Fin octobre, le président et la vice-présidente de la Fédération éco-citoyenne de Vendée (Féve) - qui regroupe une vingtaine d'associations -, ont été mis en examen pour diffamation envers le syndicat départemental de traitement des déchets des ménages vendéen, Trivalis. Leurs révélations inquiétantes dans la presse locale ont affligé la collectivité qui, après avoir fermé les six usines de broyage-compostage du département, met en œuvre le plan départemental de gestion des déchets ménagers qui prévoit cinq unités de Traitement Mécano-Biologique (TMB). En cause ? L'analyse d'un échantillon de compost tombé de la remorque d'un tracteur sortant d'un des deux TMB dont la mise en service industrielle (MSI) date de fin 2011. Tandis que Trivalis soutient la conformité des lots de compost produit à la norme Afnor NFU 44-051 sur les "Amendements organiques et les supports de culture".
Compost ou refus de TMB
Confié au laboratoire Analytika, l'échantillon de la Féve révèle des taux élevés de Composés Traces Organiques (CTO), notamment des phtalates reconnus perturbateurs endocriniens, et des éléments traces métalliques (ETM) dont la concentration dans le sol augmente avec ce type d'apports, selon les conclusions du programme de recherche QualiAgro de l'INRA et Véolia Environnement. On y retrouve les métaux lourds considérés par la norme, et d'autres : de l'aluminium (près de 10 g/kg de matière sèche), du barium (2,6 g/kg de MS) et des radioéléments. "Le degré de pollution chimique organique de cet échantillon étant particulièrement préoccupant, des mesures quantitatives complémentaires nous semblent absolument indispensables avant la mise sur le marché d'un tel produit, dont l'usage est très vraisemblablement dangereux", conclut le laboratoire. En tant qu'appui technique du ministère en charge de l'Écologie, l'Ineris s'est dit prêt à considérer cette analyse, à condition que le rapport soit bien documenté. Mais Trivalis et la Chambre d'Agriculture de Vendée - soudés par un partenariat pour la valorisation agricole du compost de TMB - contestent la nature de l'échantillon analysé. Selon eux, il ne s'agit pas de compost d'ordures ménagères résiduelles (OMR), mais de refus de TMB.
"Les éléments grossiers des refus retiennent moins les métaux lourds que la fraction fine [destinée au compost] à la surface d'adsorption beaucoup plus grande, souligne le Centre national d'information indépendante sur les déchets (CNIID). Si l'échantillon analysé était bien du refus d'affinage (…), il est légitime de se demander si les concentrations trouvées étaient inférieures à celles du compost vendu [aux agriculteurs], plus pollué in fine que l'échantillon analysé."
La contestation monte
Pour le CNIID, cette affaire tombe à point nommé : sa campagne "Je veux mon bac Bio" pour promouvoir la collecte séparée des biodéchets fermentescibles (rebus de repas, végétaux, mouchoirs en papier, essuie-tout, etc.) a dépassé les 7.500 signataires. Les 43 TMB actifs et 20 en projets que le CNIID cartographie dans l'Hexagone portent souvent un joli nom : Alveol, Amétyst, Azuréo, Biopôle, Canopia, Ecopôle, Ecoval, Everé, Ovade, Trivalonnes etc. Mais un vent de colère semble s'être levé sur eux. À Salindres dans le Gard, l'Association de défense des intérêts salindrois et limitrophes (Adisl) ne décolère pas depuis la mise en service l'an dernier du TMB du SMIRITOM de la communauté d'agglomération d'Alès en partenariat public privé avec Sita. "Dans l'enquête publique, les Commissaires ont suggéré d'implanter ce TMB ailleurs que sur ces terres polluées jusqu'à la nappe phréatique qui jouxtent une parcelle où ont été enfouis 11 Mt de déchets chimiques, souligne Henri Allard, président de l'Adisl. Nous avons porté plainte pour mise en danger de la vie d'autrui".
