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Logistique et compensation : l'obligation réelle environnementale, un outil efficace

L'obligation réelle environnementale, contrat permettant de régir les relations entre le propriétaire foncier et le débiteur de l'obligation de compenser, constitue un dispositif juridique pertinent pour la mise en oeuvre des mesures compensatoires.

DROIT  |  Étude  |  Aménagement  |  
Droit de l'Environnement N°324
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°324
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Logistique et compensation : l'obligation réelle environnementale, un outil efficace
Coralie Leveneur, Éric Hervy et Bérénice Robine
Respectivement notaire associée, notaire et juriste Lab, Chevreux
   

Face à l'enjeu de rareté du foncier auquel sont confrontés l'implantation des entrepôts comme les projets industriels à venir dans le cadre de la réindustrialisation qui s'amorce, la compensation écologique est un défi de taille pour les développeurs. Si les mesures compensatoires à mettre en œuvre nécessitent, pour répondre à l'impératif d'efficacité, d'être réalisées en dehors du périmètre du site, l'obligation réelle environnementale (ORE) constitue le contrat idoine permettant de régir les relations entre un propriétaire foncier et le débiteur de l'obligation de compenser.

I. Les enjeux de la séquence ERC pour les actifs logistiques et industriels

La part croissante du commerce en ligne chez les consommateurs, accélérée par les différentes périodes de confinement lors de la crise sanitaire, la demande placée annuelle qui oscille en moyenne autour de 4 000 000 m² et le faible taux de vacance de cette typologie d'actif entraînent une augmentation notable du nombre d'entrepôts sur notre territoire.

La volonté politique assumée de « réindustrialiser » le pays, pour briser notre dépendance à l'étranger sur certains secteurs stratégiques tels que la pharmacie ou les batteries électriques devrait conduire les locaux industriels à connaître le même essor.

Or, que ce soit pour répondre à des problématiques de sécurité ou à la nécessité de disposer d'un foncier important pour construire un entrepôt XXL, ces projets ont vocation à s'implanter en périphérie des agglomérations voire bien au-delà d'un tissu urbain dense. Les impacts significatifs de tels projets sur la biodiversité et le risque d'identifier sur le terrain envisagé une espèce protégée n'en seront que plus notables.

Dès lors, les porteurs de projets de construction d'entrepôts logistiques et de locaux industriels sont particulièrement concernés par la fameuse séquence « Éviter/Réduire/Compenser » dite « ERC » résultant de l'article L 110-1, II-2° du code de l'environnement (1) .

Appliquée aux entrepôts ou aux locaux industriels, le triptyque ERC va être confronté à la réalité économique du développement de tels actifs :

  • Éviter : Mesures devant modifier un projet afin de supprimer l'impact négatif direct ou indirect que ce projet engendrerait.

Si l'hypothèse doit être étudiée par priorité, l'évitement sera peu aisé à mettre en place car la taille nécessaire pour les cellules, les équipements techniques, les emplacements de stationnement pour les poids lourds ou la voie pompier en périphérie du bâtiment consommeront bien souvent l'ensemble du foncier à disposition.

  • Réduire : Mesures visant à réduire autant que possible la durée, l'intensité et/ou l'étendue des impacts d'un projet qui n'ont pas pu être évités.

Pour les raisons ci-dessus évoquées, l'évitement sera complexe à organiser et si pour autant il est envisagé, l'impact pourrait remettre en cause le projet car la perte de surface exploitable sera difficilement « compensée » en augmentant la hauteur du bâtiment. En effet, à l'inverse des bâtiments d'habitation, la spécificité des entrepôts ne permet pas encore d'envisager des constructions de grande hauteur.

  • Compenser : Mesures ayant pour objet d'apporter une contrepartie au moins équivalente aux effets négatifs significatifs, directs ou indirects du projet qui n'ont pu être évités ou réduits.

Les conséquences de la mise en place de telles mesures vont, bien évidemment, dépendre de l'impact du projet sur la biodiversité. Implanter des nichoirs sera chose aisée, déplacer une population de batraciens ou reconstituer des zones herbacées pourront, dans bien des cas, ne s'envisager qu'en dehors du périmètre du site à condition que la logique de continuité écologique soit respectée.

On notera que si la toiture de ces bâtiments, qui était encore il y a quelques années rarement utilisée pour l'exploitation, aurait pu accueillir de telles mesures, à l'instar des fermes urbaines, les nouvelles réglementations imposant l'installation de panneaux photovoltaïques sur les toitures devront conduire les nouveaux projets à exclure ces zones de toute mesure de compensation.

On le voit, dans le cadre des projets de construction d'entrepôts logistiques ou de sites industriels, il sera très difficile d'éviter et de réduire : compenser, le plus souvent en dehors du foncier accueillant l'opération, sera donc le maître mot de ces projets.

