Robots
Cookies

Préférences Cookies

Nous utilisons des cookies sur notre site. Certains sont essentiels, d'autres nous aident à améliorer le service rendu.
En savoir plus  ›
Actu-Environnement

La prévention des risques juridiques et techniques liés à l'hydrogène décarboné

L'utilisation croissante de l'hydrogène dans les projets industriels pose inévitablement la question des risques techniques et juridiques qui y sont liés. La mise en place d'outils de prévention constitue ainsi un enjeu majeur.

DROIT  |  Étude  |  Energie  |  
   
La prévention des risques juridiques et techniques liés à l'hydrogène décarboné
Hugues Rollin
Avocat en droit de l'environnement et de l'énergie, cabinet Aklea
   

Le vent nouveau qui souffle sur la production d'hydrogène depuis quelques années, qui est aussi celui de la décarbonation, a deux objectifs principaux : i) remplacer l'hydrogène « gris », utilisé de longue date par l'industrie et ii) permettre l'émergence de nouveaux usages, dans la mobilité, l'industrie ou encore la sidérurgie.

Ces deux objectifs sont complémentaires et concurrents, en ce qu'ils visent une même ressource d'hydrogène renouvelable ou a minima bas-carbone (1) (désignés ensemble « hydrogène décarboné »). Ils ont pour effet une hausse prévisible de la quantité d'hydrogène utilisée, du nombre d'utilisateurs et de la diversité de leurs profils. Un certain nombre de rapports appellent à prendre en compte et intégrer les questions de sécurité au développement de nouveaux projets et à faire évoluer en conséquence son cadre réglementaire.

Le présent article a pour objet de faire état de ces principaux risques pour les différents types de projets émergents liés à l'hydrogène, à toutes les étapes de la chaine, en essayant d'y apporter les réponses juridiques existantes, à venir ou encore à écrire.

Dans son rapport sur la sécurité du développement de la filière hydrogène publié en janvier 2023, l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (Igedd) (2) rappelle que l'hydrogène est un gaz dangereux, très fortement inflammable, que sa température de flamme est très élevée (2 000 °C), et que sa combustion peut prendre la forme d'une explosion. Les risques de fuite sont également très élevés, ainsi que les phénomènes de fragilisation des métaux des canalisations. L'ampleur du risque est particulièrement forte en milieu confiné, mais réduite en milieu ouvert (3) . La sécurité demeure donc une préoccupation majeure de tous les acteurs impliqués dans la filière de production et de distribution.

I. Panorama succinct des différents types de projets liés à l'hydrogène décarboné et des principaux risques associés

Les risques techniques (fuites, inflammation et ou/explosion) et juridiques liés à l'usage de l'hydrogène sont divers, aux différents stades de son utilisation, sans que le panorama puisse être exhaustif.

1.  Les risques associés à l'hydrogène décarboné au stade de sa production

La production d'hydrogène décarboné, ainsi qu'on le voit au titre des premiers projets existants, interviendra principalement dans trois grands types d'installations : i) sur des sites de consommation, principalement, industriels, ii) sur des grands sites de production, pour une consommation en dehors du site, il s'agit des fameuses « giga-factories » (4) , iii) au sein de stations-services qui seront des sites de production/distribution.

Ces hypothèses supposent, pour certaines, des procédés et gestion des risques industriels avec une forte prise en compte des aspects sécuritaires dans des espaces confinés ; pour d'autres, une approche sans doute simplifiée mais faisant intervenir des tiers, c'est particulièrement le cas s'agissant de stations-services.

La production par électrolyse de l'eau (5) implique également des risques associés à la présence d'oxygène pur, dont l'énergie minimale d'inflammation dans l'air nécessaire (6) est encore très inférieure à celle de l'hydrogène.

2.  Les risques associés à l'hydrogène au stade de son utilisation

Les projets actuels et en cours de développement permettent d'envisager, à court et moyen terme, une hausse de l'utilisation d'hydrogène dans les processus industriels, notamment dans la chimie et la sidérurgie, dans des sites sécurisés et contrôlés, bien que fermés, ainsi que pour des usages de mobilité, comme carburant.

S'agissant des mobilités légères, le nombre de véhicules utilitaires légers, de bus et de taxis à hydrogène pourrait augmenter rapidement, ainsi que celui des poids-lourds et véhicules particuliers, en dépit d'un bilan comparatif parfois jugé négatif avec les batteries (7) . Ces mobilités font intervenir des acteurs sans formation spécifique, notamment de simples usagers. Les réservoirs des véhicules sont en principe équipés d'un dispositif spécifique de soupape appelé « TPRD », réduisant les risques pour ce type d'usage.

