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Le nouveau traité "BBNJ" : quelles implications pour la France et l'Union européenne ?

En mars 2023, les États membres de l'ONU se sont accordés sur le texte d'un nouveau traité portant sur la biodiversité des zones maritimes internationales. Ce texte est prometteur mais de nombreuses incertitudes subsistent quant à sa mise en œuvre.

DROIT  |  Étude  |  Biodiversité  |  
Droit de l'Environnement N°323
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°323
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Le nouveau traité "BBNJ" : quelles implications pour la France et l'Union européenne ?
Pascale Ricard
Chargée de recherche au CNRS, Aix-Marseille Université, université de Toulon, CNRS, Dice, Ceric, Aix-en-Provence, France
   

Samedi 4 mars 2023, à 21h25, les États membres de l'Organisation des Nations unies (ONU) se sont accordés à New York sur le texte d'un nouveau traité portant sur la biodiversité des zones maritimes internationales, après presque vingt ans de discussions – dont quatre de négociations formelles et un dernier marathon de presque 36 heures d'affilée de négociations. La présidente de la Conférence intergouvernementale (CIG), Rena Lee, annonçait ainsi sous les applaudissements des délégués que le navire avait enfin « atteint le rivage ». António Guterres, le Secrétaire général de l'ONU, a réagi immédiatement (1) à la conclusion du texte en évoquant « une victoire pour le multilatéralisme et pour les efforts mondiaux visant à contrer les tendances destructrices auxquelles est confrontée la santé des océans, maintenant et pour les générations à venir », une victoire « cruciale pour faire face à la triple crise planétaire des changements climatiques, de la perte de biodiversité et de la pollution ». Cette nouvelle a été unanimement accueillie (2) , dans les médias, comme un évènement « historique » et « décisif » avant même que celui-ci ne soit formellement adopté et signé par les États.

Les États, au sein de l'Assemblée générale de l'ONU (AGNU), ont commencé à s'interroger sur la nécessité de compléter les dispositions de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (3) (CNUDM) dès le début des années 2000, dans un contexte où l'érosion massive de la biodiversité était déjà dénoncée. L'insuffisante protection de la biodiversité dans les espaces maritimes internationaux est-elle uniquement le résultat d'une mise en œuvre insuffisante de leurs obligations ou bien le fruit de « lacunes » pouvant être comblées par le droit international ? Un groupe de travail informel, créé en 2004 par l'AGNU pour réfléchir aux différentes options à disposition des États, a rendu ses conclusions en 2015 en appelant à l'adoption d'un accord de mise en œuvre de la CNUDM. Les choses se sont donc accélérées à partir du moment où l'idée d'adopter un « instrument juridiquement contraignant » a été actée par l'Assemblée générale. Celle-ci a donc convoqué un comité préparatoire, qui s'est réuni entre 2016 et 2018 en vue de préparer la CIG, véritable instance de négociation formelle de ce nouveau traité, qui devait se réunir à quatre reprises. La pandémie du coronavirus a quelque peu retardé le processus et une session supplémentaire s'est avérée nécessaire, la quatrième n'ayant pas permis d'atteindre le consensus.

Lors de la cinquième session qui s'est tenue en août 2022, de nombreux points cristallisaient encore des désaccords, en particulier s'agissant du statut et des modalités d'exploitation des ressources génétiques marines (RGM), qui a constitué l'un des enjeux les plus épineux jusqu'à la fin des discussions. Si le régime relatif à l'exploitation des ressources halieutiques est déjà bien établi, un vide juridique avait été constaté concernant les RGM, particulièrement prisées des industries pharmaceutiques, médicales ou cosmétiques, favorisant l'application du principe « premier arrivé, premier servi ». Fin août, la présidente de la CIG avait pris l'initiative non pas de clôturer mais d'ajourner cette session, facilitant ainsi la reprise des discussions en février et leur succès final. Le fait que les États aient fini par s'entendre, notamment sur la question des RGM, est remarquable, car leurs positions initiales étaient radicalement opposées : pour certains délégués il s'agit même d'un miracle !