La mise en œuvre de telles mesures de compensation n'est évidemment pas sans conséquence pour le porteur du projet :

- il devra effectuer un arbitrage entre acquérir les parcelles concernées, au risque de grever le coût de l'opération, ou convenir avec le propriétaire des modalités d'utilisation du terrain ciblé pour la compensation ;

- il devra s'assurer qu'elles remplissent les conditions de temporalité, de pérennité et de proximité fonctionnelle avec la zone naturelle impactée durant toute la durée des atteintes ;

- il sera également tenu de démontrer l'efficacité des mesures envisagées et le suivi de ces dernières ;

- enfin, il aura d'autant plus intérêt à mettre en place avec sérieux les mesures de compensation que l'article L. 163-1 du code de l'environnement lui impose une obligation de résultat à ce titre.

Étant précisé que lorsque sont sollicitées les autorisations administratives nécessaires, il doit impérativement être fait une application stricte de la séquence au risque de voir les autorisations refusées voire annulées par le juge administratif. À titre d'illustration, la cour administrative d'appel de Nancy a, par un arrêt du 8 avril 2020 (2) , annulé une dérogation à l'interdiction de détruire des espèces protégées au motif de mesures compensatoires insuffisantes.

À cet égard, rappelons que dans le cadre de la police administrative, les mesures de compensation pourront faire l'objet d'un contrôle afin de s'assurer du respect des prescriptions imposées.

En cas de non-conformité entre la visite de contrôle de l'écologue désigné par la Dreal (3) et les prescriptions indiquées dans l'acte administratif établissant les mesures compensatoires à respecter, les conséquences peuvent être les suivantes :

- un simple rappel à la réglementation ;

- la rédaction de prescriptions complémentaires en cas de bonne mise en œuvre des moyens initialement prévus, mais de non atteinte du résultat escompté ;

- la mise en demeure en cas de non-conformité aux moyens prescrits dans l'acte d'autorisation ;

- l'édiction de sanctions après non-exécution faisant suite à une mise en demeure.

En outre, une procédure judiciaire est également envisageable, s'il est constaté une infraction en matière de réglementation concernant la biodiversité.

Les obligations qui pèsent sur le porteur de projet sont ainsi conséquentes et ce dernier devra s'assurer, s'il n'acquiert pas le foncier objet des mesures compensatoires, qu'il dispose, à travers le contrat de mise à disposition, de tous les moyens pour y répondre.

C'est ici que le contrat d'obligation réelle environnementale entre en scène afin d'organiser contractuellement les modalités de mise en place des mesures compensatoires sur le terrain d'un tiers et leur pérennité dans le temps.

II. L'obligation réelle environnementale : un dispositif juridique pertinent pour la mise en œuvre des mesures compensatoires

Après un lent et long processus de réflexion autour d'un outil juridique permettant aux citoyens de participer activement à la protection de l'environnement, la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a créé l'ORE, codifiée à l'article L. 132-3 du code de l'environnement. Cette dernière a pour objectifs de faciliter le développement d'actions pérennes pour stopper l'érosion de la biodiversité et de permettre à tout propriétaire de mettre en place sur sa propriété une démarche contractuelle en ce sens.

Le deuxième alinéa de cet article précise que l'ORE peut être utilisée à des fins de compensation, complétant ainsi la boîte à outils des porteurs de projet afin de satisfaire leur obligation aux côtés de la maîtrise foncière et de l'acquisition d'unités de compensation au sein d'un site naturel de compensation. Elle sera particulièrement utile lorsque l'acquisition de terres n'est pas envisageable, soit parce que les propriétaires ne souhaitent pas s'en défaire, soit parce que cela ne correspond pas aux possibilités du porteur de projet, et qu'il n'existe pas de site naturel de compensation à proximité.

Les porteurs de projets de sites logistiques ou industriels pourront trouver dans l'ORE un outil souple et facile à mettre en place, dont le caractère réel assurera la pérennité des mesures de compensation pour autant que la durée prévue par les parties soit alignée avec le besoin de compensation.

Ce contrat conclu entre un propriétaire et un cocontractant a en effet la particularité de faire naître à leur charge ainsi qu'aux propriétaires successifs du bien grevé, une obligation réelle ayant pour finalité le maintien, la conservation, la gestion ou la restauration d'éléments de biodiversité.

Une fois posés quelques grands principes, l'article L. 132-3 du code de l'environnement laisse une grande place à la liberté contractuelle, permettant ainsi au contrat d'ORE d'accueillir tous types de mesures compensatoires et d'en organiser les modalités de suivi selon les besoins indiqués par les parties.

Concrètement, ce contrat devra prévoir des obligations à la charge du propriétaire mais aussi du cocontractant. Ce cocontractant pourra être une personne publique comme une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l'environnement.

À l'égard du propriétaire, les obligations pourront être actives (« obligations de faire ») comme créer une mare, mettre en place l'habitat nécessaire au développement de l'espèce protégée menacée par le projet logistique ou industriel concerné, planter des espèces spécifiques de plantes, etc. mais également négatives (« obligations de ne pas faire ») comme ne pas utiliser d'engrais chimiques, ne pas planter telle espèce, etc. Aucune contrainte n'étant posée par le cadre législatif, l'ensemble des mesures compensatoires préconisées dans le cadre de l'élaboration du projet logistique ou industriel pourra être détaillé dans le contrat d'ORE, dès lors que le propriétaire accepte de s'en charger et que le terrain s'y prête.

