
Coordinateur général du Tribunal citoyen contre Monsanto
Actu environnement : Comment est née l'idée d'un tribunal citoyen contre Monsanto ?
Arnaud Apoteker : Cette initiative est portée par des représentants de la société civile qui ont été actifs dans des campagnes contre l'agro-industrie, les OGM… Parmi eux, l'initiatrice du mouvement Navdanya Vandana Shiva, l'avocate Corinne Lepage, le chercheur Gilles-Eric Séralini… Nous organisons un tribunal citoyen contre Monsanto car il est souvent impossible, pour les victimes, de porter plainte contre cette entreprise globale. Et même lorsqu'elle est poursuivie, on constate l'impunité de ses dirigeants et l'absence d'impact sur ses activités.
AE : Quel est l'objectif de ce faux procès?
AA : Ce tribunal doit d'abord servir à ouvrir les yeux de l'opinion publique sur les impacts de l'industrie agrochimique. Des témoins, provenant du monde entier, viendront montrer l'étendue de la responsabilité de Monsanto dans la dégradation de notre environnement. Mais nous souhaitons aussi fournir des outils juridiques aux communautés qui voudront poursuivre Monsanto devant de vraies juridictions. Le fait d'être entourés d'experts du droit international permettra de constituer un travail légal approfondi et un dossier juridique solide. Enfin, nous plaidons pour l'introduction du crime d'écocide dans le droit international. Il s'agit de reconnaître et de punir les atteintes irréversibles aux écosystèmes dont dépendent les populations humaines. Le Round up a, par exemple, provoqué des dégâts sur les sols, les plantes etc., ce qui perturbe les systèmes écologiques dont dépendent directement certaines communautés.
AE : On parle beaucoup des OGM et du Round up aujourd'hui. Mais Monsanto a un long passif dans la commercialisation de produits nocifs…
AA : Monsanto est une compagnie emblématique de l'agro-industrie certes, mais si nous l'avons ciblée en particulier, c'est qu'elle fait des dégâts considérables depuis sa création, autrement dit depuis des décennies. Les OGM et le Round up ne sont que les derniers produits d'une longue liste de produits hautement toxiques commercialisés par Monsanto. Il y a eu auparavant les PCB, qui sont des polluants persistants dans les écosystèmes et bio-accumulables ; le lasso, un herbicide toxique aujourd'hui interdit en Europe ou encore le 2,4,5 T, composant de l'agent orange, pour lequel Monsanto est accusé de complicité de guerre au Vietnam. Quant au Round up, accusé de nombreux maux, c'est aujourd'hui l'herbicide le plus utilisé dans le monde.
Le tribunal donnera la parole à des victimes de l'activité de Monsanto, sur le plan sanitaire, mais aussi économique, environnemental… Nous voulons donner une apparence humaine à ce qui se passe dernière le chiffre d'affaires de cette compagnie. Il y aura également des chercheurs, des experts, des juristes…
AE : Au-delà de Monsanto, c'est le modèle de "l'agro-industrie" que vous dénoncez. Comment expliquez-vous que, malgré les nombreux scandales sanitaires et environnementaux, ce modèle soit encore dominant ?
AA : Peut-être que le tribunal aidera à démêler la question de l'influence de ces compagnies multinationales sur les instances réglementaires, les réseaux scientifiques… L'importance croissante qu'elles ont auprès des décideurs les place dans une impunité totale. La fusion entre Monsanto et Bayer ne change pas ce paradigme, au contraire, on s'enfonce encore plus dans un système oligopole, qui entraîne une perte de choix pour les agriculteurs et les consommateurs et une perte de pouvoir par les autorités réglementaires. Ce sont des compagnies énormes, alors que les victimes sont souvent démunies, dispersées. Même si quelques scandales émergent ici ou là, le grand public ne connaît pas l'étendue des dégâts. Cet empoisonnement à long terme est invisible. Le tribunal servira à montrer à Bayer, et au monde, le monstre qu'il s'apprête à acheter.
AE : Comment se déroulera concrètement ce tribunal citoyen ?
AA : Nous essayons de suivre au plus près les procédures des juridictions internationales. Par exemple, des questions sont posées à ces Cours. Nous avons formulé six questions. Les deux jours d'audiences et les plaidoiries permettront, nous l'espérons, d'éclairer ces questions. Les juges auront ensuite deux mois pour délibérer. L'opinion juridique sera rendue, de manière symbolique, le 10 décembre, journée internationale des droits de l'Homme.
AE : L'entreprise Monsanto sera-t-elle représentée ?
AA : Nous avons souhaité, comme dans un tribunal, permettre à Monsanto et à ses avocats d'intervenir. Mais nous n'avons pas eu de réponse à notre courrier. Je crains qu'ils tentent de délégitimer notre action. Mais nous comptons sur la qualité du travail apporté par les juges pour convaincre l'opinion publique.