L'Union européenne (UE) et la France ont directement participé à ces discussions. L'UE est la seule organisation internationale (4) membre de la CNUDM ; elle possède une compétence mixte concernant les questions en lien avec la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité. Le nouveau traité est donc un accord mixte. L'article 4 du Traité sur le fonctionnement de l'UE (TFUE) indique en effet que la pêche est un domaine de compétence partagée (5) entre l'UE et ses États membres, « à l'exclusion de la conservation des ressources biologiques de la mer (6)  ». La politique environnementale est quant à elle une compétence partagée, ce qui signifie que les États membres ne peuvent exercer leur compétence que dans la mesure où l'UE n'a pas encore exercé ou a décidé de ne pas exercer la sienne. Ils conservent une compétence résiduelle pour compléter les mesures prises en faveur de la conservation. La recherche et le développement sont aussi une compétence partagée, dite « non concurrente » ou « sans préemption de compétence » (7) - les questions liées au transfert des technologies et au renforcement des capacités des pays en développement ont été considérées comme faisant partie de ce domaine – et, enfin, la politique commerciale commune relève de la compétence exclusive de l'UE (8) , celle-ci pouvant être mobilisée en ce qui concerne les RGM. Cette répartition substantielle des compétences n'est pas sans ambiguïtés : comment déterminer si la création et la gestion d'une aire marine protégée relève de la compétence relative à la protection de l'environnement ou de la conservation des ressources biologiques de la mer ? Cette ambiguïté de la répartition substantielle des compétences et les chevauchements qui en découlent peuvent en outre engendrer certaines difficultés quant à l'exercice de la compétence de représentation de l'UE. La répartition des compétences entre le Conseil (représentant des États membres) et de la Commission (représentante de l'Union) est fixée par les traités (9) et n'apparait pas des plus claires (10) .

Dans le cadre des discussions relatives au nouvel accord, la Commission et le Conseil avaient obtenu des mandats de négociation distincts. La Commission étant compétente sur les questions dérivant des traités ou de sa compétence externe et le Conseil pour les autres éléments, au nom de l'Union et de ses États membres, les deux institutions participant conjointement aux négociations (11) . La présidence du Conseil ainsi que les représentants des États membres étaient donc présents, afin de favoriser la mise en œuvre du principe de coopération loyale (12) et définir une position commune. Cependant, pour assurer l'unité et la cohérence externe de la position européenne, les États membres et la Commission s'exprimaient d'une seule voix.

Le nouvel accord de mise en œuvre de la CNUDM, surnommé « BBNJ », pour « Biodiversity Beyond National Jurisdiction », constitue ainsi l'aboutissement d'un processus de très longue haleine, ce qui pourrait suffire à le qualifier d'historique. Ce caractère historique découle également du champ d'application spatial de celui-ci : les espaces maritimes internationaux, à savoir la « haute mer » (13) pour ce qui concerne la colonne d'eau et la « Zone » (14) des grands fonds marins, représentent presque la moitié de la surface de la planète, 65 % de celle de l'océan et 90 % de son volume. Ces espaces, malgré le fait qu'ils soient couverts par la CNUDM, sont souvent considérés comme des espaces de non-droit du fait de leur éloignement géographique rendant difficile tout contrôle. Enfin, la dimension historique du nouvel accord « BBNJ » s'applique également, à première vue, au contenu même du texte : les nouveaux droits et les nouvelles obligations adressés aux États apparaissent réellement ambitieux et innovants (I). Néanmoins, de nombreuses incertitudes demeurent concernant l'entrée en vigueur mais aussi et surtout la mise en œuvre en pratique de ces dispositions (II).

