
PDG du Gesec, groupement d'intérêt économique réunissant des PME de services spécialisées dans le génie climatique, l'électricité, l'eau
Actu-Environnement : La loi sur la transition énergétique a été promulguée cet été. Quelles sont ses avancées selon vous ?
Pauline Mispoulet : Cette loi affiche de bonnes intentions, mais ne donne pas les moyens pour y parvenir. D'ici la rédaction des décrets, tout peut encore changer ! De plus, l'une des avancées, l'obligation de rénovation, a été retoquée par le Conseil constitutionnel… Enfin, cette loi n'aborde pas les questions structurelles, notamment celle du conflit d'intérêt endogène qui fait que l'Etat se repose sur ses deux énergéticiens historiques, EDF et Engie, pour faire la transition énergétique. Ces entreprises conservent un monopole étouffant dans de nombreux domaines, à commencer par les énergies renouvelables et les services énergétiques. Pourtant, l'ouverture à la concurrence du marché de l'énergie est un mouvement demandé par l'Europe depuis quinze ans ! Si le monopole n'est plus inscrit dans le marbre, il persiste dans les faits. Cela constitue un obstacle majeur à toute forme de progrès.
AE : Que souhaitiez-vous pour que le marché de l'énergie soit plus ouvert ?
PM : Il faut des actes beaucoup plus clairs ! Cela passe par une dissociation de la fourniture d'énergie et des services énergétiques, qui sont encore monopolisés par les grands énergéticiens et leurs filiales. Il faut réellement ouvrir le marché des énergies renouvelables alors que l'on reste dans une logique de contingentement, par appels d'offres.
La commande publique n'est pas exemplaire non plus, alors qu'elle devrait être l'axe prioritaire pour engager la transition énergétique. Elle représente 200 Mds € par an et pourtant, rien n'est fait pour que ces dépenses contribuent au développement des territoires. La plupart des appels d'offres publics pour l'exploitation de chauffage n'ont pas d'objectifs de performance énergétique, ni de critère social. Souvent, ce sont de grands appels d'offres qui bénéficient aux plus gros. Par exemple, pour les collèges, les appels d'offres sont désormais départementaux. Nos PME ne peuvent pas répondre à des commandes massifiées de plusieurs dizaines de millions d'euros. Cela détruit de l'emploi local parce que, souvent, les gagnants des appels d'offres font appel à des salariés détachés…
Enfin, le public est perdu, parce que les affichages changent trop souvent : un jour on soutient les pompes à chaleur, le lendemain une autre technologie… Il y a une véritable instabilité réglementaire qui nuit aux investissements de long terme.
AE : Le contexte n'est pas non plus favorable à la maîtrise de l'énergie, avec un prix du pétrole au plus bas…
PM : Les contre-signaux pourraient laisser croire que l'on s'est trompé, que le pétrole n'est pas fini… On pensait que le pic oil allait faire exploser les prix, mais ce n'est pas le cas. Cela peut conduire le public à faire des choix court-termistes et à conserver un chauffage au fioul. Pourtant, le prix du pétrole est un prix politique. Il ne faut pas oublier que cette énergie est très subventionnée : 90% des aides mondiales vont aux énergies fossiles. Ce prix bas est également la conséquence d'un bras de fer entre les Etats-Unis et le Moyen-Orient, auquel s'ajoute une décroissance chinoise. Alors que le prix du gaz est indexé sur le prix du pétrole, difficile dans ce contexte de vendre des équipements plus performants. Qui va donner l'exemple ? Madame Michu dans son coin ?
AE : N'est-ce pas le moment d'introduire une tarification du carbone ?
PM : Le danger de la rhétorique sur une énergie décarbonée, c'est qu'elle peut faire le jeu de l'énergie nucléaire. Il faut faire en sorte que cela profite aux énergies renouvelables.
AE : Quid de la troisième période des certificats d'économie d'énergie (CEE) ?
PM : Là aussi, les énergéticiens sont à la manette ! Nos entreprises sont confrontées à des pratiques anticoncurrentielles : lorsque la filiale d'un énergéticien fait une proposition à un acheteur public, elle valorise les CEE au prix qu'elle veut. Elle surévalue donc le rachat des CEE et, de fait, peut proposer des prix plus bas puisque les CEE peuvent représenter jusqu'à 25% du montant de la facture…