On soulignera ici que l'article L. 132-3 précité prévoit que si le terrain est loué en vertu d'un bail rural, il sera indispensable d'obtenir l'accord du preneur à peine de nullité du contrat d'ORE. Cette précision est assez logique puisque dans un tel cas, ce n'est pas le propriétaire mais bien le preneur qui devra, dans la réalité, se conformer aux obligations souscrites.

Quant au cocontractant, ses obligations auront pour objectif d'aider le propriétaire à mettre en place et respecter les engagements qu'il a pris et plus largement dans le cadre de ces ORE de compensation la mise en œuvre des mesures compensatoires préconisées et l'indemnisation du propriétaire foncier. Le contrat précisera également utilement les modalités d'accès au terrain pour l'écologue et/ou le bureau d'études désignés pour s'assurer du respect des mesures de compensation.

Ce contrat, nécessairement passé en la forme authentique afin de publier l'ORE et la rendre ainsi opposable aux tiers, spécifiera la durée des engagements, laquelle ne pourra pas excéder 99 ans. Toutefois, souscrite dans un objectif de compensation, la durée devra être au moins égale à celle des mesures compensatoires.

Il précisera également en fonction des spécificités du projet et des attentes des parties, les cas de révision et de résiliation de l'ORE, de sorte à sécuriser la pérennité des mesures et donc l'existence du projet qui en dépend. Il pourra notamment être prévu la révision du contrat en cas de sinistre affectant le terrain ou encore lorsque le site est modifié par des phénomènes naturels nécessitant une adaptation des ORE.

S'agissant de la résiliation, les parties seront ici encore libres d'en établir les motifs. On peut notamment penser au terme imposé aux mesures compensatoires par l'autorité environnementale, ou encore au non-respect des obligations par l'un des contractants.

Concernant le régime fiscal de cet outil, il n'en est pas moins avantageux. Le contrat ORE n'est, en effet, pas passible de droit d'enregistrement et ne donne lieu ni à la perception de la taxe de publicité foncière ni au paiement de la contribution de sécurité immobilière. Également – et cet élément est susceptible d'intéresser les propriétaires – les conseils municipaux et organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre peuvent, par délibération prise, exonérer de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, pour la part qui leur revient, pendant toute la durée du contrat, les propriétés non bâties dont le propriétaire a conclu un contrat ORE.

En pratique, l'ORE pourra être mobilisée dans deux hypothèses pour la compensation environnementale des projets :

(i) Lorsque le maître d'ouvrage est propriétaire de parcelles supports des mesures compensatoires nécessaires à la réalisation de son projet, il peut tout à fait grever ces parcelles d'une ORE. L'intérêt réside alors dans la pérennisation de la vocation écologique du terrain, il est d'ailleurs possible d'aller plus loin et d'envisager de faire courir les obligations réelles au-delà des besoins de la compensation. De plus, les obligations réelles perdurent, indépendamment des changements de propriétaires, ce qui assure à l'autorité compétente pour délivrer les autorisations nécessaires au projet que les mesures de compensation s'inscrivent dans un cadre pérenne.

(ii) Lorsque le maître d'ouvrage confie la mise en œuvre des mesures à un opérateur de compensation et que ni l'un ni l'autre ne dispose du foncier nécessaire pour les réaliser, il est également pertinent de mobiliser l'ORE.

Dans cette seconde hypothèse, il existera alors deux relations contractuelles, (i) un contrat de compensation liant le maître d'ouvrage et l'opérateur de compensation, par lequel le premier transfère au second le soin de mettre en œuvre lesdites mesures moyennant le versement du financement nécessaire ; (ii) un second contrat constitutif d'ORE conclu entre l'opérateur de compensation – qui devra pouvoir agir en qualité de cocontractant d'ORE, c'est-à-dire agir pour la protection de l'environnement – et un propriétaire qui acceptera de mettre son foncier à disposition pour la réalisation desdites mesures. En contrepartie, ce dernier bénéficiera d'une indemnisation ou d'aides matérielles.

Encore peu utilisée, elle constitue pourtant un outil judicieux pour la compensation en ce qu'elle peut concerner des terrains de nature très différente facilitant ainsi le respect du principe de proximité et d'équivalence écologique attachés à la compensation, constituant alors une véritable opportunité pour les porteurs de projet soumis à cet enjeu.

1. « Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable. Ce principe implique d'éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu'elle fournit ; à défaut, d'en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n'ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées ;

Ce principe doit viser un objectif d'absence de perte nette de biodiversité, voire tendre vers un gain de biodiversité. »
2. CAA Nancy, 8 avr. 2020, n° 18NC023093. Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement

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