I. De nouveaux droits et de nouvelles obligations pour la France et l'Union européenne, dans un contexte d'urgence écologique

Le traité « BBNJ » vient préciser le régime juridique applicable à différents outils de protection (A). La France et l'UE, conformément à leurs compétences respectives, se verront en outre soumises à de nouvelles obligations visant à concrétiser les exigences d'équité recherchées par les pays en développement (15) (B).

1. Le développement d'outils pour renforcer la protection de la biodiversité

Afin de conserver la santé du milieu marin et sa capacité à permettre la résilience des écosystèmes et de la biodiversité – considérée comme la variabilité du vivant et donc comme un processus dynamique, immatériel et complexe (16) – le traité se concentre sur deux outils particuliers : les aires marines protégées (AMP) et les études d'impact environnemental.

Concernant les AMP, il met en place un mécanisme global qui permettra à la France et à l'UE, le cas échéant, de proposer, individuellement ou aux côtés d'autres États, la désignation de telles zones, et de les rendre opposables à toutes les parties – en conformité d'ailleurs avec l'objectif de protéger 30% des espaces maritimes et terrestres d'ici 2030 consacré lors de la COP 15 sur la biodiversité qui s'est tenue en décembre 2022. Actuellement, seulement 1 % des espaces internationaux serait réellement protégé par le biais de telles zones. Ces projets permettront donc de renforcer considérablement le réseau international d'AMP, leur représentativité et leur connectivité. Les propositions de création d'AMP doivent préciser toute une série d'éléments comme la description géographique de la zone, les activités prenant déjà place dans cet espace, l'état de la biodiversité, les objectifs de protection, les mesures de conservation associées, leur durée et le contrôle prévu de la mise en œuvre. Les États sont invités à consulter et à collaborer avec toutes les parties prenantes concernées, y compris la société civile et les populations autochtones, mais aussi les autres institutions internationales globales ou régionales pertinentes. Un organe scientifique et technique évaluera les propositions et la Conférence des parties (COP) décidera de les adopter ou non, par consensus ou par un vote à la majorité des ¾ si le consensus n'a pu être atteint (17) . La possibilité de ne pas adhérer à ces mesures de conservation a également été intégrée dans le processus, ce qui signifie que les États peuvent refuser, en définitive, d'être liés à ces mesures – dans des conditions relativement strictes et spécifiques (18) . L'organe scientifique et technique sera chargé d'évaluer l'efficacité des mesures de conservation.

Le traité définit par ailleurs les modalités de mise en œuvre de l'obligation de réaliser des études d'impact environnemental pour toutes les activités que les opérateurs relevant de la compétence des États ou de l'UE, le cas échéant, projettent dans les espaces maritimes internationaux ou qui sont susceptibles de leur porter préjudice. Des indications sont données (19) quant au seuil à partir duquel elles doivent être réalisées, à l'obligation de les publier, à leur contenu et au processus de notification et de consultation des parties prenantes. Les États potentiellement les plus affectés doivent être identifiés et pris en compte : il s'agit de l'État côtier exerçant ses droits souverains, ou des États conduisant, dans la zone où les mesures sont planifiées, des activités qui pourraient vraisemblablement être affectées. Une surveillance et un suivi des activités planifiées devront être organisés. L'organe scientifique et technique sera impliqué dans le processus, mais l'État à l'origine du projet reste exclusivement compétent pour décider de le réaliser ou non, rappelant que le régime reste clairement stato-centré (20) . Les dispositions du traité relatives à ces études d'impact sont innovantes à de nombreux égards, notamment en ce qu'elles intègrent l'impact cumulé et l'évaluation environnementale stratégique.

