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Le risque suffisamment caractérisé et la dérogation « espèces protégées »

Le « risque suffisamment caractérisé » d'atteinte à une espèce protégée fait l'objet d'une appréciation large par les cours administratives d'appel. Mais le Conseil d'État semble vouloir resserrer cette notion, notamment par sa décision du 22 juin 2023.

DROIT  |  Commentaire  |  Biodiversité  |  
Droit de l'Environnement N°326
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°326
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Le risque suffisamment caractérisé et la dérogation « espèces protégées »
Benoît Steinmetz
Maître de conférences HDR, Université de Haute-Alsace, Cerdacc (EA 3992 UHA)
   

En matière d'espèces et d'habitats protégés, le principe est celui de l'interdiction de toute destruction, sauf obtention d'une dérogation (1) . Cette dernière est accordée lorsque trois conditions cumulatives sont réunies :

-   l'absence de solution alternative satisfaisante ;

-   le maintien des espèces protégées dans un état de conservation favorable dans leur aire de répartition naturelle ;

-   une justification relevant d'une liste limitative, parmi laquelle figure un intérêt public majeur du projet, du fait de sa nature et des intérêts économiques et sociaux.

Avant de déterminer si la dérogation peut être accordée, il est nécessaire de savoir si la demande de dérogation doit être déposée du fait d'un risque suffisamment caractérisé d'atteinte à une espèce protégée présente sur site.

Ce risque était retenu largement par les juridictions administratives d'appel dans le cadre de l'implantation d'éoliennes, mais le Conseil d'État semble resserrer cette notion dans plusieurs décisions récentes, dont celle en date du 22 juin 2023.

I. L'appréciation large du « risque suffisamment caractérisé » par les juridictions administratives d'appel

Une demande de dérogation aux articles L. 411-1 et suivants du code de l'environnement est exigée si, constatant la présence d'une espèce protégée, le risque d'atteinte est suffisamment caractérisé compte tenu des mesures d'évitement et de réduction envisagées.

Alors que l'impact résiduel s'établissait, après mesures d'évitement et de réduction, à un niveau qualifié de faible à négligeable pour certaines espèces, et non qualifié pour d'autres espèces, la cour administrative d'appel de Bordeaux a souligné (2) que la dérogation s'imposait si le projet était de nature à entraîner la destruction d'espèces protégées et de leurs habitats naturels, y compris par collisions accidentelles.

On peut rapprocher cette décision de celle rendue le 9 mars 2021 (3) , qui exige une dérogation, le bridage des machines n'étant « pas de nature à éviter tout risque pour ces espèces ».

Dans le même sens, la cour administrative d'appel de Bordeaux, le 22 décembre 2022 (4) , retient la nécessité d'une dérogation pour autoriser l'implantation d'une éolienne, du fait du risque de destruction d'espèces à enjeu par les engins de chantiers ou par un changement d'occupation néfaste du sol. Que les travaux de décapage, d'aménagement et de remblaiement soient exécutés sur une période saisonnière impliquant un dérangement moindre de la faune présente sur le site ne permet pas de diminuer le risque pour les espèces.

Une dérogation doit également être sollicitée lorsque, « tout en étant limité, le risque de collision accidentelle ne peut être écarté » et ce, « alors même que l'impact résiduel (5) s'établirait après mesures d'évitement et de réduction à un niveau qualifié de faible » ou, pour un couple d'autour des palombes situé à moins d'un kilomètre des premières éoliennes, quand le risque de perte du site de nidification a un impact résiduel moyen (6) .

Alors que l'étude d'impact retenait un risque résiduel, mais non nul, de collision avec une colonie de hérons cendrés, la cour administrative d'appel de Nantes avait souligné (7) que la dérogation était obligatoire, dès lors qu'« il ne résulte pas de l'instruction que cette prescription suffirait à prévenir tout risque de collision ».

Dans une autre décision en date du 7 janvier 2022 (8) , la même juridiction impose une demande de dérogation en relevant qu'« il existe, même en tenant compte des mesures d'évitement et de réduction envisagées, un risque que l'exploitation du parc litigieux entraîne la destruction (…) de spécimens appartenant à des espèces animales protégées, susceptible d'affecter la conservation de ces espèces ».

La lecture de ces décisions conforte l'idée que la notion de risque suffisamment caractérisé dans le cadre de l'implantation d'éoliennes est appréciée largement pour n'écarter souvent que le risque nul où tout risque de collision est écarté.

Le Conseil d'État semble revenir sur cette appréciation de la notion de risque pour en donner une lecture plus resserrée.

II. Vers un resserrement par le Conseil d'État de la notion de « risque suffisamment caractérisé »

Dans un avis du 9 décembre 2022, le Conseil d'État, interrogé par la cour administrative d'appel de Douai, avait précisé le cadre du risque suffisamment caractérisé (9) concernant une demande de dérogation pour l'implantation d'une éolienne.

Le dernier considérant aurait dû répondre à la seconde question de la cour administrative d'appel relative aux mesures prises en compte au stade de la sollicitation d'une dérogation, mais le Conseil d'État se réfère à la délivrance de la dérogation. Si la question de la cour d'appel, faisant référence à l'évitement, la réduction et la compensation dans la demande de dérogation, pouvait induire en erreur, le rappel au droit par le Conseil d'État est clair : si la compensation est retenue dans le cadre de l'octroi d'une dérogation, elle ne l'est pas pour déterminer si une dérogation doit être sollicitée, au contraire des mesures d'évitement et de réduction.

