Et si l'épidémie de Covid-19 était un accélérateur de transition du secteur agroalimentaire ? Face à l'urgence, producteurs, distributeurs, industriels, collectivités et consommateurs sont appelés à se mobiliser pour sauver les récoltes et productions françaises. Et dessiner un modèle plus durable de notre approvisionnement alimentaire ?
Après la fermeture de la restauration hors domicile mi-mars, la décision, une dizaine de jours plus tard, de fermer les marchés a été un coup dur pour le secteur agricole, qui écoule une partie de ses productions par cette voie. Si le Gouvernement a, depuis, décidé d'assouplir cette décision, à condition que des mesures sanitaires soient prises, les initiatives se multiplient pour déployer d'autres canaux de vente de productions agricoles françaises. Elles viennent renforcer les circuits traditionnels de vente de proximité qui s'appuient sur les magasins de producteurs, la distribution de paniers (Amap…), la vente directe à la ferme...
La grande distribution achète français, mais à quel prix ?
De nombreuses enseignes de la grande distribution, à l'instar d'Intermarché, des Magasins U ou encore d'Auchan, se sont engagées à mettre sur leurs étals les productions locales : maraîchères, produits issus de la pêche, de l'élevage... Le groupe Carrefour s'engage notamment à ne commercialiser que des productions françaises pour les produits disponibles et de saison : c'est notamment le cas pour les fraises, les asperges et les concombres.
De son côté, le P-DG de Picard surgelés, Philippe Pauze, a appelé agriculteurs et pêcheurs français à contacter son équipe d'approvisionnement pour « étudier la possibilité de surgeler [les] productions du moment ». L'enseigne est déjà engagée, depuis quelques années, aux côtés de la filière bio pour commercialiser des légumes biologiques locaux. Des entreprises, telles que Danone, LSDH ou Sodiaal, s'engagent à augmenter leurs collectes de lait « made in » France pour le transformer, la filière ayant des difficultés à écouler sa production aujourd'hui.
Mais la Confédération paysanne alerte sur la rémunération des agriculteurs : « La solidarité sur l'écoulement des volumes ne suffit plus. Nous attendons de la distribution plus de responsabilité également en matière de transparence sur les prix d'achats et de vente, et également sur une répartition des marges plus équitable entre tous les acteurs des filières ». Malgré les états généraux de l'alimentation et la loi Egalim qui a suivi, les agriculteurs peinent à établir des relations commerciales équilibrées. « Cette "solidarité" de la grande distribution doit se traduire dans les actes de manière structurelle », prévient le syndicat.
Le Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef) demande la mise en place d'un prix plancher d'achat pour chaque production agricole. « Ce prix plancher tient compte de l'évolution des coûts de production en fonction des bassins de production et des revenus des producteurs de chaque filière agricole », précise l'organisme. La loi de 2005, relative au développement des territoires ruraux, « prévoit qu'un coefficient multiplicateur entre le prix d'achat et le prix de vente des fruits et légumes périssables peut être instauré en période de crises conjoncturelles », rappelle-t-il.
Des outils pour localiser les producteurs locaux et les circuits courts
La Confédération paysanne et la Fédération nationale d'Agriculture Biologique (FNAB) procèdent au recensement des plateformes et initiatives locales destinées aux circuits courts.
Des Centres d'initiatives pour valoriser l'agriculture et le milieu rural (Civam) ont également lancé des outils collaboratifs pour localiser les producteurs et les circuits courts à l'échelle départementale.
Pour rappel, il s'agissait de l'une des préconisations issues des états généraux de l'alimentation : développer des plateformes numériques de mise en réseau et de partage d'informations entre producteurs, artisans, transformateurs, distributeurs, acheteurs publics…
Les collectivités territoriales s'en mêlent
« De leurs côtés, les collectivités locales disposent de moyens logistiques, comme les transports scolaires, ou des bâtiments publics vides, qu'ils pourraient mettre à disposition de groupes de paysan-ne-s pour faciliter la livraison sur des points fixes ou carrément à domicile. Des mairies agissent déjà », indiquent la Fnab et la Confédération paysanne. Épiceries ambulantes, livraisons à domicile, préparations de repas pour les plus fragiles… Les initiatives se multiplient et les deux organisations les recensent pour en inspirer d'autres.
D'ailleurs, le Gouvernement a étendu aux fraises et aux asperges les possibilités d'indemnisations des producteurs en cas de dons aux hôpitaux, EHPAD, institutions pénitentiaires… « Les retraits communautaires sont une mesure de gestion de crise intégrés dans les programmes opérationnels des organisations de producteurs ou des associations d'organisations de producteurs (OP) ». Les fruits et légumes retirés du marché peuvent faire l'objet d'une distribution gratuite aux organisations caritatives et à certains organismes, et sont indemnisés à 100 %.