Par ailleurs, le préambule rappelle que les États ont l'obligation générale, en vertu de la CNUDM, de protéger et préserver le milieu marin, et qu'ils doivent répondre de tout manquement à leurs obligations à cet égard. Comme le note (21) l'Iddri (22) , « en imposant une obligation contraignante d'assurer la conservation et l'utilisation durable, en reconnaissant la valeur inhérente de la biodiversité et en appelant les Parties à ‘agir en tant que stewards des océans', l'accord apporte une base solide et un fondement renouvelé pour la protection de la biodiversité » dans ces espaces. Le préambule fait référence aux impacts du changement climatique sur la biodiversité marine et permet une interprétation systémique de l'accord, avec un objectif global : limiter l'érosion de la biodiversité au bénéfice des générations futures. Le texte a le mérite de décloisonner, dans une certaine mesure, le droit international de la mer à la fois matériellement et spatialement.

2. De nouvelles obligations pour répondre aux exigences d'équité avec les pays en développement

Les écosystèmes des zones situées au-delà des limites de la juridiction nationale sont très riches en matériel génétique aux caractéristiques singulières et prometteuses, à l'exemple des régions polaires ou des sources hydrothermales qui contiennent des organismes « extrêmophiles » d'origine animale ou végétale, qui vivent parfois sans lumière, à des températures très élevées ou très basses. La question du régime applicable à ces RGM a longtemps cristallisé les désaccords entre pays développés et pays en développement. Les premiers souhaitaient conserver un régime de liberté d'accès et d'exploitation alors que les seconds, ne disposant pas encore des technologies nécessaires, réclamaient un encadrement et un partage des bénéfices perçus de leur exploitation, à l'image du régime qui caractérise les ressources minérales de la Zone. Une poignée d'entreprises, provenant de pays développés concentrent en effet actuellement les bénéfices de ces activités. Un compromis entre les deux positions a été trouvé.

Concrètement, les États membres de l'UE, et l'Union le cas échéant, seront soumis à une nouvelle procédure lorsqu'ils projetteront des activités en lien avec l'utilisation des RGM mais aussi des informations génétiques qu'elles contiennent (l'information de séquençage numérique (23) ). Ces activités doivent être menées au profit de l'humanité tout entière – en particulier au bénéfice de l'avancée des connaissances scientifiques et de l'utilisation durable et la conservation de la biodiversité – dans un but exclusivement pacifique. Les Parties sont soumises à une obligation de notification (24) au « clearing house mechanism », six mois ou aussitôt que possible avant la collection in situ de ressources. Ils doivent fournir toute une série d'éléments relatifs à l'objectif de l'activité, le programme de recherche au sein duquel elle s'insère le cas échéant, la zone géographique du prélèvement, les dates de départ et d'arrivée du navire ou encore le nom des personnes en charge du projet. Un plan de gestion des données doit être élaboré en cohérence avec la « gouvernance responsable de la science ouverte ». D'autres informations doivent être déposées dans le mécanisme de partage des informations dans l'année suivant la collecte, comme la base de données dans laquelle les informations sur la séquence numérique seront accessibles, le lieu où les ressources collectées in situ seront déposées, la zone où elles ont été collectées, ou toute information venant actualiser le plan de gestion associé à la collecte. Une fois les produits issus de ces ressources commercialisés, les informations quant aux ventes ou autres développements doivent, si elles sont disponibles et si possible, être partagées. Le principe du consentement préalable libre et éclairé des peuples autochtones et populations locales est affirmé, dans le cas où l'accès et l'utilisation de ces ressources impliqueraient des savoirs traditionnels. Enfin, les bénéfices monétaires et non monétaires (25) tirés de l'exploitation des ressources génétiques marines et des séquences de données numériques doivent être partagés de manière juste et équitable et contribuer à la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité des espaces maritimes internationaux. Les modalités précises du partage des bénéfices devront cependant être fixées par la COP et un Comité sur l'accès le partage des avantages sera créé dans le but de concrétiser ces dispositions, conformément aux exigences de transparence et de suivi de la mise en œuvre.

