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Un an de « référé-liberté environnement » : retour sur l'année 2022-2023

Le 20 septembre 2022, le Conseil d'État a consacré le « référé-liberté environnement ». Pourtant, un an après sa consécration, ce nouvel outil ne semble pas avoir l'efficacité escomptée.

DROIT  |  Étude  |  Gouvernance  |  
Droit de l'Environnement N°326
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°326
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Un an de « référé-liberté environnement » : retour sur l'année 2022-2023
Sébastien Bécue et Marc Pitti-Ferrandi
Avocats associés, Terranostra Avocats
   

Une partie de la doctrine publiciste – et pas seulement environnementaliste – s'est enthousiasmée lorsque le Conseil d'État a décidé que (1) « le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé présente le caractère d'une liberté fondamentale », invocable dans le cadre du référé-liberté, prévu à l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

Les protecteurs de l'environnement se sont enfin vu disposer d'un outil rapide – 48 heures dit le texte – et efficace – « toutes mesures utiles » pouvant être ordonnées, leur permettant de mettre un terme immédiat aux atteintes graves et manifestement illégales à l'environnement, en cours ou sur le point de se produire. Les avantages semblent précieux.

Au premier titre, la suspension des activités en cours ne nécessite pas qu'une décision administrative préalable soit intervenue, alors que c'est le cas pour les autres référés administratifs environnementaux – référé-suspension (2) , référé « étude d'impact » (3) et référé « enquête publique » (4) . Surtout, le délai de traitement des demandes, 48h en principe, semble rendre possible l'arrêt immédiat des tentatives de « passages en force », courantes en la matière. Rappelons qu'il s'agit du principal défaut du référé-suspension : si les actions en cours au moment de la demande sont terminées – par exemple, le boisement est défriché – à la date de rendu de l'ordonnance, alors le juge administratif considère classiquement que la demande est frappée d'un non-lieu (voire lorsque les travaux, « réalisés pour l'essentiel », en sont « à un stade d'exécution trop avancé (5) »). Or, les décisions en matière de référé-suspension sont, d'expérience, rendues au plus rapide en 15 jours, et souvent en un mois. Quant aux formes de référés non administratifs – le référé pénal environnemental de l'article L. 216-13 du code de l'environnement, utilisable en cas de non-respect de certaines prescriptions de ce code, et les référés civils – trouble manifestement illicite et préjudice écologique – ceux-ci sont trop peu usités pour que l'on puisse pour l'heure s'intéresser à leur efficacité en cas de dommage imminent. Ajoutons que le référé liberté est un objet connu et utilisé par les magistrats administratifs. En tant que juges des polices environnementales, ces derniers ont l'habitude de lire et d'analyser des documents scientifiques complexes pour en tirer des conclusions sur la légalité d'une décision administrative. Curieux au vu de cette attente que nous partagions, nous nous sommes intéressés (6) à l'utilisation de ce « référé-liberté environnement » par les requérants, et son traitement par les magistrats, entre septembre 2022 et septembre 2023.

I. Le référé-liberté environnement : un pari d'équilibre du Conseil d'État

On note d'emblée la densité particulière du considérant du Conseil d'État (7) , qui le rend difficile à lire :

« Le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l'article premier de la Charte de l'environnement, présente le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Toute personne justifiant, au regard de sa situation personnelle, notamment si ses conditions ou son cadre de vie sont gravement et directement affectés, ou des intérêts qu'elle entend défendre, qu'il y est porté une atteinte grave et manifestement illégale du fait de l'action ou de la carence de l'autorité publique, peut saisir le juge des référés sur le fondement de cet article.

Il lui appartient alors de faire état de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour elle de bénéficier, dans le très bref délai prévu par ces dispositions, d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article.

Dans tous les cas, l'intervention du juge des référés dans les conditions d'urgence particulière prévues par l'article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2, les mesures qu'il peut ordonner doivent s'apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises ».

Le Conseil d'État consacre d'abord « le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » comme liberté fondamentale, aspect essentiel, et déjà très commenté, de la décision. Ensuite, il présente les conditions de mise en œuvre cette nouvelle voie de recours. On y retrouve les critères traditionnels de recours au référé-liberté. D'une part, les critères textuels :

-    l'atteinte à la liberté en cause doit être grave et manifestement illégale ;

-    l'exigence d'un lien avec les pouvoirs d'une personne morale de droit public – l'atteinte doit résulter du fait de l'action ou de la carence. Notons que la prise en compte de l'absence d'action de l'autorité de police – la carence – n'est pas nouvelle (8) et parfaitement logique en matière d'environnement dès lors que l'illégalité de l'atteinte découle souvent de l'absence d'obtention du titre administratif nécessaire.