Dans un second temps, l'utilisation de l'hydrogène comme carburant pour les avions et le transport maritime pourrait encore singulièrement augmenter ses usages, entrainant des transformations importantes des infrastructures (routières, aéroportuaires, portuaires ferroviaires et maritimes).

Le rapport de l'Igedd souligne le risque lié à la circulation de véhicules hydrogène dans des espaces clos (tunnels et parkings), invitant à une évolution réglementaire et, dans l'attente, à de la prudence.

3.  Les risques associés à l'hydrogène au stade de son transport et de son stockage

Plusieurs modalités de transport d'hydrogène sont envisagées à ce stade, impliquant différents risques. L'hydrogène devrait ainsi être principalement transporté par camion, sous forme gazeuse ou liquide, par la voie maritime (8) et par des canalisations. Ces modalités de transport impliquent également des dispositifs de stockage. Le stockage dans des cavités salines est actuellement privilégié (9) , compte tenu des capacités disponibles sur le territoire national.

II.  Prévention juridique des risques liés au développement de l'hydrogène décarboné

S'agissant d'un process industriel, les réponses aux différents risques précités seront avant tout techniques. Pour autant, un certain nombre de dispositions juridiques doivent contribuer à anticiper et prévenir ces risques.

1.  La nécessaire sécurisation juridique des projets en amont

Tout projet lié à l'hydrogène nécessite une attention particulière à sa sécurisation juridique, très en amont :

i) La prise en compte et la sécurisation du foncier, ii) de l'environnement du site, iii) de ses éventuelles contraintes environnementales, iv) des modalités d'approvisionnement de l'installation en électricité d'origine renouvelable ou bas carbone (via un PPA (10) , l'autoconsommation, le raccordement direct ou indirect à une installation de production d'énergie, notamment), v) ainsi que son approvisionnement en eau déminéralisée, notamment, font partie des indispensables éléments de définition d'un projet, avec vi) les modalités de financement, dans un secteur encore fortement dépendant d'aides publiques. La prise en compte anticipée de ces éléments permettra, par voie de cause à effet, de prévenir les risques d'accident, tout en permettant un développement plus rapide des projets.

2.  La soumission des projets à la police des installations classées (ICPE)

Les risques liés à l'hydrogène impliquent l'intégration de son usage dans la nomenclature des ICPE, au titre de plusieurs rubriques : i) 1416 pour la distribution d'hydrogène gazeux, ii) 1414 pour la distribution d'hydrogène liquide, iii) 3420 pour la fabrication d'hydrogène, iv) 4715 pour le stockage d'hydrogène, v) 2930 pour l'entretien et la réparation de véhicules.

Des travaux sont en cours sur une éventuelle évolution de certaines rubriques (11) , souvent antérieures au développement récent de l'hydrogène décarboné. Des évolutions de l'arrêté ministériel de prescriptions générales (AMPG) de la rubrique 1416 sont ainsi attendues afin de répondre, notamment, aux contraintes des « micro-stations » et des stations-services multi-énergies.

Des travaux sont également en cours sur l'opportunité de modifier le seuil de l'autorisation de la rubrique 4715 (actuellement une tonne) et de la 3420, soumettant à autorisation la fabrication « en quantité industrielle », notion (12) soumise à interprétation. Cette évolution est particulièrement attendue par les acteurs de la filière, des seuils trop bas étant susceptibles de constituer un véritable frein au développement des installations de fabrication d'hydrogène.

L'accélération soudaine de la filière hydrogène suppose des adaptations dans un calendrier contraint, imposant de trouver un équilibre entre un niveau de sécurité satisfaisant et la nécessité de ne pas restreindre son développement. Sur ce point comme sur d'autres, l'accompagnement des porteurs de projets et le dialogue avec l'administration en charge de leur instruction est crucial en vue de faciliter leur réalisation.

3.  La prévention des risques par la voie contractuelle

La voie contractuelle est de nature à prévenir les risques, pour les porteurs de projets hydrogène, tout autant que pour les opérateurs de transport, de gestionnaires de flottes, etc.

Les contrats de vente, de transport ou de distribution d'hydrogène (13) doivent définir les modalités de livraison et d'enlèvement effectives des quantités produites, éventuellement assorties de pénalités. Nous recommandons fortement d'anticiper également les risques d'accident et de fuites, les modalités de répartition et de partage de responsabilités sur tous ces sujets. Le traitement contractuel de ceux-ci est donc une étape clé dans la conception de tout projet hydrogène à ne certainement pas négliger par tous les acteurs impliqués.