En plus des dispositions relatives aux RGM, la France et l'UE devront participer au renforcement des capacités des pays en développement. En effet, le constat est le même que dans les autres domaines du droit international de l'environnement : le manque de respect de leurs obligations par ces États résulterait généralement d'un manque de moyens. L'accord prévoit une obligation de renforcement des capacités pour les différents domaines de l'accord et une coopération renforcée entre États ; il liste ensuite les différents types de transferts de technologies ou de renforcement des capacités – le partage ou la dissémination de données, le développement d'infrastructures, d'expertise technique ou encore de programmes de recherche. Les parties devront participer à un comité de même qu'un fonds spécial pour le renforcement des capacités, compétent aux côtés du Fonds mondial pour l'environnement, afin de favoriser la mise en œuvre de l'accord.

II. Les défis et incertitudes persistantes

Le pas qui vient d'être franchi est décisif et constitue assurément un nouveau point de départ pour la conservation de la biodiversité. Néanmoins, de nombreuses incertitudes subsistent quant à la mise en œuvre du texte en pratique (B) et en particulier son articulation avec l'existant (A).

1. L'articulation institutionnelle et substantielle avec l'existant

L'objectif principal du traité est de promouvoir la coopération et la coordination dans le contexte de la conservation de la biodiversité marine. Une difficulté importante sera ainsi de veiller à ce que le nouveau traité ne porte pas atteinte aux cadres globaux et régionaux existants ayant un mandat en matière de biodiversité, afin de préserver la cohérence des règles applicables à ces zones et dans un souci de sécurité juridique. À cette fin, la COP mènera des consultations et formulera des recommandations avec les institutions compétentes ; les parties devront promouvoir la conservation et l'utilisation durable des zones internationales lorsqu'elles participeront aux autres processus de prise de décision. La COP devra donc déterminer si les processus menés dans d'autres forums sont cohérents et compatibles avec le nouveau cadre, que ce soit en matière d'AMP (26) ou d'études d'impact (27) . Par exemple, l'articulation entre le nouveau traité et les activités d'exploration et d'exploitation minière des grands fonds marins (28) ou de pêche, qui sont toutes deux exclues du texte car elles sont déjà réglementées par d'autres cadres internationaux, pourrait ne pas être évidente dans la pratique.

La COP travaillera également, dans ce contexte, à la reconnaissance des mesures de conservation adoptées par d'autres organisations internationales, en particulier par des organisations de mers régionales. Toutefois, cela ne se fera pas sans difficultés. Le précédent de l'arrangement collectif impulsé par la Commission OSPAR montre la complexité de la coordination de plusieurs instruments régionaux ou mondiaux. Seules deux organisations font, à ce jour, partie de cet arrangement collectif : la Commission Ospar et la Commission des pêches de l'Atlantique Nord-Est, bien que d'autres organisations comme l'Organisation maritime internationale ou l'Autorité internationale des fonds marins aient également été invitées à participer afin d'articuler leurs actions avec celles de cette organisation régionale dans le cadre du développement du réseau d'AMP dans l'Atlantique Nord-Est. Chaque organisation ayant son propre mandat, ses propres pouvoirs, ses États parties, sa propre zone géographique, il s'est avéré extrêmement complexe et délicat de parvenir à une forme de coordination poussée.

D'autres domaines liés à la préservation de la biodiversité ne sont pas directement pris en compte dans le nouvel accord, car ils sont également déjà couverts par des corpus de normes spécifiques comme le changement climatique ou la pollution. Si le préambule appelle à une vision intégrée et interconnectée des différentes problématiques, dans une logique écosystémique, le champ d'application matériel et spatial du nouveau traité demeure ainsi limité et son efficacité est en grande partie dépendante de l'effectivité des autres régimes de droit international de l'environnement.