D'autre part, les critères jurisprudentiels ajoutés progressivement par le Conseil d'État :

-    la nécessité de faire valoir des circonstances particulières permettant de caractériser l'urgence spécifique à bénéficier d'une mesure de juge dans le délai très resserré – et exigeant pour les magistrats – de 48 heures – afin de différencier cette mesure (9) du référé-suspension « classique » ;

-    la question de l'effectivité des mesures demandées : par rapport aux moyens effectifs dont dispose l'autorité publique, et aux mesures qu'elle a déjà prises (10) . La démonstration de l'utilité réelle des mesures demandées, au regard du contexte en cours jusqu'à la date de l'ordonnance doit ainsi être réalisée.

Si on a vu, comme le prévoit la jurisprudence traditionnelle, que le requérant doit faire valoir des « circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d'une mesure », la doctrine a immédiatement noté l'accent particulier mis sur « la situation personnelle » du requérant, qui doit être gravement et directement affectée – notamment « ses conditions ou son cadre de vie ». Les raisons de ce choix ont été explicitées par le rapporteur public Philippe Ranquet dans ses conclusions sous la décision fondatrice du Conseil d'État du 20 septembre 2022 (11) . D'un côté, il ne faudrait pas ouvrir trop l'action, afin d'éviter un « appel d'air déstabilisateur pour le fonctionnement des juridictions et de l'administration ». De l'autre, il ne faudrait pour autant pas générer chez les requérants « une frustration si en réalité aucune mesure n'est susceptible d'être prononcée sur son fondement ». La doctrine semblait avoir choisi son camp en s'interrogeant sur l'utilité d'un référé aux conditions si restreintes. Qu'en est-il en pratique ? Ce pari d'équilibre est-il réussi ou, toujours pour reprendre la formule du rapporteur public, ce nouveau référé constitue-il une ouverture de prétoire « en trompe-l'œil » ?

II. Les conditions du « référé liberté environnement » à l'épreuve de la pratique

D'un point de vue procédural, l'analyse des ordonnances rendues montre que celles-ci le sont dans un délai généralement très court, qui correspond, la plupart du temps, à l'enjeu particulier de l'affaire : entre un et vingt jours, le plus souvent en trois jours maximum. On note encore qu'une partie des décisions analysées sont rendues sans audience, comme le permet l'article L. 522-3 du code de justice administrative lorsqu'il apparaît au juge que « la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée ».

En ce qui concerne les thématiques, il est intéressant d'observer qu'une grande partie des référés (12) introduits l'ont été pour prévenir la réalisation de travaux de défrichement ou de déboisement qui sont sur le point de débuter. On note aussi des opérations de comblement d'une mare (13) et de démolition d'un bâtiment dont il est allégué qu'il abriterait des spécimens et habitats (14) d'espèces protégées. Trois référés (15) sont introduits à l'encontre d'autorisations de tirs d'effarouchement, qui doivent avoir lieu quelques jours après. Les thèmes de trois des référés introduits nous semblent plus relever de la protection du « cadre de vie » que de l'environnement stricto sensu : privation d'accès à la plage, nuisances sonores et accumulation de poubelles non ramassées (16) . Enfin, on note une action (17) contre une autorisation d'exploiter une porcherie, logiquement rejetée car relevant clairement du domaine du référé suspension – l'arrêt des opérations de mise en service de l'installation ne nécessitant à l'évidence pas une intervention en 48 heures. Cette analyse des thématiques montre que le « référé-liberté environnement » a une utilité : il s'agit, pour la plupart du temps, d'opérations dont les impacts s'épuisent très rapidement. L'impact des tirs d'effarouchement a lieu au moment du tir. Il en serait de même pour des autorisations de prélèvement de spécimens animaux. Les opérations de défrichement et de déboisement – ou de comblement d'une mare, selon leur ampleur, peuvent avoir une durée de mise en œuvre plus longue, mais les impacts sont caractérisables dès leur commencement. Et s'agissant de la destruction d'éléments naturels, on note également une irréversibilité des impacts.

