
CL : Membre de l'association que j'ai suscitée constituée de chefs d'entreprises, de fonctionnaires territoriaux, de consultants et d'autres professionnels ayant décidé de se réunir pour faire remonter les attentes de la société civile et trouver des solutions aux blocages actuels, j'ai souhaité prendre la responsabilité de la direction du livre dont l'approche me paraissait doublement originale.
D'une part, il s'agit d'un livre collaboratif que nous avons souhaité élaborer avec les éco-entreprises qui sont directement confrontées à la difficulté de développer leur marché. Il est né d'une interrogation sur les raisons pour lesquelles la France a du mal à développer les éco-économies et les écotechnologies. En effet, la France est à la traîne en terme de développement des écotechnologies tandis que, dans le même temps, l'Espagne a créé 50.000 emplois sur l'éolien en deux ans et que l'Allemagne a généré 1,5 million d'emplois sur l'environnement en général.
Nous avons estimé que les industriels qui étaient directement confrontés aux sujets pouvaient nous apporter des éléments de réponse pertinents. Initié en juin 2005, nous avons mis en ligne un questionnaire avec l'aide du Centre des Jeunes Dirigeants. Avec les réponses obtenues et les enseignements des bonnes expériences étrangères, les membres d'ECORESP ont mis en forme 200 propositions.
Téléchargeable gratuitement*, ce livre-débat reste ouvert à la modification, aux suggestions et aux critiques qui serviront à l'élaboration de la version 2007. Je suis persuadée qu'il s'agit là d'une manière nouvelle de voir les choses et reste convaincue que la transformation de la société civile passe par l'écoute des expériences concrètes et doit avoir lieu par le bas et non pas par le haut.
D'autre part, le livre regroupe des sujets qui, d'habitude, ne sont pas traités ensemble. À ma connaissance, il n'existe pas ou peu de livre traitant d'une approche globale dans lequel on retrouve tous les secteurs économiques réinterrogé par le biais de l'écotechnologies. En France les éco-entreprises sont trop souvent réduites à celles qui s'occupent de l'eau et des déchets. C'est une vision réductrice qui omet toutes les entreprises qui évitent et traitent les pollutions, ou qui mettent en place des technologies propres.
Le livre-débat aborde au contraire au sein de 12 chapitres de multiples domaines d'activité. Même si l'énergie y tient une place importante, la santé, le commerce, le transport, l'agriculture, l'eau, l'air, la chimie verte, les écoparcs, la finance et les nouveaux matériaux — terme que nous avons préféré à celui de simple déchet — y sont largement traités.
AE : Vous évoquez le potentiel de l'emploi dans la prise en considération de l'environnement. Toutefois nombreux opposent environnement et économie. Que leur répondez-vous ?
CL : Je pense qu'ils ont complètement tort et que c'est une analyse qui est d'un autre siècle. Ceux qui vont continuer à opposer économie et environnement sont à mon sens les même qui vont « plonger » de manière inéluctable, et ce pour deux raisons : la première, est que la crise écologique que nous vivons commence à faire sentir son poids économique et seuls ceux dont les process seront les plus économes en termes de matière première et d'énergie, perdureront. Seconde raison, dans la mesure où la problématique environnementale concerne la planète entière, je suis convaincue que dans les 10 années à venir, toutes les éco-activités que nous avons analysées rencontreront un développement de la même nature que celui qu'ont connu les NTIC (Nouvelles Technologies d'Information et de Communication) dans la dernière décennie du XXe siècle.
Et cela a déjà commencé ! On le voit avec des taux de croissance de 50 à 60 % dans des secteurs tels que le photovoltaïque, l'engouement pour la Toyota Prius et le développement, même s'il reste encore limité, pour l'agriculture biologique.