Au niveau interne à l'UE, la gestion de la mixité de l'accord pourra potentiellement poser problème quant au pouvoir de représentation de la Commission, ou des États membres réunis au sein du Conseil, au sein des institutions compétentes. Des règles relatives à l'élaboration des positions et des déclarations de l'UE dans le cadre des organisations internationales ont, certes, été mises en place (29) . Pour autant, des difficultés ont déjà été constatées au sein de deux instances : le Tribunal international du droit de la mer (TIDM) et la Commission pour la conservation des ressources vivantes de l'Antarctique (CCAMLR). Dans le cadre de l'avis consultatif rendu par le TIDM en 2015 (30) , les membres de l'Union avaient contesté à la Commission (31) la compétence de s'exprimer au nom de l'UE devant le TIDM. La Cour a considéré que les questions soulevées dans la demande d'avis portaient en partie sur un domaine de compétence exclusive de l'UE et qu'en tant que partie à la CNUDM, la Commission était compétente (32) pour prendre part à la procédure. Au sein de la CCAMLR, la Commission a introduit un recours en annulation contre la décision (33) du Conseil portant approbation de la présentation d'un document de réflexion relatif à la création d'une AMP. La Cour (34) a considéré que les mesures contestées avaient été adoptées dans un but de protection du milieu marin et non pour la seule conservation des ressources halieutiques. Le Conseil était compétent pour adopter les documents contestés, quand bien même il ne les a pas adoptés avec la participation explicite de ses membres, afin d'assurer la cohérence interne du système européen en ce qui concerne la définition des compétences partagées, mais aussi de protéger (35) la cohérence externe du système du Traité sur l'Antarctique. Concrètement, la participation de l'UE au sein des futures institutions sera accompagnée d'une déclaration de compétences qui devra préciser les matières pour lesquelles les États lui ont transféré compétence, afin de clarifier l'étendue des obligations qui pèsent sur chacun et dans le même temps, la répartition des responsabilités entre ces derniers.

2. La mise en œuvre des dispositions

D'abord, l'Accord doit encore être signé et ratifié par les États afin de pouvoir entrer en vigueur (en principe, 120 jours après le dépôt du 60e instrument de ratification). Ce processus peut prendre de quelques mois à quelques années : si l'Accord de Paris est entré en vigueur moins d'un an après son adoption, plus de temps a été nécessaire pour le Protocole de Nagoya (4 ans) ou la CNUDM (12 ans). Certains États, comme les États-Unis ou la Russie, n'étaient pas convaincus de la nécessité de conclure un nouveau traité : leur participation reste donc incertaine. Pour être efficace, l'accord devrait pourtant être universel : l'érosion de la biodiversité étant un problème global, une action mondiale est nécessaire pour éviter un unilatéralisme qui pourrait saper les efforts de la communauté internationale.

Certains défis apparaitront (36) une fois la convention en vigueur : construire le cadre institutionnel ou encore développer les connaissances nécessaires à l'adoption de décisions cohérentes. Certains plaident (37) pour la création d'une commission préparatoire (PrepCom) chargée de faire avancer les préparatifs de la première COP et d'établir des groupes de travail intérimaires pour développer les mécanismes institutionnels et financiers. Les droits et obligations des parties seront ensuite progressivement affinés par la COP et leur mise en œuvre dépendra de la bonne volonté des États. Un mécanisme de règlement des différends reprenant celui consacré dans la partie XV de la CNUDM et ajoutant des dispositions spécifiques sur la possibilité pour la COP de demander un avis consultatif au TIDM est prévu. La création d'un secrétariat, d'un organe scientifique et technique, d'un comité de renforcement des capacités et d'un comité de mise en conformité devrait contribuer à organiser et à garantir la mise en œuvre effective du nouvel accord. Les modalités de fonctionnement de ces institutions seront fixées par la première COP. Elle devra également fixer le taux des contributions au fonds de partage des bénéfices et déterminer le rôle du Fonds pour l'environnement mondial dans l'apport d'un soutien financier.

