Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, a présenté jeudi 16 janvier 2014 un rapport d'évaluation sur la mise en œuvre par la France du Paquet énergie-climat devant le comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale.
Le faible nombre de députés présents à cette audition peut interpeller alors que le Parlement est amené cette année à débattre du projet de loi sur la transition énergétique. Ce qui n'a pas échappé à Claude Bartolone, qui a relevé la nécessité d'une meilleure concertation et de pédagogie sur la question du changement climatique, et souhaité que le débat prévu au Parlement sur cette question "participe de cette prise de conscience".
"Cette politique, indispensable compte tenu des évolutions à attendre en termes d'énergies fossiles et de réchauffement climatique, est plus ressentie comme une contrainte, et notamment européenne, plutôt que comme un élément accepté par les citoyens et par les Etats", a déploré le président de l'Assemblée nationale.
L'une des économies les moins carbonées d'Europe
La France a l'une des économies les moins carbonées d'Europe car sa production électrique relève à plus de 90% de sources non émettrices de CO2. En effet, elle est issue aux trois-quarts du nucléaire et pour un sixième des sources renouvelables. "Du fait de cette particularité de sa production énergétique, les émissions de gaz à effet de serre (GES) de la France proviennent d'abord des transports : 28%, dus à 95% au seul transport par route", relève le rapport de la Cour des comptes.
L'autre spécificité française est le poids élevé de l'agriculture (21%) dans les émissions de GES, même si ce secteur talonne celui de l'industrie (22%). L'agriculture se caractérise par ailleurs par le fait que ses émissions de gaz à effet de serre sont principalement constituées de protoxyde d'azote et de méthane, au pouvoir de réchauffement global plus élevé que celui du CO2.
Si les émissions de GES ont baissé en France de 15% depuis 2005 et que l'objectif du protocole de Kyoto (1) sera donc largement dépassé, cette situation doit toutefois être relativisée. D'une part, cette baisse s'accompagne d'une hausse parallèle de l'empreinte carbone, du fait des délocalisations de productions intenses en carbone vers des pays plus laxistes. D'autre part, les évolutions sont contrastées selon les secteurs.
Une baisse en partie due à la crise économique
La baisse s'explique en effet pour une grande part par la réduction des émissions industrielles de gaz autres que le CO2, en raison principalement de la crise économique. Ce qui signifie aussi qu'une reprise de la croissance pourrait fragiliser cette baisse.
Les émissions agricoles ont également baissé mais de façon limitée. Les mesures prises par la France dans ce secteur sont très peu nombreuses et ne sont pas évaluées, pointe le président de la Cour des comptes. Elles ont pour particularité d'être concentrées sur les émissions de CO2, laissant ainsi de côté 92% des émissions. "Au mieux, les quelques mesures ont concerné une exploitation sur 100", ajoute Didier Migaud.
Le résidentiel-tertiaire, qui est le quatrième secteur émetteur, connaît quant à lui des fluctuations annuelles en fonction de la météo "sans qu'une réelle tendance à la baisse puisse être dégagée". Le secteur du transport, enfin, a connu "une hausse de ses émissions de 1990 jusqu'en 2004, que la baisse enregistrée depuis lors n'a pas encore permis d'effacer". Les mesures prises dans ce secteur, dont la part est croissante dans les émissions de CO2, sont jugées "onéreuses et faiblement efficientes" par la Cour des comptes.
Mesures coûteuses et peu efficaces
Au final, la Cour des comptes estime que "les objectifs 2020 en matière de réduction d'émission de GES et d'efficacité énergétique paraissent pouvoir être atteints". Mais, en même temps, elle souligne qu'il s'agit de prévisions faites "sous des hypothèses volontaristes particulièrement fortes, voire, pour certaines, irréalistes, notamment en matière de construction de logements et de rénovation thermique".
Les mesures prises par la France ne forment pas un ensemble cohérent, relève Didier Migaud. "Concentrées sur le logement et le tertiaire qui ne sont pas les principaux émetteurs, elles traitent le transport par des mesures coûteuses mais peu efficaces et font une quasi impasse sur l'agriculture", explique-t-il.
Dans une économie peu carbonée comme celle de la France, les principaux "réservoirs" d'économies d'énergie et donc de réduction des émissions de gaz à effet de serre se trouvent moins dans la production d'énergie que dans ses usages, qu'il faut rendre beaucoup plus efficaces et économes, conclut la Cour. "Cette efficacité est à trouver dans une nouvelle organisation de la mobilité, de l'aménagement de l'espace et du bâti, dans une manière nouvelle de penser les circuits reliant les lieux de production et de consommation, ou, encore, dans une modification du modèle alimentaire", précise le rapport.
Autrement dit, au regard de leur potentiel, transport et agriculture devraient contribuer de façon beaucoup plus importante aux efforts de réduction des émissions. "Paradoxalement, ce sont les secteurs qui ont été le moins ciblés par les mesures prises au niveau national", pointe Didier Migaud. Il faut dire aussi qu'il s'agit des secteurs dans lesquels les décisions politiques sont les plus délicates à prendre…