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Quel verdissement pour l'industrie ?

Raphaël Romi relève des défauts dans le projet de loi relatif à l'industrie verte, générateur, à ses yeux, de disparités territoriales et de potentiels contentieux.

DROIT  |  Tribune  |  Gouvernance  |  
Droit de l'Environnement N°323
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°323
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Quel verdissement pour l'industrie ?
Raphaël Romi
Professeur de droit émérite
   

Une simple lecture du projet de loi ne suffit pas à en comprendre la portée, dont on ne sait pas exactement d'ailleurs s'il vise à verdir l'industrie ou à favoriser des industries vertes et surtout ce qu'il faut entendre par cela.

C'est sans doute au Parlement qu'il incombera de trancher ou de décider de ne pas le faire.

Ce canevas impacte plusieurs codes et plusieurs domaines du droit de l'environnement, et est construit sur le modèle de la loi sur la facilitation des énergies renouvelables. Seul le volet sur l'économie circulaire, très logique, différencie la structure de la future loi sur l'industrie verte de celle sur la facilitation des énergies renouvelables.

De même que pour les énergies renouvelables, il y aura planification. De même aussi, la « modernisation » de la consultation est à l'ordre du jour. Dans le même esprit, la « facilitation » va de pair avec une « reprise » des friches et une orientation volontaire de la commande publique.

La planification, ici, est cependant, au contraire de celle initiée pour les énergies renouvelables, régionalisée : le schéma d'aménagement de l'article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales en sera le vecteur. À terme, cela confirme peut-être, d'ailleurs, que la planification en matière d'énergies renouvelables est destinée à connaître une régionalisation, dans un souci d'alignement des procédures.

Les dispositions sur la consultation sont bien plus nombreuses. Comme pour la loi sur la facilitation des énergies renouvelables, une seule enquête publique, quand elle est exigée, aura lieu.

On notera cependant que ce projet complète heureusement le processus, ce qui contrebalance les éventuels effets pervers de cette jonction …. n'ayant qu'une occasion de « participer », le public se voit reconnaître une garantie procédurale d'envergure : le Gouvernement propose qu'un nouvel article du code de l'environnement (article L. 123-1-B) pose que: « Le juge administratif des référés fait droit à toute demande de suspension d'une décision prise sans que la participation du public mentionnée à l'article L. 123‑1-A ait eu lieu, alors qu'elle était requise. »

La prise en compte globale des projets d'industrialisation sur un territoire sera également possible pour ce qui concerne les débats publics :

« Art. L. 121-8-2. – Lorsque plusieurs projets d'aménagement ou d'équipement susceptibles de relever du I de l'article L. 121-8 sont envisagés sur un même territoire délimité et homogène dans les dix ans à venir, il peut être organisé, à la demande d'une personne publique, un débat public global ou une concertation préalable globale, dans les conditions prévues au présent chapitre, pour l'ensemble de ces projets. Par dérogation au dernier alinéa du I de l'article L. 121-8, la Commission nationale du débat public est saisie de cette demande par cette personne publique. Celle-ci lui transmet le dossier mentionné au I de l'article L. 121-8 qu'elle a reçu préalablement du maître d'ouvrage pour chaque projet, ou qu'elle élabore elle-même pour les projets dont le maître d'ouvrage n'est pas encore connu. Dans ce dernier cas, le délai de trois mois mentionné à l'article L. 121-13 court à compter de la date à laquelle ce maître d'ouvrage est connu.

« Lorsqu'un débat global ou une concertation préalable globale a eu lieu pour un ensemble de projets envisagés sur un territoire délimité et homogène, ces projets, ainsi que ceux envisagés ultérieurement sur le même territoire et cohérents avec sa vocation, sont dispensés de débat public propre ou de concertation préalable propre si leur mise en œuvre débute dans les dix ans suivant la fin de ce débat global ou de cette concertation globale.

« La Commission nationale du débat public, saisie dans les conditions prévues à l'article L. 121-8, peut toutefois décider, si elle l'estime nécessaire pour certains des projets mentionnés au précédent alinéa, d'organiser un tel débat ou une telle concertation. Elle motive sa décision. »

Si la globalisation est de nature à permettre un réel débat, vraiment territorialisé, et se situe dans la dynamique récente visant à mettre fin au fractionnement des procédures, le délai de dix ans est à l'évidence bien trop long et trop permissif. En dix ans, les besoins d'un territoire évoluent. Les urgences d'aujourd'hui ne sont à l'évidence plus celles d'il y a dix ans, mais la leçon n'a pour l'instant pas été comprise, et il y a là, en ferment, des « hiatus » générateurs de contentieux, de conflits… et de futures ZAD (1)  !

