Une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Saint-Brieuc à la suite de deux plaintes déposées par Laurent Guillou et Stéphane Rouxel après une intoxication aux produits phytosanitaires sur leur lieu de travail. ''Nous demandons un renvoi des responsables devant les juridictions correctionnelles pour utilisation de produits interdits depuis 2007, traitement à un dosage plus élevé que la norme maximale autorisée, traitement par une entreprise non agréée et atteinte à l'intégrité physique de messieurs Guillou et Rouxel'', indique l'avocat des plaignants, François Lafforgue, lors d'une conférence de presse, le 23 septembre. Les deux salariés engagent également une action en reconnaissance de la faute inexcusable de leur employeur devant les juridictions des affaires de la sécurité sociale. ''Cette action repose sur le non-respect de l'obligation de résultat envers ses salariés'', indique Maître Lafforgue.
Deux ans de manipulation de céréales traitées
Laurent Guillou, 41 ans, et Stéphane Rouxel, 44 ans, réceptionneurs de céréales chez Nutréa, sur le site de Plouisy (Côtes-d'Armor), filiale du groupe agroalimentaire Triskalia, souffrent d'un syndrome d'intolérance aux solvants et produits chimiques après avoir travaillé au contact de céréales traitées aux insecticides en 2009 et 2010.

Début avril, des salariés ont commencé à présenter des symptômes d'intoxication (maux de tête, douleur au ventre, picotement de la langue, trouble du sommeil, brûlure au visage et au cuir chevelu, problèmes respiratoires…). Selon les plaignants, le produit utilisé était du Nuvan Total, utilisé pour la fumigation, interdit d'utilisation depuis juin 2007. Selon Reuters, qui a contacté Triskalia, ''l'entreprise bretonne admet avoir utilisé ce produit par erreur en mars 2009''. La société reconnaît avoir utilisé 180 litres de Nuvan Total, un chiffre que contestent les salariés qui indiquent que 575 litres auraient en fait été utilisés.
En 2010, les traitements des céréales se poursuivent, avec cette fois un produit autorisé, le Nuvagrain. Problème : le personnel constate que le débit de la pompe de pulvérisation est réglé à 48 % contre 10 % préconisés. ''La dose maximale autorisée a été dépassée de sept fois et le délai d'attente après la fin du traitement, de 48 à 72 h, n'a pas été respecté'', indique Laurent Guillou.
Une plainte est déposée par les deux salariés le 6 mai 2010, après des déclarations d'accident de travail et de nombreux arrêts de travail. ''Sur 70 salariés que compte le site, 18 sont actuellement suivis médicalement'', explique Laurent Guillou, qui, de son côté, se plaint de douleurs dans le dos et ''dans la partie gauche de la poitrine. Ces produits attaquent le muscle cardiaque''.
Le 18 janvier et le 17 février 2011, Stéphane Rouxel et Laurent Guillou ont été déclarés inaptes par la médecine du travail et licenciés pour inaptitude dans la foulée, les 12 juillet et 10 juin dernier. Tous deux ont engagé une procédure devant les juridictions prud'hommales ''aux fins de voir reconnaître la faute de leur employeur à l'origine de leur licenciement''.
Un cas loin d'être isolé
Les deux salariés sont soutenus dans leur action par le syndicat Solidaires, Attac, l'association Phyto-victimes et Générations futures. ''Toutes les populations professionnelles exposées aux produits phytosanitaires sont potentiellement victimes. Nous n'avons aucun chiffre sur le nombre de personnes touchées. Mais une exposition répétée à des produits chimiques, même à des doses faibles, peut créer une intolérance aux produits chimiques, voire davantage'', explique François Veillerette, porte-parole de Générations futures.
Outre les agriculteurs, de nombreux travailleurs sont exposés aux produits phytosanitaires dans le cadre de leur activité professionnelle : dockers, douaniers, magasiniers, chauffeurs routiers, logisticiens…
En mars 2010, des dockers ont créé l'Association pour la protection de la santé au travail dans les métiers portuaires (APPSTMP). ''Devant un nombre important de dockers atteints d'un cancer, ou de problèmes cardiaques, l'association a procédé à une étude approfondie. À ce jour, 140 dockers (ou leurs familles) ont été contactés sur les 193 travaillant en 1992 sur le port de Nantes, 87 personnes ont développé des maladies (61 cancers), 35 d'entre elles sont décédées. A Saint-Nazaire, sur 160 dockers, on compte 43 malades (parmi eux 17 sont décédés)'', indique l'association.