
Avocate au barreau de Lyon, titulaire d’un Master 2 recherche droit social.
Actu-environnement : Quelle est la jurisprudence actuelle en matière de handicap pour les personnes électro-hypersensibles ?
Mélanie Tastevin : Les décisions sont peu nombreuses. Un jugement du tribunal du contentieux de l'incapacité (TCI) de Toulouse de 2015 a accordé le bénéfice d'une allocation adulte handicapé (AAH) à une personne souffrant d'électro-hypersensibilité. Le docteur désigné pour réaliser l'examen médical a conclu à un taux d'incapacité de travail de 85% et à une restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi.
Récemment, le TCI de la région Rhône-Alpes a accordé le bénéfice d'une AAH à une personne souffrant de différentes pathologies dont une électro-sensibilité aux ondes. Le tribunal a considéré qu'elle apportait la preuve d'une restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi compte tenu de sa maladie.
AE : Il n'y a donc pas de critères médicaux reconnus pour l'électro-hypersensibilité ?
MT : Seuls les médecins peuvent répondre. Pour bénéficier de l'AAH, la personne doit souffrir d'une incapacité importante et permanente compte tenu de son handicap. Ce qui a été reconnu pour des personnes souffrant d'électro-hypersensibilité et dont la maladie avait été constatée par des médecins.
AE : Est-ce que la personne reconnue électro-hypersensible peut accéder au statut de travailleur handicapé ?
MT : Oui, si elle remplit les conditions. La reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé lui permet de bénéficier de certains droits comme l'accès à une surveillance médicale renforcée par le médecin du travail. La qualité de travailleur handicapé permet également aux personnes qui n'exercent plus d'activité professionnelle de bénéficier de dispositifs d'insertion professionnelle et d'un soutien spécialisé dans la recherche d'emploi.
AE : La loi sur les ondes électromagnétiques du 29 janvier 2015 parle de principe de sobriété. De quoi s'agit-il ?
MT : C'est un compromis entre la nécessité de limiter l'exposition aux ondes électromagnétiques et l'accès pour tous au très haut-débit. Aujourd'hui, lorsqu'une personne souffre d'électro-hypersensibilité, il faut trouver, dans chaque domaine, des mécanismes pour lui permettre de se protéger.
En droit du travail, différents outils peuvent être mobilisés. Le salarié peut s'adresser au médecin du travail : un processus d'aménagement de son poste de travail pourra être mis en œuvre si son état de santé le justifie. Cela peut notamment consister en l'achat d'équipements ou de vêtements de protection contre les ondes. L'employeur pourra alors assurer le maintien du salarié à son poste de travail. Ce maintien dans l'emploi doit être recherché, lorsque c'est encore possible.
Des démarches de prévention peuvent également être engagées. Par exemple, les représentants du personnel, membres du CHSCT (Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail), pourraient décider d'avoir recours à une expertise afin de mesurer l'exposition des salariés aux champs électromagnétiques, dans les cas prévus par le code du travail.
AE : Est-ce qu'un chef d'entreprise peut être tenu pour responsable envers un salarié électro-hypersensible ?
MT : Oui, il peut s'exposer à l'engagement de sa responsabilité s'il refuse, par exemple, de mettre en œuvre les recommandations et propositions émises par le médecin du travail au regard de la pathologie dont souffre le salarié. Les conséquences peuvent être importantes : ne pas aménager le poste de travail du salarié alors que le médecin du travail le juge nécessaire pourrait, à terme, conduire à l'inaptitude du salarié à son poste de travail et le cas échéant, à la rupture de son contrat si le reclassement à un poste compatible avec son état de santé s'avère impossible.