Cette sécurisation technique et juridique, qui peut être articulée avec les problématiques d'assurance, est de nature à pérenniser les projets et limiter des accidents pouvant avoir des conséquences autant humaines que matérielles.

4.  La prévention des risques par la voie assurantielle

Le développement de l'hydrogène doit s'accompagner de celui de l'assurance des risques qui y sont liés. La réglementation n'y répond pas encore entièrement, par exemple, en ce qui concerne la circulation et le stationnement des véhicules dans des espaces clos. Une évolution sur ce point est indispensable au développement effectif des projets et à la limitation des risques de ceux-ci. Le rapport de l'Igedd cite ainsi l'exemple des taxis Hype dont le stationnement dans un parking ventilé et doté de détecteurs d'hydrogène a fait l'objet d'une étude de sécurité détaillée, en lien avec l'assureur de la société.

Il en va de même des risques de fuite, notamment en matière de stockage et de transport par canalisation, dont l'acier est sujet à dégradation au contact de l'hydrogène.

5.  La prévention des risques par l'application de réglementations diverses

Un certain nombre d'autres réglementations indirectement liées à l'hydrogène sont et seront de nature à limiter les risques d'accident. Il en va ainsi de la réglementation du transport de marchandises dangereuses (TMD), essentiellement internationale, dont, s'agissant du transport routier, l'accord relatif au transport international des marchandises dangereuses par route (ADR), signé le 30 septembre 1957 à Genève.

En conclusion, seule une prise en compte en amont de ces risques par l'ensemble des acteurs (porteurs de projets, autorités administratives, transporteurs, usagers, assureurs) et par les évolutions réglementaires à venir, que l'on espère empreintes de pragmatisme, permettra d'assurer le développement sécurisé du marché encore émergent de l'hydrogène, molécule essentielle à la décarbonation de notre économie qui mérite donc toute notre attention. Cet équilibre à trouver, dans l'intérêt de tous, sera une des clés de son développement.

1. Ces deux types d'hydrogène sont ceux que définit l'article L. 811-1 du code de l'énergie. Il peut être naturellement rappelé que, quelle que soit la couleur de l'hydrogène, bleu, gris, vert, jaune, rose, il s'agit, à l'instar de l'électricité, de la même molécule qu'il n'est pas possible de distinguer, la distinction ne portant que sur les modalités de production.2. Clause E., Wallard I., Larrouturou B. et Rostagnat M., Igedd, rapp., Sécurité du développement de la filière Hydrogène, nov. 2022 ; Ineris, rapp., Gouvernance des risques dans les territoires dans le contexte de la transition énergétique / Le vecteur hydrogène, 19 janv. 20223. Soulignant qu'à l'air libre l'hydrogène se diffuse et s'élève très rapidement dans l'atmosphère, avec des risques très faibles de détonation si la combustion se produit.4. Un communiqué du 30 septembre 2022 relatait l'annonce par la Première ministre des dix premières gigafactories, faisant l'objet d'aides publiques dans le cadre des projets importants d'intérêt européen commun dans la chaîne de valeur de la technologie de l'hydrogène (PIIEC Hy2Tech).5. Pour mémoire, l'électrolyse de l'eau, consistant à séparer la molécule d'hydrogène des molécules d'oxygène comprises dans l'eau, est la principale technique actuellement mise en avant pour remplacer le très polluant vaporeformage du méthane.6. 3 μJ, dans Vaysse G. (Barpi), Hydrogène et mobilité : pour un développement en sécurité, face au risque n° 574, Juillet-août 2021, p. 417. Voir notamment le rapport de l'Igedd, qui tire des conclusions de rencontres avec les acteurs de la filière.8. À ce titre, le rapport de l'Igedd souligne que les objectifs actuels de la Commission européenne impliquent l'importation de 10 Mt/an à l'horizon 2030, équivalente à l'objectif de production en Europe à cette date.9. Projets portés par Storengy et Téréga10. Power Purchase Agreement ou contrat de vente directe d'électricité11. Une feuille de route relative aux évolutions réglementaires à envisager a ainsi été signée le 7 octobre 2021 entre la DGPR et France Hydrogène.12. Issue de la directive IED : Dir. 2010/75/UE, 24 nov. 2010 : JOUE L 334, 17 déc., relative aux émissions industrielles13. Soumis aux dispositions des articles L. 811-1 du code de l'énergie

RéactionsAucune réaction à cet article

Réagissez ou posez une question

Les réactions aux articles sont réservées aux lecteurs :
- titulaires d'un abonnement (Abonnez-vous)
- inscrits à la newsletter (Inscrivez-vous)
1500 caractères maximum
Je veux retrouver mon mot de passe
Tous les champs sont obligatoires

Partager