En ce qui concerne le fond, on voit que la méthodologie d'appréciation varie selon les cas d'espèce. Les tribunaux commencent parfois par la caractérisation de l'atteinte. Dans un cas où l'argumentation ne semblait pas très soutenue, le tribunal se prononce (18) sur la gravité de l'atteinte et estime que ne constitue pas une « atteinte grave au droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » l'exécution de travaux autorisés par permis de construire et dont il est allégué qu'ils sont susceptibles « d'être fatal à [un chêne] qui en outre, abrite le grand capricorne du chêne, qui est une espèce protégée ».

Le contrôle peut porter également sur le caractère manifestement illégal de l'atteinte. Ainsi, dans un cas où il est soutenu que le déboisement mis en œuvre aurait dû être précédé d'une autorisation de défrichement, le tribunal administratif de Melun vérifie si c'est effectivement le cas, sans s'interroger à ce stade sur l'atteinte grave à la « situation personnelle » des requérants autrement qu'en relevant leur qualité de voisins immédiats de la zone boisée. Il est conclu à l'absence de « carence illégale » (19) de la part du préfet. De manière assez similaire, le tribunal administratif de Nice contrôle (20) la sensibilité du bâtiment à démolir, au regard de la présence des différentes espèces présentes, et conclut à l'absence de nécessité d'une dérogation « espèces protégées » selon la méthodologie consacrée par le Conseil d'État. On note également qu'il est jugé (21) que ne constitue pas une « atteinte grave et manifestement illégale » l'accumulation de déchets devant le restaurant du requérant dans le contexte de grève des éboueurs.

À l'inverse, s'agissant d'un projet de lotissement unique, qui doit avoir lieu sur une grande surface, et dont la réalisation a été manifestement fractionnée en trois phases, le tribunal administratif de Pau estime, après avoir vérifié le caractère exécutable de l'autorisation de défrichement en cause, que « la mise en œuvre de l'autorisation de défrichement étant susceptible de porter une atteinte grave et manifestement illégale aux espèces protégées présentes sur le site sur lequel le projet de lotissement est amené à être réalisé, les conditions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative sont réunies ». L'arrêté est suspendu (22) tant que le préfet ne s'est pas prononcé sur la soumission du projet ou non à dérogation « espèces protégées ».

Parfois, le juges des référés ne s'intéresse pas réellement aux caractéristiques de l'atteinte et s'arrête à la seule conclusion d'une absence d'atteinte à la situation personnelle du requérant. On note ainsi ce cas d'un référé introduit par une commune voisine de la commune du territoire sur laquelle doit avoir lieu un défrichement. Même si l'abattage des arbres est visible depuis le territoire de la commune requérante, les parcelles concernées par le défrichement imminent sont éloignées de toute habitation localisée sur son territoire. Peu importe pour le juge que le projet global de défrichement concerne également les parcelles de la commune requérante : le référé est rejeté (23) dès lors que le défrichement imminent n'a pas lieu sur son territoire. Ce cas revêt une importance particulière dans notre analyse car l'un des auteurs l'a plaidé et il était évident qu'il existait une question sérieuse quant à la nécessité d'une dérogation « espèces protégées » …

Enfin, il nous semble que le cas de l'autoroute A69 illustre bien l'enjeu du « référé liberté environnement » et ses limites. Le tribunal administratif de Toulouse est saisi en référé liberté d'une demande de suspension des opérations d'abattage d'alignements d'arbres au droit du tracé de la future autoroute A69 pour deux motifs. Selon les requérants, les opérations doivent obtenir préalablement une dérogation au titre de l'article L. 350-3 du code de l'environnement qui, pour rappel, interdit la destruction de tout alignement, sauf à ce qu'il soit démontré « que l'état sanitaire ou mécanique des arbres présente un danger pour la sécurité des personnes et des biens ou un danger sanitaire pour les autres arbres ou bien lorsque l'esthétique de la composition ne peut plus être assurée et que la préservation de la biodiversité peut être obtenue par d'autres mesures ». Ils soutiennent également que les opérations doivent être précédées d'une dérogation « espèces protégées », le préfet ayant d'ailleurs été saisi d'une demande en ce sens. Le tribunal rejette la demande (24) en considérant que la réalisation des opérations n'apparaît pas susceptible de constituer « une atteinte grave et manifestement illégale au droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».  En appel, le Conseil d'État concède dans son ordonnance que des arbres ont été abattus lors de la phase préparatoire des travaux, mais constate également que, conformément à l'autorisation environnementale délivrée, les opérations d'abattage doivent être suspendues entre avril et septembre 2023. Seules quelques coupes d'arbres identifiées comme à moindre enjeu par l'Administration peuvent avoir lieu toute l'année. Le Conseil d'État conclut en conséquence que « la condition d'urgence particulière requise par l'article L. 521-2 du code de justice administrative n'est pas, en l'espèce, satisfaite » puisque les travaux sont interrompus. Il ne se prononce donc pas sur les caractéristiques de l'atteinte.