Je suis quelqu'un qui ne se cache pas derrière les mots et j'estime véritablement dommage que les acteurs politiques et les grands acteurs économiques, de connivence en réalité, bloquent le développement de ces nouveaux secteurs. Le livre-débat constate par exemple qu'en France, l'économie doit faire face à des situations monopolistiques ou duopolitiques qui interdisent l'entrée des nouveaux entrants : en se cachant derrière le libéralisme en réalité, les lobbies économiques mènent une véritable politique anti concurrentielle.
AE : De nombreux jeunes enthousiastes à l'idée de contribuer à la protection de l'environnement ne trouvent pas de travail, pensez-vous que la pression réglementaire puisse les y aider ?
CL : C'est une ville histoire… Quand j'étais au ministère de l'environnement c'est-à-dire il y a 10 ans, j'avais lancé toute une réflexion sur l'emploi sur l'environnement. J'avais notamment travaillé avec Dominique Bidou [actuel président de l'association HQE] et, à l'époque, nous nous étions rendus compte de la disharmonie entre les formations dispensées aux jeunes et les besoins du marché. Même s'il convient de réaliser un gros travail en terme d'adéquation des formations, l'Environnement reste un secteur économique qui peut parfaitement être rentable et créer des emplois comme tous les autres secteurs économiques.
Mais contrairement aux États-Unis où les entreprises innovantes ont leur chance, en France l'innovation, pourtant génératrice d'emploi, reste difficile. Tout simplement parce que les grands marchés publics et les grands donneurs d'ordre se limitent à eux-mêmes c'est-à-dire aux très grandes entreprises déjà existantes.
Pourtant une solution simple consisterait à anticiper les réglementations européennes au lieu de les appliquer toujours avec retard. L'économie et l'environnement y gagneraient en prenant de l'avance et en menant une concurrence saine avec les entreprises étrangères. Le marché des chauffes eaux solaires constitue une très bonne illustration : avec une France à la traîne, les entreprises allemandes se sont très largement implantées sur le marché, créant ainsi de nombreux emplois. De même, alors que le développement de l'éolien en France est freiné pour des considérations esthétiques, les sociétés étrangères s'emparent du marché tandis que personne ne s'émeut de l'esthétique du futur EPR de Flamanville…
La fiscalité environnementale pourrait également jouer un rôle moteur. Mais lorsque l'on constate que le charbon n'est pas soumis à la TIPP [Taxe sur les Produits Pétroliers] que l'on analyse la fiscalité du gazole et de l'essence, on conclut aisément que l'outil fiscal est sous-utilisé. Pourtant, de manière à développer les technologies propres et l'activité économique qui y est rattachée, le Livre-débat propose notamment des prêts à taux Zéro en complément des dégrèvements d'impôts pour les acquisitions d'équipements non polluants. Le financement pourrait être apporté par les bénéfices des sociétés pétrolières qui ne constituent pour l'heure que des rentes. Et non du retour d'investissements.
Par ailleurs, pour développer l'emploi sur les secteurs de l'Environnement, il serait certainement utile de se poser à chaque fois les bonnes questions : non pas seulement ce qui faut faire pour l'environnement, mais comment développer intelligemment le métier qui va permettre d'aboutir à l'objectif de sa préservation !
AE : Parmi les propositions en figure une concernant la loi sur l'air, que l'on vous doit, comment ce fait t'il que 10 après, celle si ne soit toujours pas complètement opérationnel ?
CL : Certains vous diront peut-être que c'est parce que c'est une loi qui est mal faite. Je pense que c'est une loi qui était bien faite mais qu'elle a été détournée de sa conception. D'abord parce que sur le plan des objectifs à atteindre, c'est-à-dire la réduction de la pollution atmosphérique, la loi avait été conçue comme une forme de puzzle : il y avait d'abord des objectifs qui étaient fixés par le Plan Régional de la Qualité de l'Air (PRQA) puis des moyens pour y parvenir. Les moyens étaient doubles : les PDU [Plan de Déplacement Urbain] et les PPA [Plan de Protection de l'Atmosphère]. Les textes sur les plans régionaux de la qualité de l'air sont sortis normalement, tandis que la mise en place des PDU a pris un retard de deux à trois ans. Quant aux PPA, les décrets d'application sont sortis en 2002 avec 6 ans de retard c'est-à-dire qu'ils sont seulement en train d'être élaborés.
