Voici déjà une quarantaine d'années que le dossier des algues vertes constitue l'envers empoisonnant de la carte postale d'une Bretagne fantasmée par les touristes. Et le phénomène tend à s'amplifier, malgré la multiplication des mesures engagées par la Région et par l'État. Ainsi, en 2021, dans la baie de Saint-Brieuc, les volumes d'algues collectés par les collectivités ont été cinq fois supérieurs à celui de l'année 2020, selon Air Breizh. Dans les Côtes-d'Armor, la baie d'Hillion reste la plus exposée. L'association Air Breizh y pratique depuis cinq ans un suivi de la qualité de l'air dépistant l'H2S, l'hydrogène sulfuré, ce gaz source de nuisances olfactives et potentiellement mortel qui se forme lors de la putréfaction des algues. Les dépassements de seuils observés plusieurs fois ont conduit à la fermeture de la plage, où seuls s'aventurent des oiseaux limicoles de passage.
Cette année, les marées vertes s'annoncent précoces en raison de la chaleur et des orages. Elles sont de retour en baie de Locquirec (Finistère) et de Lannion (Côtes-d'Armor), tout comme le ramassage, depuis la deuxième semaine de juin. Soit avec plus de quinze jours d'avance par rapport à l'année dernière. En baie de Saint-Brieuc, les premières collectes ont eu lieu dès avril. La tendance à la hausse des échouages observée depuis 2013 s'explique par les aléas de la météo, mais pas seulement. Si des politiques volontaires ont permis de réduire d'environ un tiers depuis 1995 la concentration moyenne des nitrates dans les cours d'eau du bassin versant, la situation depuis 2015 stagne et les marges de progrès se réduisent. Comme le souligne l'agence de l'eau Loire-Bretagne dans le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage) 2022-2027, adopté le 3 mars dernier, « pour les algues vertes, l'azote apparaît bien le facteur principal responsable de la diminution plus ou moins rapide de la croissance des algues, après le bloom printanier, et demeure donc le facteur principal de contrôle de ce phénomène ». Le schéma d'aménagement et de gestion des eaux (Sage) préconise, quant à lui, une réduction de 30 à 60 % des effluents selon les baies.
Première condamnation de l'État
Des constatations qu'a pointées la Cour des comptes qui, dans un rapport de 2021, enjoignait l'État à aller plus loin. Et, en juin 2021, c'est le tribunal administratif qui lui faisait injonction de compléter son programme d'action nitrates sur le volet portant sur les algues vertes. S'en est suivi un arrêté modificatif, en novembre 2021, imposant aux agriculteurs, situés en baies à algues vertes, des mesures supplémentaires dites « ZSCE » (zone soumise à contraintes environnementales), principalement le contrôle technique des fosses à lisier, la mesure du reliquat d'azote dans les sols, l'installation de bandes enherbées de dix mètres le long des cours d'eau et des mesures de réduction du surpâturage. Présentés par Étienne Guillet, le sous-préfet des Côtes-d'Armor chargé des algues vertes, le 17 mars 2022, ces arrêtés de zone soumise à contraintes environnementales s'inscrivent dans le sixième plan d'action régional nitrates et fixent des objectifs à atteindre aux exploitations agricoles. À partir de 2025, ils pourront devenir contraignants. L'enjeu de ces ZSCE est de créer des zones tampon pour piéger les nitrates et réduire le phénomène de lessivage vers la mer.
Un manque d'encadrement malgré des aides doublées
Dans ce contexte, les aides individuelles aux agriculteurs vont être plus que doublées par rapport au plan précédent (10 millions par an). Il s'agira de paiements pour services environnementaux (PSE), en échange de pratiques culturales adaptées. Ce système de PSE va être déployé à grande échelle dans six baies bretonnes concernées par les algues vertes, dont celle de Saint-Brieuc et de Douarnenez, les plus touchées. Les pouvoirs publics vont injecter 8,2 millions d'euros, peut-on lire dans la délibération du conseil d'administration de l'agence de l'eau Loire-Bretagne datée du 18 mai. L'établissement débloque, au total, 5,8 millions d'euros pour ce dispositif, l'État 1,4 million, le conseil départemental du Finistère et celui des Côtes-d'Armor 500 000 euros chacun. Plus de 130 exploitations pourront recevoir jusqu'à 60 000 euros sur cinq ans. Les agriculteurs engagés dans la démarche devraient être évalués chaque année et rémunérés suivant l'effectivité du résultat.
En attendant, ces mesures, financées par la redevance sur l'eau et par les contribuables, font l'objet d'engagements volontaires de la part des agriculteurs et sont peu encadrées, faute d'effectifs d'accompagnement. Une première étape de « saupoudrage, estime Estelle Le Guern, d'Eau et rivières de Bretagne, « pour rectifier les méthodes à la marge, sans revoir le système dans son ensemble. » Entre Plav, PSE et arrêtés dits « ZSCE », « on est un peu dans le flou », observe la chargée de mission agriculture.
L'association, déjà à l'origine de la saisine du tribunal administratif, a saisi son juge de l'exécution, le 8 juin. Elle reproche à l'État de ne pas avoir appliqué l'obligation de mesures aux agriculteurs des bassins versants concernés. « Pendant les trois prochaines années, la lutte contre le développement des algues vertes reposera uniquement sur la bonne volonté des chefs d'exploitation », estime Arnaud Clugery, directeur opérationnel d'Eau et rivières. Et les contrôles restent insuffisants, comme le pointait déjà un rapport du Sénat en mai 2021, rédigé par Bernard Delcros, vice-président de la commission des finances et rapporteur spécial de la mission budgétaire « Cohésion des territoires ».
Pour Arnaud Clugery, « il y a un vrai problème de calendrier : quand le juge administratif enjoint l'État à agir sous quatre mois, c'est-à-dire pour le 4 octobre 2021, ce n'est pas pour que les mesures deviennent effectives en 2025 ou 2026 ou au-delà… Par exemple, le contrôle des fuites des fosses, mesure numéro un des ZSCE. Quand on regarde le calendrier, certains contrôles n'auront lieu qu'en 2024. Qu'est-ce qu'on peut attendre d'une mesure pas encore en vigueur face à la marée verte de cet été ? L'impression qu'on a, c'est qu'il y a tout le temps une négociation sur le calendrier alors qu'on parle d'un dossier qui a quarante ans ».
Face à cet empilement de mesures en silo, des voix s'élèvent pour faire évoluer la situation, pas seulement à l'échelle de l'exploitant, mais aussi à l'échelle de la filière. L'aspect foncier reste la clé d'un problème systémique et tient à des mesures de bon sens préconisées par le rapport de la Cour des comptes : recréer des prairies enherbées, créer des réserves foncières, renouer avec le pâturage.