À l'approche de la reprise des travaux d'abattage, le tribunal administratif de Toulouse est à nouveau saisi, cette fois en référé-suspension. La demande de suspension des opérations est à nouveau rejetée, au motif qu'il n'est pas démontré que la dérogation « espèces protégées » délivrée entretemps serait illégale ; le juge des référés jugeant notamment (25) que la création de l'autoroute relève d'une raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM).

III. Une application trop restrictive pour pallier les insuffisances des procédures existantes

La submersion des juridictions redoutée par le rapporteur public du Conseil d'État n'a pas eu lieu, du fait du poids des critères légaux de mise en œuvre du référé liberté, et d'une certaine rigidité du juge administratif – encouragée par le rapporteur public – lorsqu'il dispose d'une marge d'appréciation. Les critères textuels de particulière gravité et d'illégalité manifeste de l'atteinte apparaissent ainsi souvent rédhibitoires. Pourtant, dès lors que la protection du vivant passe par l'évitement de toute d'atteinte illégale, on pourrait imaginer qu'il soit considéré que la gravité en matière d'atteinte environnementale découle directement de la possibilité de réversibilité des impacts, quelle que soit l'ampleur de l'atteinte en cause. Le critère de la réversibilité est d'ailleurs classiquement retenu par le juge des référés suspension pour admettre l'urgence dans le cadre du contentieux des permis de construire – y compris pour des petites constructions. Une appréciation de la gravité à l'aune de la réversibilité des dommages imminents permettrait d'ouvrir la procédure de référé liberté à des dommages que le référé suspension – souvent jugé en plusieurs semaines, pendant lesquels les travaux se poursuivent, voire s'achèvent – ne permet pas de prévenir. Dans une logique d'urgence de protéger, le curseur actuel de la gravité ne semble pas adapté. On se félicite que le juge administratif considère que le fait d'interdire l'accès au stade à des supporters de foot est susceptible de causer une atteinte grave à leur liberté. Ne devrait-il pas en être de même pour la protection d'habitats d'espèces protégées ? Finalement, comme l'avait annoncé le rapporteur public – cause ou effet ? – son champ semble limité aux « coupes d'arbres » et aux « actes comme des autorisations de battues ou de tirs sur une espèce protégée, susceptibles d'être mises en œuvre à tout moment ». Et les petites atteintes ne sont pas concernées.

Ce d'autant que la caractérisation d'une atteinte grave n'est pas chose aisée, du fait de l'asymétrie d'information entre l'auteur de l'atteinte, qui a souvent étudié le terrain sur lequel il va mener ses opérations, et le requérant, qui constate l'existence de l'atteinte, mais n'en connaît souvent pas les contours. Asymétrie renforcée dans le contexte du référé liberté par le fait que le requérant est, par hypothèse, pris par le temps. Il n'est ainsi notamment pas en mesure de solliciter une contre-expertise. Dans un tel délai, la principale option qui lui est ouverte pour caractériser la sensibilité de la zone atteinte consiste à consulter les études et inventaires écologiques réalisés dans le cadre des différents documents de planification : rapport de présentation du PLU (26) , Sraddet (27) , Sdrif (28) , SRCE (29) , SAR (30) , Padduc (31) , fiches Znieff (32) , Natura 2000, etc. Mais les informations environnementales ne sont souvent pas accessibles. Soit qu'aucune évaluation environnementale, étude d'impact, inventaires de biodiversité, etc. n'existent, soit que leur communication est refusée. Les éventuelles études de l'auteur des travaux en particulier ne sont que très rarement communiquées en urgence. Leur communication est même refusée dans de nombreux cas, malgré la Convention d'Aarhus et la directive de 2003 sur l'accès du public à l'information en matière d'environnement. L‘exemple des plans simples de gestion (PSG), qui organisent et autorisent les coupes d'arbres, est topique. Alors qu'ils autorisent directement le propriétaire à réaliser, sur plusieurs années et sans formalité supplémentaire, les coupes et travaux qu'ils prévoient, ces PSG ne sont pas communicables selon la Commission d'accès aux documents administratifs (33) (Cada). La même autorité admet pourtant que les autorisations ponctuelles de coupes et les autorisations de défrichement sont communicables. Ce refus injustifié de communication est aggravé par l'absence de soumission des PSG à étude d'impact, du moins jusqu'à ce que la clause-filet soit enfin mise en œuvre à leur encontre.