La difficulté de contrôler les activités des navires dans un espace aussi immense et distant des côtes pourrait à elle seule suffire à limiter l'effectivité potentielle du nouvel accord : dans les aires marines protégées sous juridiction nationale, l'effectivité de ce contrôle est en effet déjà souvent limitée en pratique. Les progrès technologiques ou la généralisation de certains outils de surveillance satellitaire pourraient progressivement aider à renverser cette tendance. En attendant, l'absence de police dans les espaces maritimes internationaux et la complexité de mettre en place un contrôle efficace et dissuasif constituent une limite déterminante. On peut d'ailleurs regretter que le traité ne s'attaque pas à l'un des principaux défis entravant l'efficacité du droit de la mer, en ce qui concerne la protection de du milieu marin, aujourd'hui : la question des pavillons de complaisance, qui représentent les trois quarts de la flotte mondiale, et la difficulté persistante d'engager la responsabilité internationale de l'État du pavillon. Il faut donc espérer que les différentes institutions et les mécanismes de contrôle et de suivi prévus soient suffisamment effectifs pour contrebalancer ces limites.

1. UN delegates reach historic agreement on protecting marine biodiversity in international waters, UN News, 5 mars 20232. Le traité sera formellement adopté les 19 et 20 juin à New York. ; AGNU, résol. n° 77/556, 18 avr. 20233. Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, adoptée à Montego Bay le 10 décembre 1982, entrée en vigueur le 16 novembre 1994, 168 parties4. Conformément à l'article 305(1)(f) de la CNUDM et aux articles 1 à 4 de son Annexe IX. L'UE a ratifié la CNUDM le 1er avril 19985. TFUE, art. 4(2)(e)6. TFUE, art. 47. TFUE, art. 4(3)8. TFUE, art. 3(1)(e)9. TFUE, art. 218 et 335 ; TUE, art. 13(2), 16 et 17(1)10. Jarmache E., Fondements juridiques de l'action de l'Union européenne et application spatiale. ‘L'espace maritime communautaire', in Indemer, Droit international de la mer et droit de l'Union européenne. Cohabitation, Confrontation, Coopération ? Pedone, 2014, p. 17. L'auteur cite M. Dony : « l'attribution des compétences à l'Union s'est faite de façon pragmatique, au fil de la révision des traités, sans vision systématique d'ensemble, ce qui induit un manque flagrant de lisibilité. Ceci a alimenté une crainte diffuse vis-à-vis d'un caractère de plus en plus envahissant de l'action de l'Union ».11. V. la proposition de décision du Conseil élaborée le 4 janvier 2018 (COM(2017) 812 final, Annex to the Recommendation for a Council decision authorizing the opening of negotiations on an international legally-binding instrument under the UNCLOS on the conservation and sustainable use of marine biological diversity of areas beyond national jurisdiction et le document 6841/18 du Conseil du 12 mars 2018, §312. TUE, art. 13(2)13. Définie à l'article 86 de la CNUDM comme « toutes les parties de la mer qui ne sont comprises ni dans la zone économique exclusive, la mer territoriale ou les eaux intérieures d'un État, ni dans les eaux archipélagiques d'un État archipel » et régie par la Partie VII. Le principe de liberté structure ce régime.14. Définie à l'article 1 de la CNUDM comme « les fonds marins et leur sous-sol au-delà des limites de la juridiction nationale » et régie par la Partie XI qui lui confère le statut de patrimoine commun de l'humanité.15. Le texte utilisé pour analyser ces dispositions est la version du traité adoptée le 4 mars 2023, mais celle-ci devant être à la fois renumérotée et traduite dans les différentes langues officielles de l'ONU, les numéros des articles ne figurent pas dans les développements, ces derniers étant amenés à changer.