L'apport essentiel de cet avis est ailleurs. En l'occurrence, la première des questions posées était de savoir si une atteinte à un seul spécimen ou habitat suffisait à justifier l'exigence d'une dérogation ou si cela impliquait des atteintes sur une part significative de ces spécimens ou habitats, en tenant compte notamment de leur nombre et du régime de protection applicable aux espèces concernées.

Le Conseil d'État répond que l'obtention d'une dérogation est nécessaire quand des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet, indépendamment du nombre de ces spécimens ou de leur état de conservation, et si le risque pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. Le Conseil d'État n'indique pas que l'atteinte à un seul spécimen suffit à justifier l'exigence d'une dérogation. Au travers de la formulation « des spécimens (…) indépendamment du nombre », la juridiction n'exige pas non plus un nombre significatif de spécimens. Par cette non-réponse, le Conseil d'État indique que le nombre ne fait pas le risque. L'élément principal pour qu'il n'y ait pas nécessité de demander une dérogation renvoie à l'absence de risque suffisamment caractérisé, laquelle doit être distinguée de l'absence de tout risque, telle qu'exigée dans de nombreuses décisions de cours administratives d'appel.

La volonté de resserrement de la notion de risque suffisamment caractérisé est confortée par l'arrêt du 22 juin 2023, suite à un recours contre une décision de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 16 mai 2022 (10) . L'installation et l'exploitation d'un parc de huit éoliennes avaient été autorisées par le préfet de Charente-Maritime par un arrêté du 6 septembre 2019, annulé en appel au motif de l'absence de sollicitation de la dérogation du 4° du I de l'article 411-2 du code de l'environnement. Pour la cour, cette demande de dérogation s'imposait du fait que tout risque d'atteinte aux espèces n'était pas écarté.

Le Conseil d'État rappelle que le pétitionnaire doit obtenir une dérogation « espèces protégées » si, en raison de la présence d'espèces protégées sur le site du projet, le risque est suffisamment caractérisé. Les mesures d'évitement et de réduction des atteintes sont prises en compte et il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation si les mesures diminuent le risque au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé.

On remarquera que ce sixième considérant ne fait pas référence à l'absence de tout risque et qu'il est souligné que les mesures envisagées doivent « diminuer » le risque, et non pas l'écarter, afin qu'il ne soit plus suffisamment caractérisé.

Dans le septième attendu de l'arrêt du 22 juin 2023, deux points relevés par la cour administrative d'appel sont remis en question par le Conseil d'État :

-   concernant l'avifaune, la cour relevait que l'étude d'impact qualifiait le risque résiduel de négligeable, mais que les mesures de réduction n'avaient ni pour objet ni pour effet d'écarter tout risque, seulement d'en limiter l'importance ;

-   concernant les chiroptères, la cour soulignait que n'étaient pas de nature à exclure tout risque les mesures de réduction de l'éclairage au minimum requis et d'éloignement des éoliennes de quelques dizaines de mètres des lisières, ainsi que les mesures pour rendre inerte l'espace autour des éoliennes et pour mettre en œuvre un plan de bridage.

Le Conseil d'État rappelle à nouveau que les mesures d'évitement et de réduction sont prises en compte, en tant que participant à diminuer le risque et donc, le cas échéant, à le rendre non suffisamment caractérisé, au point d'écarter la nécessité de demander une dérogation.

Sous couvert de se fonder sur l'absence de prise en compte des mesures d'évitement et de réduction, le Conseil d'État revient en réalité sur la qualification du risque faite par la cour administrative d'appel et sous-entend que l'absence de risque suffisamment caractérisé n'implique pas la démonstration de l'absence de tout risque. La dernière phrase du septième considérant, qui met en opposition la référence par la cour d'appel à « tout risque, même faible » avec le risque suffisamment caractérisé, est en cela révélatrice d'un rappel à destination des juridictions du fond, rappel qui pourrait alléger dans de nombreux cas le montage de projets d'implantation d'éoliennes, en écartant l'exigence de demander formellement une dérogation.

1. C. envir., art. L. 411-2, I, 4°2. CAA Bordeaux, 17 nov. 2020, n° 19BX022843. CAA Bordeaux, 9 mars 2021, n° 19BX035224. CAA Bordeaux, 22 déc. 2022, n° 20BX030585. CAA Nancy, 26 janv. 2021, n° 20NC003166. CAA Nancy, 11 mai 2021, n° 19NC022947. CAA Nantes, 20 avril 2021, n° 19NT008078. CAA Nantes, 7 janv. 2022, n° 20NT033909. Gossement A., Dérogation « espèces protégées » : Le Conseil d'État précise les conditions et la méthode de demande et d'octroi de la dérogation, Dr. Env. 2023, p. 25 ; Bécue S., L'atteinte « suffisamment caractérisée » aux espèces protégées : premières illustrations jurisprudentielles, Dr. Env. 2023, p. 84 ; Chartier I., Dérogation espèces protégées : le Conseil d'État précise la notion de « risque suffisamment caractérisé », Dr. Env. 2023, p. 133 ; Deharbe D. et Deldique L., Vents anti-éoliens au Conseil d'État ?, Dr. Env. 2023, p. 18510. CAA Bordeaux, 16 mai 2022, n° 20BX00090

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