Les juridictions ne risquent pas d'être submergées face aux difficultés d'accès aux informations environnementales et aux critères restrictifs de ce référé. Le faible nombre de « référés libertés environnement » formés cette dernière année témoigne de la conscience des associations, des particuliers et des praticiens de l'ouverture toute relative de cette procédure aux problématiques environnementales. Le caractère excessivement restrictif – et subjectif – de la gravité et de l'illégalité manifeste exigées par le juge a eu raison de nombre d'associations pourtant habituées des prétoires. D'autant que l'extrême urgence s'accommode mal du temps nécessaire aux processus démocratiques internes de la plupart des associations.

Dans le même sens, et dès lors que l'atteinte susceptible d'être causée est irréversible, le critère textuel de l'illégalité manifeste est forcément déceptif. Reconnaître une atteinte manifestement illégale pour un juge unique représente en outre une décision parfois particulièrement difficile à prendre. La décision prise en urgence est souvent trop lourde à porter pour un juge seul face à des projets de grande ampleur portés ou soutenus par l'Administration. C'est le cas, par exemple, des décisions sur l'autoroute A69. L'utilité de cette autoroute – au regard de ses impacts attendus - est extrêmement discutée politiquement. Dans ce cadre, il semble regrettable, pour l'effectivité du droit, que les travaux – impliquant des destructions importantes – puissent être réalisés avant que la question ait pu être tranchée au fond. Face à des dossiers complexes ou de grande ampleur, les juridictions devraient utiliser la possibilité qui leur est offerte de juger en urgence en formation collégiale (34)  : juger à plusieurs, sur conclusions d'un rapporteur public, devrait accroître tant la qualité que la légitimité des décisions rendues.

L'appréciation restrictive de l'atteinte à la situation personnelle complique elle aussi l'accès au « référé liberté environnement ». On peut en particulier être dubitatif lorsque cette appréciation conduit le juge à exclure qu'une commune ait intérêt à agir contre des coupes réalisées sur la commune voisine dans le cadre d'un projet partiellement localisé sur son territoire. Exiger que l'atteinte se produise sur le territoire de la commune requérante semble disproportionné, particulièrement pour la matière environnementale. La protection des communs exige une ouverture large du prétoire, au-delà d'une simple lecture « propriétariste » de l'environnement. L'arbre – pour reprendre l'application la plus courante du « référé liberté environnement » - ne doit pas être protégé parce qu'il appartient à un propriétaire, mais parce qu'il appartient aux éléments communs.

Allons plus loin. Il serait logique que la qualité de la personne qui saisisse le juge importe peu, comme c'est le cas en matière d'accès aux documents contenant des informations environnementales. Ce d'autant que, souvent, le propriétaire du lieu de l'atteinte est à l'origine de l'atteinte ou l'a autorisée. Il en est de même s'agissant de la commune du lieu de l'atteinte : celle-ci peut être investie dans le projet d'une manière ou d'une autre. Elle peut aussi, pour des raisons politiques, ne pas vouloir s'opposer au propriétaire, ou à l'État, si l'atteinte a fait l'objet d'un titre préfectoral. La responsabilité pèse donc sur les associations locales, dont les conditions de recevabilité sont systématiquement âprement débattues en contentieux, sur l'habilitation du président ou de la présidente, sur les champs matériel et géographique de leur objet social, etc. et qui se retrouvent à supporter le coût et les aléas d'une action destinée à protéger l'intérêt général. La décision d'introduction d'une action en défense de l'environnement nécessite un engagement supérieur à celui de la protection des intérêts privés.