16. La Convention sur la diversité biologique (1992) définit la biodiversité comme « la variabilité́ des organismes vivants de toute origine », qui « comprend la diversité́ au sein des espèces et entre les espèces ainsi que des écosystèmes » (art. 2)17. En réponse notamment aux blocages ayant caractérisé la prise de décision au sein du système du Traité sur l'Antarctique ces dernières années.18. Dans le cas où un État se retire des mesures de conservation visées, il doit, dans la mesure du possible, adopter des règles alternatives ou une approche pouvant être considérée comme équivalente dans ses effets et ne pas adopter de mesures qui compromettraient l'efficacité de la décision à laquelle il s'est opposé, à moins que ces mesures ne soient essentielles à l'exercice de ses droits et des devoirs. La partie « objectante » doit régulièrement rapporter sur ces mesures et justifier du caractère nécessaire de l'objection.19. Les parties prenantes sont identifiées comme étant les populations indigènes et locales, les organisations globales ou régionales compétentes, la société civile, la communauté scientifique et le public.20. Les pays en développements étaient en faveur d'un mécanisme plus internationalisé.21. Wright G., Langlet A., Tessnow-Von Wysocki I., 22. L'Institut du développement durable et des relations internationales23. Dans la continuité des décisions adoptées dans le cadre de la COP 15 biodiversité (Objectif C du Cadre Mondial) : le Protocole de Nagoya n'appréhende que les ressources collectées in situ, alors qu'il est possible de télécharger des séquences d'ADN/ARN à partir de bases de données numériques afin de reconstruire l'ADN puis de l'utiliser comme un gène extrait directement d'un organisme.24. L'accord concerne les ressources collectées ou les données générées par ces dernières à la fois avant et après l'entrée en vigueur de l'accord, mais les États peuvent choisir d'exclure l'application de l'accord à celles collectées ou générées a priori.25.  Les bénéfices non monétaires correspondent par exemple à l'accès aux échantillons, collections d'échantillon ou informations numériques, « conformément à la pratique internationale », au transfert de technologies, au renforcement des capacités par le biais de programmes à destination des chercheurs, à la coopération scientifique.26. Les mesures de conservation adoptées dans le cadre des AMP doivent être « compatibles » avec celles adoptées par les instruments globaux ou régionaux pertinents, ne pas diminuer l'effectivité de mesures de conservation adoptées dans les zones internationales et ne pas porter atteinte aux droits et devoirs des autres États. Dans le cas où les mesures proposées relèvent de la compétence d'autres organisations, la COP pourra faire des recommandations à ces dernières.27. Si un processus d'évaluation de l'impact jugé équivalent a été réalisé dans le cadre d'autres institutions, l'État n'est pas obligé de reconduire le processus relatif à la réalisation d'études d'impact prévu par le traité.28. L'Autorité internationale des fonds marins œuvre depuis son entrée en fonction à la réalisation d'un code minier, qui devrait être finalisé durant l'été 2023. Dans le même temps, de plus en plus d'ONG, d'États (dont la France) et de grandes entreprises comme Google ou Renault revendiquent l'adoption d'un moratoire ou d'une « pause de précaution » afin d'éviter les effets d'une exploitation précipitée de ces ressources sur les écosystèmes associés, ce qui semblerait d'ailleurs en phase avec les objectifs de l'accord.29. Cons. UE, Déclarations de l'UE dans les organisations multilatérales – Dispositions générales, 24 oct. 2011, doc. 15901/1130. TIDM, avis consultatif, 2 avr. 2015, rôle des affaires n° 21

31. CJUE, 6 oct. 2015, n° C-73/14, Cons. UE c. Commission européenne

32. Ibid., §5533. Décision du 18 nov. 2015, Commission européenne, C(2015) 816634. Recours introduit le 23 novembre 2015, Commission européenne c. Conseil de l'Union européenne, n° C-626/15 et le 20 décembre 2016, Commission européenne c. Conseil de l'Union européenne, n° C-659/1635. CJUE, 20 nov. 2018, n° C-626/15 et C-659/16, Commission c. Conseil, §13336. Wright G., Langlet A., Tessnow-Von Wysocki I., op. cit.37.  Gjerde K. et a., Initial reflections to support rapid, effective and equitable implementation of the BBNJ Agreement, Iddri, Policy Brief, févr. 2023

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