Le 24 janvier 2019, François de Rugy et Nicole Belloubet missionnaient les corps d'inspection de leur ministère respectif (CGEDD et IGJ) pour proposer des solutions en vue d'améliorer la justice environnementale. Le rapport des cinq hauts fonctionnaires chargés de cette tâche a été publié ce jeudi 30 janvier à l'issue d'un colloque à l'Assemblée nationale conclu par les ministres de la Justice et de la Transition écologique.
Les résultats de ce travail avaient été remis trois mois plus tôt à Élisabeth Borne et Nicole Belloubet. Elles se sont appuyées sur ces propositions pour établir le volet environnemental du projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée, dévoilé le 29 janvier en Conseil des ministres.
Raccourcissement des délais de procédure
« Le droit pénal de l'environnement n'est ni visible, ni lisible », résume Daniel Atzenhoffer, inspecteur de la justice et co-auteur du rapport, pour résumer l'état actuel de la justice environnementale. Pour répondre à ces carences, la mission formule une série de propositions qui ne sont pas révolutionnaires. « C'est le troisième rapport du même type qui dit la même chose », ose même Bruno Cinotti, ingénieur des ponts et autre auteur du rapport. La nouveauté pourrait venir du fait que ces propositions soient reprises. « Il est rare que les principales conclusions d'une mission soient traduites dans la législation en quelques mois », vante Nicole Belloubet.
Quelles sont ces propositions ? C'est en premier lieu la création de juridictions spécialisées pour traiter du contentieux civil et pénal. Une préconisation qui revient dans la bouche de tous les spécialistes du droit de l'environnement. Les ministres ont annoncé la création d'une juridiction spécialisée de première instance, dans le ressort de chacune des cours d'appel, chargée de traiter les atteintes graves ou la mise en péril de l'environnement. Les magistrats, chargés de diriger les enquêtes comme ceux en charge du jugement, seront spécialisés, avec un double objectif : une meilleure maîtrise de la technicité du droit applicable et le raccourcissement des délais de traitement. Devant les tribunaux correctionnels, les délais de procédure sont de 22 mois en matière d'environnement contre 11 mois en moyenne pour le contentieux général, témoigne François Molins. De manière plus large, le procureur général près la Cour de cassation dénonce une « dépénalisation de fait du droit de l'environnement ».
Ces juridictions spécialisées, « dotées d'un greffe, bénéficieraient d'un ou plusieurs juristes-assistants et pourraient désigner un garant pour s'assurer de la conformité des remises en état ordonnées », suggère la mission. Cette spécialisation nécessite par conséquent une formation adaptée des magistrats.
« Pas de justice au rabais »
La deuxième proposition de la mission retenue par le Gouvernement est la création d'une convention judiciaire écologique, négociée entre une personne morale et le parquet sous le contrôle d'un garant. Cet outil est inspiré de la convention judiciaire d'intérêt public existant en matière de corruption et de fraude fiscale. L'exécutif vise par là les cas où sont impliquées les entreprises avec un enjeu financier important. Cette convention présente l'avantage de donner une réponse judiciaire rapide, de mettre en œuvre des mesures de réparation ou de compensation environnementale, et d'éviter la récidive, explique le ministère de la Justice.
« Il ne s'agit pas d'une justice au rabais ou rendue en catimini », se défend Nicole Belloubet en devançant les critiques. La convention doit être homologuée par le juge lors d'une audience publique et doit être publiée, explique en effet la garde des Sceaux.
« Le sujet n'est pas clos »
Les points retenus par les ministres sont loin de reprendre les 21 préconisations formulées par la mission. Parmi celles-ci figurent la coordination des services de polices administratives et judiciaire avec la création systématique de comités opérationnels départementaux de défense écologique (Codde) au niveau territorial, et par la mise en place d'une équipe projet « justice-environnement » au niveau national. Les propositions portent aussi sur la création d'une autorité indépendante garante de la défense des biens communs, la mise sur pied de points d'accès pour la protection de l'environnement (Pape) au niveau local, la création d'un référé judiciaire spécial en matière d'environnement, le regroupement des incriminations environnementales au sein du seul code pénal, ou encore le développement de la coopération judiciaire européenne et internationale.
« Mais le sujet n'est pas clos avec la présentation du projet de loi en Conseil des ministres », veut toutefois rassurer Nicole Belloubet, qui invite ainsi les parlementaires à explorer d'autres pistes. Ainsi, la spécialisation des magistrats pourrait également s'accompagner de celle des services d'enquête, suggère-t-elle en citant l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp). La ministre de la Justice annonce engager un travail avec le ministre de l'Intérieur sur cette question.
Parmi les autres pistes sérieuses, la ministre mentionne une refonte de l'échelle des peines, en pointant celle applicable en cas d'exploitation sans autorisation d'une installation classée (1 an de prison et/ou 75 000 € d'amende au maximum). Évoquée par la porte-parole du Gouvernement à l'issue du Conseil des ministres, la création d'un délit général d'atteinte à l'environnement est réaffirmée à la fois par Nicole Belloubet et par Élisabeth Borne. Ce dernier ne doit toutefois pas « créer d'instabilité juridique pour les acteurs économiques », tient à préciser cette dernière.
Reste maintenant aux parlementaires à s'emparer du texte qui a été déposé sur le bureau du Sénat le 29 janvier. Celui-ci doit l'examiner en séance publique à compter du 26 février.