Par ailleurs, sur des dispositions très concrètes incluses dans la loi, certaines me paraissaient très importantes : le texte ayant été revoté de façon à peu près identique dans la loi sur l'énergie en juillet 2005, l'information sur les consommations énergétiques va enfin être appliquée en 2006 tandis que les textes en matière de réglementation publicité de consommation énergétique ne sont jamais sortis. Enfin, les textes sur le bois et les conduits de cheminées sont sortis il y a seulement trois mois.
AE : Parmi les propositions qui sont émises nombreuses sont celles qui font référence à l'énergie, pensez vous qu'actuellement le ministère de l'environnement pèse assez sur la politique gouvernementale et que la thématique de l'énergie devrait lui être rattaché.
CL : Le ministère de l'écologie est un ministère introuvable et qui, aujourd'hui, a été vidé de sa substance. La reconstruction du ministère de l'écologie n'est pas une question simple car deux grandes orientations me semblent possibles. La première orientation consiste à adjoindre les problématiques de santé publique et de consommation au ministère de l'écologie. C'est plutôt mon option. La seconde option consiste effectivement à lui rattacher la question énergétique, mais il me semble que dans ce cas, une bonne construction ministérielle impliquerait la création d'un ministère du Développement Durable qui dépende du premier ministre et qui soit en charge de la gestion de l'énergie.
AE : Alors que l'association ECORESP prône l'écoresponsablité et finalement le développement durable que répondez-vous à ceux qui prônent la décroissance soutenable.
CL : Le livre-débat se place délibérément dans une stratégie facteur 4 et nous nous référons beaucoup au scénario Negawatt que nous estimons être un très bon scénario. Nous pensons que l'on peut concevoir un développement économique en réduisant l'utilisation des matières premières et des ressources mais nous n'appelons pas cela de la décroissance. Je ne suis pas sûre qu'il s'agisse d'un désaccord profond sur le fond avec la notion de décroissance soutenable, mais il est certain qu'il existe un désaccord sur la présentation : assurer un développement économique en réduisant l'usage des matières premières et des ressources, c'est concevoir une démarche dans laquelle les produits seront de meilleure qualité améliorant ainsi le niveau de confort des usagers et consommateurs tandis que la décroissance soutenable signifie clairement moins, moins d'emplois, moins d'entreprises, et je ne suis de ce fait pas persuadé que ce soit d'abord politiquement viable et surtout concevable.
AE : Toutes les propositions émises dans le livre-débat pourraient faire penser à un programme politique. Est-ce celui que vous tentez de développer ?
CL : Oui, c'est incontestablement la base d'un programme politique. Je suis quelqu'un d'iconoclaste et même si je dirige un mouvement politique, je reste dans la société civile en laquelle j'ai une très grande confiance pour impulser la transformation à partir des propositions qui en émanent. Il me semble que nous vivons dans une société terriblement sclérosée au sommet alors qu'à la base, elle est extrêmement vivante. L'expérience de ce livre collaboratif consiste justement à montrer comment on peut faire remonter les propositions, les mettre en forme de manière plus programmatique et les pousser car elles s'intègrent dans une cohérente.
*Sur www.ecoresp.fr et www.cap21.net.
À l'heure de la préparation aux prochaines échéances électorales nationales, Actu-Environnement.com, indépendant de toute affiliation politique, remercie Corinne Lepage pour avoir contribué à l'analyse de l'actualité avec ses chroniques régulières, en qualité d'avocate, et ancien Ministre de l'Environnement.