
Ces données confirment que la crise du pouvoir d'achat influence nos choix de consommation : on consomme moins mais plus responsable. Il y a visiblement une réflexion nouvelle autour des produits que l'on achète, analyse Rémy Roux, d'Ethiquable. Dans un contexte morose pour les produits de grande consommation, les achats en alimentaire équitable attirent en effet toujours les consommateurs. Il est évident que cette progression ne sort pas indemne de la crise du pouvoir d'achat puisque la croissance en 2008 est inférieur à celle de 2007 (pour mémoire : +12 % en 2007 contre 8 % pour 2008). Ce qui reste surprenant, c'est finalement la bonne résistance des achats équitables par rapport à l'achat non équitable. Concrètement, le café équitable (+5%), le chocolat équitable (+11%) se développent fortement. Dans le même temps, ces produits en conventionnel, n'enregistrent pas de croissance, voir régressent. Ainsi le café équitable représente aujourd'hui 5 % de parts de marché du café vendu en grande surface avec 61 M€ de chiffre d'affaires ; le thé équitable accapare 4,5 % de parts de marché avec 10 M€ de chiffre d'affaires.
Le consommateur sensible au commerce équitable ne serait donc pas freiné par la crise. D'autant que l'offre de produits équitables a explosé ces dernières années. Longtemps limité à quelques produits alimentaires et à l'artisanat, le commerce équitable s'étend dans de nombreux domaines aujourd'hui : mode, beauté, mobilier…
De grands groupes se mettent à l'équitable. Les marques de distributeurs (MDD) représenteraient aujourd'hui 25,7 % des parts de marché et 31,7 % des volumes. Aujourd'hui, 1 produit équitable sur 3 acheté en grande distribution est une marque de distributeur. Sur le marché du café équitable seul, les MDD concernent 38% des volumes achetés. Entre 2006 et 2008, la part de marché (en valeur) des marques de distributeurs a doublé, note Rémy Roux, avant d'ajouter : il faut voir dans cette forte progression un rattrapage : les marques de distributeur étaient quasi absentes sur les produits issus du commerce équitable. Le commerce équitable n'échappe pas à la lourde tendance de l'explosion des MDD. La question qui reste : cette évolution se fait-elle au détriment des autres marques ou est-elle un formidable relais de croissance pour les organisations de producteurs ?
Des chaînes de fast-food ou des marques comme Starbucks se mettent elles aussi à l'équitable sur certains produits. Les consommateurs consomment alors des produits certifiés, parfois à leur insu…
La rançon de la gloire…
Ce succès du commerce équitable doit-il être accueilli avec enthousiasme ? Pas si sûr. Si sa démocratisation est positive, le concept risque néanmoins d'y perdre sa mission originelle : éduquer le consommateur et révolutionner les échanges internationaux. L'acte d'achat équitable, dans les rayons d'une grande surface, risque de se banaliser et les produits certifiés, rester dans un marché de niche.
Un groupe de chercheurs canadiens s'est penché sur cette question dans l'ouvrage Quel commerce équitable pour demain ? Pour une nouvelle gouvernance des échanges. Ce livre souligne quelques anomalies créées par le développement du concept.
Par exemple, le succès du quinoa bolivien, largement appuyé par le commerce équitable, a créé un paradoxe. La demande croissante a conduit les producteurs boliviens à en produire davantage, mais dans un but d'exportation. Eux, de leur côté, en consomment moins aujourd'hui. Les nouilles de blé seraient progressivement en train de remplacer le quinoa dans leur alimentation. Ce passage d'une culture vivrière à une culture de rente n'est pas sans poser problème.
Autre constat souligné par le groupe de chercheurs : le partenariat établi entre Nord et Sud reste inéquitable, dans le sens où si les producteurs du Sud doivent se conformer à un cahier des charges précis, aucune contrainte ne pèse quant aux conditions sociales et environnementales chez les distributeurs du Nord. Pour ces auteurs, il est impératif de prévoir des exigences pour les acteurs du Nord qui se revendiquent du circuit équitable.
L'arrivée sur le marché de grands groupes recrée également une certaine dépendance entre les groupes de petits producteurs et l'acheteur. Des déséquilibres naissent aussi entre producteurs équitables et producteurs non équitables sur un même territoire…
Le commerce équitable perdrait-il sons sens en se développant à grande échelle ? C'est la question soulevée par de nombreux acteurs aujourd'hui.
Vers une normalisation
Né à l'initiative d'associations et d'acteurs privés, le commerce équitable est désormais reconnu et appuyé par les pouvoirs publics. En 2005, sa définition et ses principes ont été inscrits dans la loi. En janvier 2006, un accord AFNOR (agence française de normalisation) est né après concertation avec l'ensemble des parties prenantes. Dans les semaines à venir, une large concertation devrait être menée à nouveau, devant aboutir, d'ici la fin de l'année, à l'installation de la Commission nationale du commerce équitable. Un cahier des charges précis devrait être défini auparavant, ainsi que les modalités de reconnaissance des acteurs du commerce équitable.
Récemment, l'Union européenne a publié une communication sur le commerce équitable, posant ainsi une définition et des principes.
Cette implication des pouvoirs publics est-elle positive ? Oui, car elle permettra de clarifier le concept et de donner une meilleure lisibilité au consommateur. Non, si le commerce équitable perd en route son caractère idéologique. Ainsi, lors d'un colloque organisé à l'Assemblée nationale le 6 mai dernier, il était difficile de percer la véritable ambition des acteurs présents (ministres, acteurs du commerce équitable…). Simple segment de marché pour les uns, modèle vers lequel l'ensemble des échanges internationaux doit tendre… Quel point de vue l'emportera demain ? C'est tout l'enjeu qui pèse aujourd'hui et qui maintiendra, ou non, la raison d'être du commerce équitable.