Le vote de ce jeudi 15 juin était très attendu. Il devait décider du sort de la proposition de règlement présenté il y a un an par la Commission européenne en vue de « restaurer les écosystèmes endommagés et ramener la nature dans toute l'Europe ». « Ce règlement serait la première législation européenne à fixer des objectifs juridiquement contraignants pour les gouvernements nationaux en vue de restaurer nos écosystèmes dégradés », rappelle le WWF.
Le vote attendu, c'était celui des membres de la commission environnement du Parlement européen sur ce projet de texte qui divise. Si les eurodéputés l'ont effectivement examiné dans un climat électrique, le vote a été repoussé au 27 juin prochain, officiellement par faute de temps, tandis que le vote en session plénière devait avoir lieu lors de la session du 10 au 13 juillet prochains.
« Opportunité historique »
Ce report est révélateur des oppositions qui se cristallisent sur ce texte dont les ONG environnementales avaient salué l'initiative. Perçu comme « une opportunité historique (1) » pour enrayer l'effondrement de la biodiversité pour les uns, il est considéré comme une menace pour l'agriculture et la sylviculture pour les autres. Les 23 et 24 mai derniers, les commissions agriculture et pêche du Parlement européen, saisies pour avis, ont rejeté le texte, à la grande satisfaction de ces derniers.
Mais c'est le vote du 15 juin en commission environnement, saisie au fond, qui était le plus stratégique quant à la pérennité du projet. « Ce vote sera décisif : si le rejet du texte est voté, les chances sont quasi nulles de voir cette proposition aboutir lors du vote en plénière, le 10 juillet », avait prévenu France Nature Environnement (FNE), à l'unisson de nombreuses organisations environnementales, de scientifiques, mais aussi d'entreprises.
Dans une note, pas moins de 3 339 scientifiques européens rejettent en effet les arguments des opposants à cette nouvelle réglementation qui y voient une menace pour l'agriculture, la pêche, la sécurité alimentaire et l'emploi. « Non seulement ces affirmations manquent de preuves scientifiques, mais elles les contredisent même », expliquent les scientifiques. « La protection et la restauration de la nature, ainsi que la réduction de l'utilisation des pesticides, sont essentielles pour maintenir la production à long terme et renforcer la sécurité alimentaire », opposent-ils à l'argument lié à une baisse des rendements et à une menace subséquente sur la sécurité alimentaire.
Les soutiens en faveur de ce texte sont également venus des entreprises. Quelques jours avant le vote, plus de 90 grandes entreprises européennes de divers secteurs (agroalimentaire, finance, énergie) ont appelé à soutenir ce texte. « Restauration de la nature et sécurité alimentaire sont interdépendantes : nous dépendons de la nature pour produire nos matières premières. La mise en œuvre de la loi européenne sur la restauration de la nature pourrait accélérer la transition vers une agriculture régénératrice en Europe et générer des avantages pour les agriculteurs, leurs moyens de subsistance et l'environnement, en améliorant la santé des sols, la biodiversité et en rétablissant les cycles de l'eau », estime ainsi Bart Vandewaetere, vice-président de l'Engagement ESG de Nestlé Europe. Selon l'évaluation d'impact effectuée par la Commission européenne, pour chaque euro investi dans la restauration de la nature, 8 à 38 euros sont gagnés grâce aux différents services qu'elle apporte, rappellent les signataires.
« Mesures abstraites et incohérentes »
Mais les opposants au texte y voient une menace pour leur activité. Le 1er juin, des représentants de la Copa-Cogeca, organisation professionnelle européenne qui regroupe un grand nombre d'organisations syndicales et de coopératives agricoles, dont la FNSEA en France, avaient organisé une manifestation devant le Parlement européen à Bruxelles. « Si nous voulons que l'agriculture et l'horticulture s'inscrivent encore dans le paysage européen, cette loi sur la restauration de la nature doit être radicalement modifiée », plaidait la Copa-Cogeca, estimant que les agriculteurs étaient les grands oubliés de cette législation.
« Mener à bien la transition écologique du secteur agricole ne s'improvise pas. Les professionnels ont besoin de règles pragmatiques et claires, d'un accompagnement financier et d'une liste de conséquences prévisibles... autrement dit, tout l'opposé du catalogue de mesures abstraites et incohérentes proposé par la Commission européenne », estime Anne Sander, eurodéputée PPE et rapporteure pour la commission agriculture. Et l'élue de dénoncer pêle-mêle la replantation d'essences d'arbres inadaptées à la réalité du changement climatique, l'incitation à garder du bois mort au sol en forêt ou encore le fait de laisser 10 % des terres sans production.
« Attaque en règle contre la nature »
Les réactions après le report du vote sont contrastées. « Je me réjouis que l'amendement de rejet de la droite et de l'extrême droite contre la loi de restauration de la nature ait été rejeté ! » s'est félicité dans un Tweet le président de la commission environnement du Parlement, Pascal Canfin (Renew).
« La division des parlementaires du groupe Renew, tiraillés entre l'urgence écologique et leur allégeance aux lobbies, s'est reflétée dans les votes de ce matin : de nombreux amendements ont recueilli un score de 44 voix pour et 44 voix contre, synonyme de non-adoption, fustige l'association Bloom. Déjà désossé par l'alliance anti-écologique de droite, il faudra attendre la suite du vote le 27 juin pour savoir quelle issue lui sera réservée ».
C'est donc à une nouvelle mobilisation qu'appellent les partisans de l'initiative. « Nous appelons les députés européens à utiliser ce temps pour comprendre à quel point l'avenir des agriculteurs, des pêcheurs, des entreprises ou de l'économie repose sur la restauration des écosystèmes naturels. La nature est notre meilleure alliée face aux chocs climatiques. Pour notre sécurité alimentaire, notre souveraineté agricole, notre tourisme, la santé publique, la pollinisation, nous avons besoin de la biodiversité ! », exhorte Véronique Andrieux, directrice générale du WWF France.