Les dispositions sur les friches sont également en concordance avec celles qui figurent dans la loi de facilitation des énergies renouvelables. Il s'agit d'élargir les possibilités des « tiers intéressés » à se substituer aux exploitants passés pour toutes les obligations liées à un nouvel usage de friches, y compris la mise en sécurité des sites.

Mais il s'agit aussi – et ce seront sans doute les articles les plus débattus – d'intégrer dans le code de l'environnement (nouvel article L. 163-1-A) des possibilités de renaturation et des dynamiques de « compensation » :  le texte prévoit notamment que «Des actions de restauration ou de développement d'éléments de biodiversité peuvent être réalisées par des personnes publiques ou privées sur des terrains déterminés qui sont dénommés ‘‘sites naturels de restauration et de renaturation''. »

Le mode d'inclusion dans le code de l'environnement généralise, au-delà des friches initialement seules concernées, cette procédure qui aboutit potentiellement à la consécration de la création d'unités de compensation et à terme, à un « marché » des unités de compensation.

Et si  « les sites naturels de restauration et de renaturation font l'objet d'un agrément préalable de l'autorité administrative compétente, selon des modalités définies par décret, en prenant notamment en compte le gain écologique attendu, l'intégration du site dans les continuités écologiques mentionnées au titre VII du livre III, sa superficie et les pressions anthropiques s'exerçant sur celui-ci. », il subsiste des questions essentielles : ces terrains seront ils déterminés par les régions,  et possiblement inclus dans les schémas de cohérence écologique ? Le décret ira-t-il jusqu'à exiger une tierce expertise par des personnes agréées ?

De toute manière, il y a une possibilité de voir des territoires devenir des « niches de compensation écologique » et d'autres promis à une industrialisation non compensée sur le territoire concerné, et de voir par exemple des Sdage (2) prévoyant des exigences de compensation sur le même bassin promis à des modifications de ces exigences.

La loi sur l'industrie verte risque donc de laisser au pouvoir réglementaire le soin d'ouvrir une boîte de Pandore : cela mériterait plutôt un vrai débat parlementaire portant sur l'encadrement d'un processus qui peut aboutir à mettre en place un pays à deux vitesses ….

Le titre sur l'économie circulaire est pour sa part en cohérence avec la loi Agec et sera moins critiqué.

La sortie du statut de déchet et le régime juridique des « résidus » visent à développer l'usage de matières premières recyclées dans l'industrie en facilitant la sortie de statut de déchet pour deux cas précis. Pour le Gouvernement, il s'agit de sécuriser, d'une part, le cadre légal de la sortie de statut de déchet dite « implicite », dans les cas où le déchet vient remplacer une matière première vierge sans modification du produit final (dans le cadre d'un processus de production) et, d'autre part, d'ouvrir une possibilité de recycler sans procédure particulière les résidus de production au sein des plateformes industrielles.

Le noyau dur du projet de loi est évidemment le titre sur la facilitation. C'est avant tout le code de l'urbanisme qui est modifié par une disposition générale :

« ….Lorsque la réalisation dans une unité urbaine d'une opération d'aménagement ou d'une construction comportant principalement des logements et présentant un caractère d'intérêt général nécessite la mise en compatibilité du schéma directeur de la région d'Ile-de-France, du plan d'aménagement et de développement durable de Corse, d'un schéma d'aménagement régional, d'un schéma de cohérence territoriale, d'un plan local d'urbanisme ou d'un document en tenant lieu, cette mise en compatibilité peut être réalisée dans le cadre de la procédure intégrée pour le logement définie au présent article.

