« Il faut qu'on arrête d'avoir l'électricité honteuse dans le domaine du bâtiment (…). L'électricité est la solution pour pouvoir réussir l'atteinte de la neutralité carbone en 2050 », a déclaré, le 3 décembre, Olivier David, chef de service du climat et de l'efficacité énergétique à la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), lors du colloque organisé par l'Union française de l'électricité (UFE), à Paris. De quoi faire à nouveau bondir les acteurs de la filière gaz, représentés par l'association Coénove, présidée par Bernard Aulagne.
Le calcul de la baisse du coefficient d'énergie primaire de l'électricité, prévu pour la prochaine réglementation environnementale (RE) 2020, est un point de désaccord persistant entre la filière électrique et la filière gaz. D'autant que la réglementation thermique (RT) 2012, actuellement en vigueur, avait avantagé le gaz dans les logements neufs. « Nous trouvons inconvenant, si ce n'est choquant, que l'administration choisisse un colloque de l'UFE pour déclarer sa flamme à l'électricité et surtout, présente les choses comme une revanche de l'électricité, après une RT 2012 qui aurait favorisé le gaz », a déclaré Bernard Aulagne, dans un communiqué. Sachant que « les arbitrages concernant la RE 2020 ne sont, officiellement, toujours pas rendus ».
Électricité : le coefficient d'énergie primaire passera de 2,58 à… 2,3
Début 2020, l'État doit en effet concerter les acteurs sur les exigences réglementaires de la future RE 2020, puis les arbitrages interministériels interviendront au printemps 2020. L'État devrait publier les textes réglementaires à la mi-2020, avait annoncé, début novembre, Mickaël Thiery de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP). « L'État a proclamé son choix pour la France de l'électrique par la voix de la DGEC qui assume encourager l'usage de l'électricité dans les bâtiments », a dénoncé M. Aulagne.
Au colloque de l'UFE, Olivier David a confirmé la décision des pouvoirs publics de baisser le coefficient de conversion de l'électricité en énergie primaire, qui passera désormais de 2,58 à 2,3.
La DGEC proposait d'abord la baisse du facteur d'énergie primaire fixée à 2,1, afin de prendre en compte l'évolution du mix énergétique projetée en 2035 dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), et de répondre aux exigences européennes de la directive relative à l'efficacité énergétique des bâtiments. Les derniers arbitrages de l'administration, rendus en novembre lors d'une réunion avec les acteurs, annonçaient un coefficient de 2,3.
Or, en fixant un coefficient de 2,1, la filière gaz fustigeait, en mai dernier, « le retour du chauffage électrique par convecteurs à effet Joule peu performants et énergivores, conduisant à augmenter les besoins de puissance électrique en hiver (pointe électrique) ». Un avis partagé par l'association NégaWatt.
Un coefficient évalué à 2,74 aujourd'hui
En décidant un coefficient de 2,3, Coénove dénonce un « artifice » de l'administration, « faute d'arguments sérieux ». « L'Union européenne utilise une méthode objective pour calculer ce facteur de conversion : pourquoi ne l'appliquons-nous pas ?... sauf qu'elle conduit à un coefficient de 2,7 ! » a poursuivi Bernard Aulagne.
Pour NégaWatt, c'est un coefficient de 2,74 qu'il faudrait retenir dans la RE 2020 : une valeur jugée « représentative de la structure actuelle (2018) de production d'électricité en France ». « C'est cette valeur de 2,74 qu'il faut retenir, même si elle minore la réalité. C'est une question d'honnêteté intellectuelle, et au moins elle fera consensus, même si elle est sous-estimée », expliquait NégaWatt en avril dernier dans une note d'analyse.
Même son de cloche de la part de Thierry Rieser, gérant du bureau d'études Enertech, spécialiste de l'efficacité énergétique :« En accord avec les règles européennes, nous devrions adopter la valeur actuelle du coefficient (…) soit 2,74, et le réviser dans cinq ans pour suivre les évolutions réellement constatées ! A minima le maintien du statu quo à 2,58 pourrait être une solution raisonnable qui éviterait de rouvrir ce débat explosif », a déclaré M. Rieser, dans une tribune publiée le 26 novembre, aujourd'hui signée par plus de 1 300 maîtres d'œuvre et maîtres d'ouvrage du bâtiment concernés par la RE 2020. « Pourquoi d'ailleurs proposer 2,1, puis 2,3 ? Est-ce un marchandage ? », s'interrogent aussi les signataires.
De son côté, l'association Équilibre des Energies estime, dans un communiqué, que la valeur de l'indicateur en énergie primaire « devrait être alignée sur le coefficient de 2,1, proposé comme coefficient par défaut par l'Union européenne et d'ores et déjà admis dans les règles d'éco-conception et d'éco-affichage de composants essentiels tels que les pompes à chaleur ». Elle interpelle les pouvoirs publics sur le fait que le maintien d'une réglementation fondée sur le coefficient de 2,58 ou sur un coefficient qui « lui serait trop proche (…) compromettrait définitivement les chances de respecter l'objectif de neutralité climatique à horizon 2050 ».
Impact carbone du chauffage électrique : autre sujet de discorde
L'association Équilibre des Energies demande, quant à elle, de « rationaliser et de préciser la méthode de détermination » du contenu en CO2 du kWh électrique consommé.
Enertech et les signataires de sa tribune appellent les pouvoirs publics à revoir certains axes de travail de la RE 2020, craignant une baisse des exigences par rapport à l'expérimentation E+C-. « Une vraie concertation ne se mesure pas aux nombres de réunions organisées, mais à la véritable prise en compte des suggestions des acteurs... Nous en sommes loin mais nous continuerons à porter nos convictions », a déclaré Bernard Aulagne, président de Coénove.