rencontre du succès dans les villes concernées. Ceux et celles qui testent ce service se rendent souvent compte de son intérêt. Mais dans l'ensemble, l'automobile, toujours perçue comme une réponse pratique et confortable face à des problèmes de type chaleur et crise sanitaire, devrait rester le moyen de transport majoritaire. On l'a vu après l'épidémie de Covid, notre rapport à la voiture comme objet individuel immédiatement disponible ne change pas. Or, la population va vieillir et aura encore moins de capacité ou d'appétence à utiliser les modes de déplacements actifs. Cette question est peu abordée, mais elle jouera un rôle central dans la façon dont les personnes se déplaceront à l'avenir.

AE : Les gestionnaires d'infrastructures et les collectivités intègrent-ils ces données dans leur stratégie d'adaptation ?

AP : Ils disposent de peu d'éléments dans ce domaine. Pour le transport, on parle plus d'atténuation que d'adaptation. Il existe des documents sur l'avenir des transports, comme l'étude de France Stratégie, « Prospective 2040-2060 des transports et des mobilités », publiée en 2022. Les opérateurs et les organisateurs de transports ont accès à des études de marché. Mais ces rapports privilégient plutôt une approche technologique ou financière de la question. Son volet sociologique et comportemental est rarement abordé. Les collectivités locales s'intéressent de plus en plus à l'individu afin de lui proposer des solutions personnalisées. Facilitée par le numérique, la collecte des données des voyageurs des transports publics leur ouvre des perspectives pour prendre en compte leurs caractéristiques : vieillissement, lieux d'habitation, travail, contraintes de déplacement… Mais une bonne partie du problème, autrement dit le recours à la voiture, leur échappe puisque les transports en commun ne représentent que 10 à 15 % des mobilités dans une ville moyenne française. Quant aux enquêtes nationales de l'Insee sur les déplacements des personnes, elles n'ont lieu que tous les dix ans.

AE : Comment appréhender le sujet dans ce cas ?

AP : Il y a un moment où il faudra plutôt travailler sur notre imaginaire du rapport à la voiture, à sa disponibilité immédiate. On associe aux transports la notion de liberté, mais il faut avant tout garder en tête que la mobilité est le moyen par lequel l'être humain accède aux activités qui organisent sa journée, son mois, son année : travail, loisirs, etc. C'est donc sur ces dernières qu'il faut d'abord réfléchir. Où se trouvent les emplois, les commerces ? Ne faut-il pas redensifier les campagnes et les villes moyennes, régénérer les bourgs pour limiter les déplacements ? Certains territoires pourront-ils toujours être habités, en montagne ou en bord de mer, notamment ? Combien de jours sont travaillés dans la semaine ? Quelle est la place du télétravail ? Est-ce que ce niveau d'activité doit être maintenu ou changé ? C'est tout cela qu'il faudrait repenser. Si l'on prend l'exemple du tourisme, la question n'est pas tant de savoir par quel moyen de transport on va se déplacer, mais pourquoi on le fait et si nous avons les moyens de le faire en termes de bilan environnemental.

AE : Face à cet enchevêtrement de responsabilités et d'échelles de gouvernance, quel rôle peuvent endosser les autorités publiques ?

AP : Les responsables, quel que soit leur échelon, doivent construire avec les citoyennes et citoyens un nouveau récit dans lequel les déplacements n'auraient pas la même place. Les ressources de la nature sont limitées, il est donc normal que cela se traduise par la restriction de nos demandes. Avant l'époque industrielle, on ne se déplaçait pas 24 heures sur 24 et 365 jours par an. Le train nous a permis de le faire en permanence, mais le réchauffement du climat réimpose une limite. L'entretien des routes lié aux dégradations résultant des changements climatiques, par ailleurs, coûte cher aux collectivités. On pourrait diminuer le nombre de routes à maintenir en bon état, réduire le nombre de voies sur les autoroutes, en profiter pour les verdir... Et bien sûr, ne pas en construire de nouvelles. Plus on ouvre de routes, plus il y a de trafic, plus il faut les entretenir…

AE : Réduire la demande, n'est-ce pas risquer de réduire aussi la possibilité de travailler à la résilience des réseaux et des infrastructures justement ?

AP : Dans un sens oui, car le réseau constitue un capital que l'on gère mieux lorsqu'il est très utilisé. Mais on pourrait imaginer un usage plus collectif des routes et autoroutes. Une partie pourrait être dévolue aux cars des nouveaux réseaux express départementaux ou régionaux censés reconnecter les agglomérations à leurs banlieues et améliorer les trafics pendulaires. Ce serait un moyen d'optimiser les réseaux existants qui sont nombreux. On pourrait aussi y installer, y compris sur les grandes routes départementales, des lignes de trolleybus qui relieraient les préfectures à leur territoire, en étoile. Il serait préférable de les alimenter par caténaires plutôt que par des rails à induction, car l'adaptation au changement climatique implique de privilégier les solutions « low tech », plus robustes et nécessitant moins de matériaux critiques.

AE : Vous évoquez aussi l'idée de rendre les déplacements plus lents, notamment en réduisant les vitesses sur autoroute ?

AP : Oui, car en diminuant leur vitesse, vous rendez les déplacements à grande distance moins aisés et vous facilitez l'émergence d'un nouvel équilibre, une réorganisation des activités et des territoires favorable à la résilience. Vous les resserrez. Même si dans un premier temps, cela semble moins confortable. En parallèle, il faudrait développer les modes de transport actifs, ainsi que les véhicules intermédiaires légers, à mi-chemin entre le vélo et la voiture électrique. Ils consomment peu d'énergie et peuvent être alimentés par de l'énergie produite localement.

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