Les écosystèmes français peuvent apporter une contribution "élevée" à la lutte contre les changements climatiques. Mais celle-ci "reste incertaine et elle-même vulnérable au changement climatique". Telles sont les principales conclusions d'une étude, sur la séquestration du carbone par les écosystèmes en France, réalisée dans le cadre de l'évaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques (Efese). A ce stade, l'étude incite à la prudence concernant la prise en compte des puits carbone dans la stratégie climatique française. Elle recommande surtout d'attribuer une valeur monétaire élevée au carbone stocké et au potentiel d'absorption des écosystèmes, afin de les préserver.
Le rapport, publié le 21 mars par le Commissariat général au développement durable (CGDD), apporte une contribution à l'élaboration de la stratégie climatique française, au moment où le gouvernement envisage d'adopter un objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050. A cette date, la France devra avoir trouvé une solution de captage du reliquat de ses émissions de CO2 si elle veut respecter cet engagement.
Séquestrer n'est pas équivalent à une réduction des émissions
Les écosystèmes peuvent séquestrer du carbone dans la biomasse vivante (arbres, etc.), le bois mort, les sols (prairies, sols forestiers, tourbières, etc.) et les sédiments (fonds marins, etc.). Aujourd'hui, ils constituent un puits de carbone "très significatif", qui absorbe près de 20 % des émissions françaises (valeur de 2015). Ce puits est essentiellement lié aux forêts françaises qui absorbent environ 87 millions de tonnes de CO2 par an et aux prairies qui en séquestrent 3 millions de tonnes supplémentaires chaque année. Mais seulement une partie de ces absorptions de CO2 peut être attribuée à l'Homme et être déduite des émissions de CO2 anthropiques. Cette situation ne devrait pas évoluer sensiblement. Il est donc peu probable que la gestion des écosystèmes puisse significativement contribuer à la neutralité carbone : "Un objectif de neutralité carbone qui intégrerait la part comptabilisée de ces puits supposerait une réduction des émissions de gaz à effet de serre (…) de 90 % en 2050, par rapport à 1990."
Surtout, explique le CGEDD, il n'est pas possible d'envisager la capture de CO2 comme une alternative équivalente à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. "« Séquestrer une tonne de carbone dans un écosystème » n'est pas équivalent à « éviter l'émission d'une tonne de carbone de plus dans l'atmosphère à partir de combustibles fossiles »." A ce stade, le CGDD recommande donc de préserver le potentiel de capture en privilégiant les stratégies, comme l'agroforesterie, qui renforcent l'absorption de carbone. Si les conditions sont réunies, de bonnes méthodes agricoles pourraient conduire à une séquestration de carbone de l'ordre de 10 tonnes de CO2 par hectare de grandes cultures, explique le rapport. Il recommande aussi de valoriser correctement l'altération des capacités de stockage du carbone par les écosystèmes, dans les évaluations socio-économiques des projets. Il faudrait "imputer à la dégradation d'un écosystème naturel un coût pouvant aller jusqu'à plusieurs dizaines de milliers d'euros par hectare", estime-t-il.
Un potentiel transitoire, incertain et limité
Cette prudence s'explique en grande partie par la précarité d'une stratégie qui accorderait une place importante à la séquestration du carbone par les écosystèmes. Celle-ci ne pourrait être que transitoire, car les puits de carbone perdent leur efficacité à mesure qu'ils jouent leur rôle. "Après 2050, ils ne représenteraient qu'un potentiel transitoire, incertain et limité de séquestration additionnelle (…) qui ne pourra pas compenser les émissions résiduelles indéfiniment". Le rapport envisage qu'à cette date, ce potentiel ne représentera que cinq années d'émissions (avec 2015 pour référence). En outre, la capacité de stockage du carbone sera liée à l'évolution du climat et une spirale négative pourrait se mettre en place : "en l'absence de stratégie d'adaptation, [la réduction des puits de carbone] serait d'autant plus marquée que le changement climatique sera fort".
Pire, "sous certains scénarios de changement climatique, certains écosystèmes pourraient même devenir à terme des sources significatives d'émissions de carbone", alerte le rapport qui évoque en particulier les terres cultivées. En l'occurrence, l'instabilité des écosystèmes n'est pas sans risque. L'étude évalue à plus de 30 milliards de tonnes de CO2 la quantité de carbone susceptible d'être réémise dans l'atmosphère en cas de forte déstabilisation des écosystèmes terrestres. Un volume qui représente "plus de 60 fois les émissions françaises de 2015", alerte le rapport…