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Galéjade à Gardanne : le caractère relatif de l'utilité des sursis à statuer

Le 10 novembre 2023, la CAA de Marseille a sursis à statuer sur la requête de la centrale biomasse. Elle demandait l'annulation du jugement du TA, qui avait annulé son autorisation d'exploitation en attendant une étude d'impact plus complète.

DROIT  |  Commentaire  |  Energie  |  
Droit de l'Environnement N°329
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°329
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Galéjade à Gardanne : le caractère relatif de l'utilité des sursis à statuer
Raphaël Romi
Professeur émérite de droit public
   

Quand une centrale à bois repose sur un approvisionnement qui dépasse largement les possibilités des ressources locales, il est assez logique que l'impact en soit apprécié juridiquement. À l'origine de cette affaire, cela n'avait pas été fait, et la cour administrative d'appel de Marseille avait cautionné cette absence (1) .

Le Conseil d'État lui a renvoyé sa copie, par une formule très sèche, le 27 mars 2023, au motif que « l'appréciation de ces effets suppose que soient analysées dans l'étude d'impact non seulement les incidences directes sur l'environnement de l'ouvrage autorisé, mais aussi celles susceptibles d'être provoquées par son utilisation et son exploitation. Cette analyse doit, aux termes de l'article R. 512-8 du code de l'environnement cité au point 2 et alors applicable, être en relation avec l'importance de l'installation projetée. Or, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, ainsi qu'il a été dit au point 3, l'exploitation de la centrale de Provence repose sur la consommation de très grandes quantités de bois provenant de ressources forestières locales, ressources naturelles faisant l'objet d'une protection particulière. Il s'ensuit que les principaux impacts sur l'environnement de la centrale par son approvisionnement en bois, et notamment les effets sur les massifs forestiers locaux, doivent nécessairement être analysés dans l'étude d'impact. Par suite, en jugeant que l'étude d'impact n'avait pas à analyser les effets sur l'environnement du plan d'approvisionnement en bois de la centrale, la cour administrative d'appel de Marseille a entaché son arrêt d'erreur de droit. »

Le nouvel arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille est en réponse long, détaillé, argumenté. Il fait application de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, qui lui confie le soin d'estimer quand il est adapté de prononcer une annulation partielle de l'autorisation environnementale qui lui est déférée, avec une demande de reprise de l'instruction en conséquence, ou un sursis à statuer avec une demande de régularisation si le vice constaté est régularisable (2) .

Il permet aussi et surtout de rappeler que « sont (…) sans incidence les circonstances que les effets des opérations de prélèvements de bois forestier rendus nécessaires pour l'approvisionnent de l'unité́ biomasse de la centrale relèvent d'une législation distincte de celle relative aux installations classées, que les opérations d'exploitation forestière ne constituent pas des installations ni des équipements exploités ou projetés par la société́ GazelEnergie Génération et que ces opérations ne sont ni connexes ni proches du site de la centrale de Provence. » (cons. 26)

Malgré cela, la lecture globale de cette décision fleuve de 32 pages laisse dubitatif, à la fois sur la clarté du dispositif et sur l'efficacité finale de la formule retenue.

On comprend bien, à la décharge des magistrats, que se retrouver à statuer sur un projet ficelé en 2012, alors que nous sommes en 2024 et que le contexte politique, social et juridique a radicalement changé, n'a pas dû être de tout confort…

I. Des enseignements sur le fond de l'affaire

La cour administrative d'appel a estimé qu'il était difficilement acceptable que l'autorisation ait été donnée sans qu'aient été pris en compte les éléments liés à la consommation des ressources forestière locales.

Le considérant 26 stipule qu'il faut aussi que l'étude « pour la biomasse issue de l'étranger, doit à minima indiquer le pays de provenance, la localisation dans ce pays, les quantités utilisées, les essences de bois concernées et les natures de coupe réalisées », et le paragraphe 29 que les effets sur le climat et le bilan carbone doivent figurer dans l'étude d'impact.

Le considérant 40 relève l'insuffisance de l'évaluation Natura 2000, certaines zones proches n'ayant pas été prises en compte.

On a du mal à comprendre comment la cour a pu ne pas le faire précédemment et on concédera que l'institution, ici, ne pouvait en quelque sorte que « manger son chapeau ».

Cependant, la cour (cons. 35 et 36) persiste à retenir que les effets cumulés du projet avec d'autres projets ne doivent pas être pris en compte en l'espèce. Certes, à l'époque des faits, l'article 5 de la directive du 27 juin 1985 n'avait pas été entièrement transcrit, malgré l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) du 7 novembre 2002 (3) . Mais il appartenait à la cour administrative d'être moins catégorique sur l'énoncé selon lequel la description des effets « devrait porter sur les effets directs et, le cas échéant, sur les effets indirects secondaires, cumulatifs, à court, moyen et long terme, permanents et temporaires, positifs et négatifs, du projet ». Il s'agit là, il est vrai, d'une position de principe par ailleurs bien assise par la jurisprudence du Conseil d'État. Mais il y a plusieurs manières de le dire.