(…) Lorsque la réalisation d'un projet immobilier de création ou d'extension de locaux d'activités économiques, présentant un caractère d'intérêt général en raison de son intérêt majeur pour l'activité économique locale ou nationale et au regard de l'objectif de développement durable, nécessite la mise en compatibilité du schéma directeur de la région d'Ile-de-France, du plan d'aménagement et de développement durable de Corse, d'un schéma d'aménagement régional, d'un schéma de cohérence territoriale, d'un plan local d'urbanisme ou d'un document en tenant lieu, cette mise en compatibilité peut être réalisée dans le cadre de la procédure intégrée pour l'immobilier d'entreprise définie au présent article. L'intérêt économique majeur d'un projet s'apprécie compte tenu du caractère stratégique de l'activité concernée, de la valeur ajoutée qu'il produit, de la création ou de la préservation d'emplois qu'il permet ou du développement du territoire qu'il rend possible. »

La détermination de l'intérêt général est simplifiée et passe par une déclaration de projet.

Il serait possible que le point de savoir comment et par qui l'intérêt économique majeur s'apprécie soit très débattu….

Les parlementaires auront à l'esprit que l'application de ces simplifications des définitions pourra notamment faire échapper à la compétence des élus locaux (qu'ils sont souvent) des opérations d'aménagement de leur territoire. Quant à l'application du même dispositif aux implantations « … d'une installation industrielle de fabrication ou d'assemblage des produits ou équipements qui participent directement aux chaînes de valeur des activités dans les secteurs des technologies favorables au développement durable…», on peut s'interroger sur le renvoi à un décret, qui pourrait introduire de manière discutable une assimilation entre des projets  contestables et les projets d'énergie renouvelable, qui bénéficient déjà de cette présomption.

D'autant plus que comme pour la loi de facilitation des énergies renouvelables, la facilitation passe par la recentralisation partielle des compétences d‘urbanisme (futur article L. 306-2 du code de l'urbanisme).

Un processus de qualification de « projet national d'intérêt public majeur » aboutira en effet à des mises en conformité imposées et même adoptées par décret : le maintien – constitutionnellement inévitable évidemment –  de la participation du public ne changera rien à l'affaire , il s'agit bien d'un recul considérable de la territorialisation des planifications économiques, qui aurait pu, s'il y avait été procédé précédemment,  « justifier » des projets abandonnés ces dernières années  en raison de leur dimensionnement jugé excessif (scieries industrielles, aéroports, centres de loisirs, etc.).

Il faudra mesurer si les juges sauront et oseront jauger si des projets inadaptés seront – puisque c'est de cela qu'il s'agit – vraiment d'intérêt majeur pour « pour la souveraineté nationale ou la transition écologique ». C'est là, pour le Conseil d'État, un vrai défi !

L'article 11, qui vise à favoriser les regroupements d'activités commerciales en les délivrant de toute exigence d'autorisation d'ouverture de grande surface quand ils favorisent une implantation industrielle stratégique est, malgré la mention d'une obligation de conformité avec les dispositions sur l'artificialisation des sols, complètement en contradiction avec les objectifs affichés par celles-ci. En ce sens, il constitue un nid à contentieux.

Il n'est jamais inutile d'accorder de l'importance à l'avis du Conseil d'État (3)  : sur cet article, il valide pourtant sans aucune remarque un processus qui revient en arrière, au bénéfice d'un régime bien peu précis, et c'est un peu problématique.

Le financement « vert » consiste en un fléchage d'instruments d'épargne privés dont certains nouveaux (plan d'épargne avenir climat - article 16), et des anciens ou nouveaux labellisés par l'État (article 15). Au contraire de textes antérieurs de droit public économique, aucun fonds spécifique d'État n'est créé.

Enfin, les articles concernant la commande publique confirment la volonté de l'État d'initier un effet de levier : comme dans la loi Agec (4) et la loi sur le changement climatique, en résonance avec la loi sur la facilitation des énergies renouvelables, plusieurs  axes sont énoncés , qui pourraient favoriser les entreprises ayant enclenché un processus environnemental au titre de la RSE et surtout institueraient des possibilités de sanction des entreprises qui ne respecteraient pas leurs obligations en matière de bilan de gaz à effet de serre.

Au total, un texte pragmatique mais, en l'état, générateur de disparités territoriales et de contentieux d'envergure, et dont on espère que la discussion parlementaire le rééquilibrera dans le sens d'une prise en compte plus substantielle des disparités territoriales et d'un moindre renvoi au pouvoir réglementaire.

1. Zones à défendre2. Schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux3. CE, avis, 11 mai 2023, n° 407035, sur un projet de loi relatif à l'industrie verte4. L. n° 2020-105, 10 févr. 2020, op. cit.

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