À Saint-Barthélemy-d'Anjou, le TMB-méthanisation d'Angers Loire Métropole (ALM) se trouve englué dans une double expertise judiciaire conduite par le Tribunal Administratif de Nantes. L'une répond aux plaintes de deux riverains pour invasion de mouches et odeurs nauséabondes, et implique ALM, son assistant à maîtrise d'ouvrage, le constructeur Vinci Environnement et l'exploitant GEVAL (filiale de Veolia Propreté). L'autre concerne ALM et porte sur le fait que l'exploitant en délégation de service public lui reproche d'avoir déclenché trop tôt la phase probatoire d'essais de performance après la MSI en février 2011. ALM, quant à elle, refuse au constructeur de réceptionner l'usine estimant que les performances attendues ne sont pas atteintes. "Ces unités TMB révèlent peu ou prou des mêmes difficultés. Il y a peut être des solutions à apporter mais les industriels doivent faire des efforts, réfléchir au process !", s'exclame avec colère Gilles Mahé, vice-président d'ALM en charge de l'environnement.
En Île-de-France, l'attaque formulée par le collectif Arivem et Écologie sans frontière contre l'arrêté préfectoral de Seine-Saint-Denis autorisant l'exploitation d'un TMB-méthanisation à Romainville (capacité de 315.000 t/an) a été jugée recevable par le Tribunal administratif de Montreuil. Son jugement du 18 avril 2013 pourrait faire jurisprudence : les TMB équipés d'un bioréacteur stabilisateur relèvent de la rubrique 2782 de la nomenclature ICPE.
Des voies d'apaisement
Si de nombreux projets de TMB se confrontent à la Justice, certains évitent cet écueil. L"unité de valorisation biologique" de Lorient Agglomération – dépourvue de bioréacteur stabilisateur – dispose de deux chaînes de traitement distinctes. L'une produit des déchets ultimes stabilisés (DUS) à la matière organique dégradée à 75%, qui se destinent à une mise en décharge. Et l'autre produit un compost répondant non seulement à la norme Afnor NFU 44-051, mais aussi aux exigences de l'écolabel européen "Amendements organiques et supports de culture" et à la certification I-302 "Matières fertilisantes et supports de culture utilisables en Agriculture biologique".
Sur cette dernière, la France occupe une position dominante (600 kt/an), juste derrière l'Espagne (630 kt/an). Par contre, la production française de compost de biodéchets fermentescibles est insignifiante comparée à celles de l'Allemagne (2.100 kt/an), de l'Italie (800 kt/an), des Pays-Bas (600 kt/an) et du Royaume-Uni (300 kt/an).
Cela résulte de politiques volontaristes : l'obligation de collecte séparée des biodéchets des ménages (en Autriche depuis 1995, aux Pays-Bas depuis 2008, prévue pour 2015 en Allemagne), la valorisation agricole de compost de déchets résiduels soumise à autorisation et plan d'épandage (cas du Royaume-Uni) ou restreinte au seul compost de biodéchets (en Italie depuis la loi sur les fertilisants de 2010). Depuis l'abandon de la directive sur les biodéchets voilà treize ans, un marché de compost de biodéchets s'est développé entre 19 Etats-Membres, dont la France.
Incertitudes réglementaires
L'acceptation des TMB passera-t-elle par l'orientation vers une prise en charge exclusive de biodéchets, en augmentant les quantités entrantes par les biodéchets issus des gros producteurs ? En juin, la collecte séparée de biodéchets a reçu le soutien officiel de l'Assemblée permanente des Chambres d'Agriculture (APCA). Et dans son projet d'enquête publique prévu dans un futur proche sur la révision de la norme Afnor NFU 44-051, le BN-Ferti - qui agit en délégation de l'Afnor - envisage un marquage distinct des composts d'OMR et de biodéchets.
D'ici peu, la réponse pourrait venir de l'Union européenne. Dans le cadre des réflexions sur la sortie du statut de déchet, le centre de recherche de la Commission européenne (JRC) a été missionné pour définir la nature des intrants dans les process de compostage. D'après les premiers documents en circulation, le JRC confirme l'idée de limiter les intrants aux seuls biodéchets collectés séparément ; ce qui invaliderait les composts issus de TMB même s'ils répondent aux exigences de la norme NFU 44-051. Dans ce cas, les TMB sur OMR pourraient servir uniquement de stabilisateur avant mise en décharge. Mais voilà, depuis octobre 2012 et l'entrée en vigueur de l'arrêté du 27 juillet 2012, les installations de "stabilisation biologique aérobie" semblent avoir disparu de la réglementation française.