Jeudi 5 juillet 2012, Aliapur, l'éco-organisme en charge de la collecte et de la valorisation des pneus usagés, a présenté les chiffres de la collecte 2011 et les perspectives pour 2012. Ce rendez-vous annuel a surtout été l'occasion de détailler les "risques inhérents" à la révision du décret de 2002 relatif à l'élimination des pneumatiques usagés.
Pas de contrôle des pouvoirs publics
Eric Fadiew, directeur général d'Aliapur, ne décolère pas contre les fonctionnaires du ministère de l'Ecologie dans "leur tour d'ivoire à La Défense". Et de tempêter : "ce n'est plus une simple révision, c'est un nouveau décret !". En effet, le projet de texte, tel que présenté par Aliapur, comporte de nombreuses modifications parmi lesquelles deux pourraient avoir des conséquences radicales pour l'éco-organisme.
La mise en place d'un agrément ministériel est l'une de ces dispositions à laquelle s'oppose l'éco-organisme. "C'est un refus catégorique", explique Eric Fabiew, critiquant "une mise sous tutelle" d'Aliapur. Si la mesure est maintenue, Aliapur, le seul éco-organisme français non-agréé, devrait se conformer à un cahier des charges fixant l'ensemble de ses obligations de moyens, de résultats et de gestion des relations avec les différents acteurs, pour une période pouvant aller au maximum jusqu'à 6 ans.
L'éco-organisme s'oppose à ce contrôle de l'Etat (contrôle des contrats entre Aliapur et les producteurs de pneus, présence d'un censeur d'Etat au conseil d'administration…), mais aussi à la perte d'indépendance pour la fixation des éco-contributions et à l'imposition d'une hiérarchie des modes de traitement. Si cette mesure était maintenue, Eric Fabiew n'exclut pas une disparition pure et simple d'Aliapur et la création d'un nouvel éco-organisme. Le bras de fer avec l'Etat n'est pas loin...
Des déchets pneumatiques
Deuxième reproche, le nouveau texte traite des "déchets pneumatiques" quand le décret en vigueur concerne les "pneumatiques usagés". Le changement de terme n'est pas anodin puisqu'il fait entrer les pneus usagés dans la catégorie des déchets. Deux conséquences de taille en découlent.
Premièrement, l'exportation de pneus pourrait tomber sous le coup de la convention de Bâle au sein de laquelle est actuellement discuté le caractère écotoxique et la dangerosité des pneus en fin de vie. Le passage par le statut de déchet compliquerait singulièrement l'exportation pour le réemploi ou les cimenteries.
La hiérarchie des traitements des déchets, imposée par la directive cadre de 2008 constitue le second problème posé par le changement de terme. Le cadre réglementaire européen privilégie la réutilisation, puis la valorisation matière et enfin la valorisation énergétique. Or, les voies d'élimination affichées par Aliapur sont exactement l'inverse de cette hiérarchie et la tendance actuelle ne fait que confirmer cette opposition. La situation est telle que les acteurs du recyclage des pneus dénoncent la "concurrence déloyale" des cimentiers.
• 45,06% des pneus collectés ont été valorisés énergétiquement,
• 37,54% ont fait l'objet d'une valorisation matière,
• 17,40% ont été réutilisés.
L'année en cours s'annonce plus difficile car Aliapur enregistre actuellement un retard de 16.000 tonnes pour atteindre l'objectif fixé à 325.000 tonnes. "C'est peut-être la première fois que l'on ne tiendra pas l'objectif", déplore Eric Fabiew, évoquant une possible sous-collecte de 25.000 tonnes.
En creux, c'est toute la stratégie d'Aliapur qui serait remise en cause. Le modèle économique de la société créée par les manufacturiers de pneumatiques a jusqu'à maintenant permis de réduire régulièrement les contributions financières des producteurs et importateurs de pneus. En neuf ans, celles-ci ont diminué dans une proportion comprise entre 10,17 et 60,67% selon le type de pneus. A titre d'exemple, l'éco-contribution des pneus des véhicules légers qui représentent les deux tiers des ventes est aujourd'hui de 1,35 euros par unité contre 2,20 euros en 2004. Une performance rendue possible par la professionnalisation des procédures, mais aussi (et surtout ?) grâce "aux travaux en R&D qui ont fait du pneu usagé un produit recherché". Or, ce sont surtout les cimentiers qui "recherchent" des pneus et permettent à Aliapur d'en tirer profit. En imposant la hiérarchie européenne de traitement et en soumettant l'éco-organisme à un cahier des charges, l'Etat imposera probablement à Aliapur de faire machine arrière.
La valorisation énergétique représente aujourd'hui la première voie de traitement (voir encart) devant la valorisation matière. Cependant, cette tendance est récente puisque sur la période 2005-2010, le recyclage représente 46,44% de la collecte et la valorisation énergétique 37,72%. "Les cimentiers sont très demandeurs de pneus usagés", constate Eric Fabiew, se félicitant que les choses aient bien changé en une décennie. Si lors de la mise en place de la REP les cimentiers étaient payés pour brûler les pneus, aujourd'hui ils payent pour utiliser ces déchets. Et ce n'est qu'un début car Aliapur négocie actuellement avec les cimentiers un contrat d'approvisionnement à un prix indexé sur le prix du pétrole. Comme le suggère Eric Fabiew, le marché deviendra très lucratif.
Les raisons de cet engouement sont connues : non seulement le prix du "combustible pneu" devient attractif avec la hausse des cours du pétrole, mais il a aussi l'avantage de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) comptabilisées. Une circulaire de la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) du ministère de l'Ecologie basée sur une étude réalisée par Aliapur en 2009, permet aux industriels soumis aux quotas d'émission européens d'afficher des réductions de leurs émissions de CO2 dans leurs déclarations officielles.
Quant au recyclage, il passe par la fabrication de granulats qui peuvent être utilisés pour différents produits tels que des sols synthétiques, des anti-vibrateurs ou des dalles de béton. Cependant, la filière est à la peine et il n'y a que cinq granulateurs en France du fait notamment de la concurrence internationale. "L'Etat a oublié de soutenir le dispositif aval", estime Eric Fabiew, regrettant qu'"on reste dans une économie assistée".
Effectivement, Aliapur paye aujourd'hui les granulateurs pour compenser le manque à gagner entre les coûts de production et les prix de vente qui se situent à environ 180 euros. Bilan : Aliapur subventionne à hauteur de 60 euros chaque tonne produite. Un modèle diamétralement opposé à l'utilisation des pneus comme combustible pour lequel Aliapur est rémunéré.