En conclusion, le « référé liberté environnement » n'apparaît qu'avoir un intérêt limité en l'état. Pour s'attaquer véritablement à l'enjeu certain des passages en force en matière environnementale, il conviendrait de créer une nouvelle catégorie de référé environnemental ad hoc ouvert dans les conditions suivantes : appréciation souple de l'intérêt à agir, et suspension de l'atteinte dès lors que celle-ci a des effets irréversibles et qu'il existe un doute simple sur sa légalité – il ne semble pas nécessaire que ce doute soit sérieux en matière environnementale. Il s'agirait ainsi d'une inversion des priorités louable au regard de l'urgence écologique : privilégier, en cas de doute, la précaution à la mise en œuvre de travaux susceptibles d'impacts irréversibles.  Ce mouvement s'inscrirait dans une tradition de référés spécifiques à la protection de l'environnement : ce nouveau référé compléterait ainsi le référé « étude d'impact » et le référé « enquête publique », procédures qui ont perdu beaucoup de leur intérêt pratique aujourd'hui, avec la généralisation des études d'impact et des réponses des maîtres d'ouvrage aux conclusions des commissaires enquêteurs. Rappelons que ce sont peu ou prou les recommandations du rapport de la mission parlementaire « flash » sur le référé spécial environnemental de Mesdames Naïma Moutchou et Cécile Untermaier de mars 2021, dont on espère qu'elles ne resteront pas lettre morte.

1. CE, 20 sept. 2022, n° 451129 : Lebon2. CJA, art. L. 521-13. C. envir., art. L. 122-24. C. envir., art. L. 123-165. TA Grenoble, 7 juin 2019, n° 19032176. L'un des auteurs du présent article a eu l'opportunité, entretemps, de pratiquer ce « référé-liberté environnement ».7. CE, 20 sept. 2022, op. cit.8. CE, 22 déc. 2012, n° 364584 : Lebon9. CE, 6 avr. 2007, n° 304361 : Lebon T.10. CE, 19 oct. 2020, n° 439372 : Lebon11. CE, 20 sept. 2022, op. cit.12. TA Grenoble, 18 nov. 2022, n° 2207465 ; TA Melun, 15 déc. 2022, n° 2211700 ; TA Montpellier, 7 juill. 2023, n° 2303915 ; TA Nîmes, 4 nov. 2022, n° 2203283 ; TA Pau, 10 nov. 2022, n° 2202449 ; TA Toulouse, 24 mars 2023, n° 2301521 ; C'était également le motif de saisine du Conseil d'État pour l'arrêt de principe.13. TA Bordeaux, 18 janv. 2023, n° 2300254 ; TA Bordeaux, 23 janv. 2023, n° 230028314. TA Nice, 27 avr. 2023, n° 230196315. TA Toulouse, 2 août 2023, n° 2304589/2305590 ; TA Toulouse, 19 juill. 2023, n° 2304194/2304195/2304197/2304380 ; TA Toulouse, 27 juill. 2023, n° 230438016. Respectivement : TA Réunion, 17 août 2023, n° 2300961 ; TA Montpellier, 20 juill. 2023, n° 2304215 et TA Nantes, 24 mars 2023, n° 230396417. TA Limoges, 22 nov. 2022, n° 220157318. TA Montpellier, 7 juill. 2023, n° 230391519. TA Melun, 15 déc. 2022, n° 221170020. TA Nice, 27 avril 2023, n° 230196321. TA Nantes, 24 mars 2023, n° 230396422. TA Pau, 10 nov. 2022, n° 220244923. TA Grenoble, 18 nov. 2022, n° 220746524. TA Toulouse, 24 mars 2023, n° 230152125. TA Toulouse, 1er août 2023, n° 230397326. Plan local d'urbanisme27. Schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire28. Schéma directeur de la région Île-de-France29. Schéma régional de cohérence écologique30. Schéma d'aménagement régional31. Plan d'aménagement et de développement durable de la Corse32. Zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique33. Cada, avis, 2 déc. 2010, n° 20104571 ; Cada, avis, 4 sept. 2014, n° 20142683 ; Cada, avis, 10 déc. 2020, n° 2020448634. CJA, art. L. 522-1

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