II.         Des résultats troublantsIl n'y a pas que sur ce point qu'on sent à la lecture un certain embarras, car par ailleurs, pour ce qui concerne les espèces protégées, la cour administrative d'appel se fonde sur l'avis de l'Autorité environnementale pour accepter que ne figure pas, dans l'autorisation, de demande de dérogation à la destruction des espèces protégées. Or, la jurisprudence en la matière doit désormais s'inscrire dans le cadre des décisions du Conseil d'État rendues le 28 décembre 2022 (4) et le 6 décembre 2023 (5)  : il en résulte que l'exigence d'une autorisation dépend de l'existence d'un « risque suffisamment caractérisé » ou du caractère « négligeable » du risque que présente un projet pour les espèces protégées.Comment savoir si l'on est en présence d'un risque caractérisé s'il n'est tenu compte ni des effets cumulés avec d'autres projets ni des effets sur les habitats non pris en compte dans l'étude d'impact d'origine ?Il y aurait beaucoup à dire aussi sur le caractère elliptique du paragraphe 27 selon lequel les incidences sur les chiroptères ont été correctement évaluées en 2012. Et sur les inconséquences de ces décalages temporels : qu'en est-il aujourd'hui ?  N'y a-t-il pas matière à refaire une évaluation aujourd'hui, onze ans après ? Se fonder sur l'avis de l'Autorité environnementale pour évacuer la question des dérogations est en contradiction avec la décision d'exiger une nouvelle étude d'impact et une nouvelle enquête publique. C'est en tout cas prêter le flanc à une suite de l'aventure contentieuse, soit administrative, soit pénale, si le préfet ne prend pas garde de consulter à nouveau l'Autorité environnementale sur ce point. D'autant plus que l'avis de 2012 avait pour le moins une consistance assez faible, puisque reconnaissant l'existence d'espèces protégées mais ne comportant aucune précision sur les impacts du projet sur ces espèces.

Et plus globalement, le résultat suscite un malaise . La cour n'appelle en effet qu'à la rédaction d'une étude d'impact complémentaire, et à une enquête publique, mais elle précise dans le dernier paragraphe que « compte tenu des lacunes de l'étude d'impact et de l'évaluation des incidences Natura 2000 qui entachent le dossier de demande d'insuffisance, la cour n'est pas en mesure d'apprécier la conformité́ du projet à l'article L. 511-1 du code de l'environnement ainsi que le moyen tiré de l'absence de contrôle du préfet sur le plan d'approvisionnement de 2011. Il y a dès lors lieu pour la cour de réserver la réponse à ces moyens, lesquels demeurent susceptibles d'être écartés ou accueillis après la régularisation du dossier de demande d'autorisation environnementale ».

Ce faisant, les ressources forestières locales n'ayant pas évolué notablement, et l'importance du bilan carbone étant aujourd'hui prégnante, il y aurait sans doute eu matière à remettre les compteurs à zéro. Ce que le tribunal administratif avait le droit de faire en première instance, comme le reconnaît la cour administrative d'appel (cons. 15).

La modification de l'article L. 181-18 du code de l'environnement par l'article 23 de la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelable a conduit la cour administrative d'appel à préférer la solution du sursis à statuer, ce qui signifie que les vices reprochés sont à son avis régularisables.

La solution mi-chèvre mi-chou est juridiquement compréhensible, mais totalement insatisfaisante. Elle consiste, pour reprendre une expression galvaudée, à reculer pour mieux sauter.

La question est en réalité de savoir si ce projet, qui repose sur la fourniture de ressources forestières d'autres territoires (6) et est susceptible de trop peser sur celles du territoire local, est aujourd'hui politiquement envisageable :  l'urgence climatique impose, plus encore qu'il y a onze ans, que la fonction des ressources forestières soit reconsidérée, à la fois à l'échelon territorial et globalement.

C'est en reprenant à zéro la procédure que l'on aurait pu la traiter dans son ensemble et logiquement à l'aune des considérations actuelles : le projet le méritait peut-être. Au lieu de cela, cet épisode au scénario frustrant ne met pas fin au feuilleton.

1. CAA Marseille, 24 déc. 2020, n°s 17MA03489 et 17MA035282. V. par ex. CE, avis, 10 nov. 2023, n° 474431 : Lebon3. CJCE, 7 nov. 2002, n° C-348/01, Commission des Communautés européennes c. République française4. CE, 28 déc. 2022, n°449658 : Lebon T.5. CE, 6 déc. 2023, n° 4666966. Au démarrage initialement prévu fin 2014, les deux tiers du bois devaient provenir de Provence-Alpes-Côte d'Azur, dans un rayon de 400 kilomètres autour de la centrale. La proportion a été ramenée à la moitié, l'État a autorisé que le reste provienne d'importations pour une période de dix ans, avant de laisser place à une fourniture 100 % locale. Les porteurs certifient le caractère « durable » des bois importés…. On peut s'interroger en regard sur le point de savoir si un vice permettant que l'État du Rio Grande do Sul, à plus de 10 000 kilomètres de Gardanne, fournisse une bonne part du chargement des cargos qui déchargent au terminal minéralier de Fos plusieurs dizaines de milliers de tonnes, est « régularisable »…

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