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Vents anti-éoliens au Conseil d'État ?

David Deharbe et Lou Deldique pointent une certaine réticence du Conseil d'État à encourager le déploiement d'énergies renouvelables, pourtant impulsé par l'Union européenne suivie par le Gouvernement.

DROIT  |  Tribune  |  Energie  |  
Droit de l'Environnement N°321
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°321
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Vents anti-éoliens au Conseil d'État ?
David Deharbe et Lou Deldique
Avocats, Green Law Avocats
   

À l'heure où le Gouvernement revendique, sous l'impulsion de l'Union européenne (UE), faciliter juridiquement « l'accélération » du déploiement des énergies renouvelables (ENR), la Haute juridiction administrative aurait-elle décidé de le ralentir ?

Trois paramètres permettent de mesurer la contribution et, finalement, la politique jurisprudentielle du Conseil d'État en la matière.

Le premier concerne la cohabitation des éoliennes avec les radars militaires et, plus largement, la sécurité aérienne. Là, pas de surprise : dès lors que les intérêts de la défense sont en cause, la Haute juridiction laisse à la Grande muette le monopole des qualifications juridiques.

Depuis des années, les opérateurs s'efforcent d'obtenir la transparence et la sécurité juridique dans la définition et l'application de critères de cohabitation éoliennes/radars. Or, en la matière, le Conseil d'État semble avoir sonné le glas de la fronde contentieuse des opérateurs les plus déterminés. Ainsi, la Haute juridiction juge que s'il appartient, en principe, à l'Administration de publier au préalable les instructions et circulaires dont elle entend se prévaloir à l'égard de ses administrés, la seule circonstance qu'elle fonde sa décision sur des motifs repris ou identiques à ceux de lignes directrices qui n'auraient pas fait l'objet d'une publication n'entache pas d'illégalité cette décision.

Et pour la Haute juridiction, l'armée peut continuer à fonder ses refus sur la proximité d'un projet avec un radar en se réclamant de critères d'appréciation issus d'une étude technique définissant les zones de protection et de coordination des radars de défense. L'on sait pourtant que pour éviter une annulation de ses lignes directrices contenues dans l'instruction du 16 juin 2021 (1) prise sur des considérations factuelles douteuses mais aussi incompétemment, la Défense les a abrogées (2) .

De la même façon, si par trois arrêts du 11 février 2021 (3) , la cour administrative d'appel de Lyon avait annulé des avis défavorables de l'armée fondés sur la localisation de projets en secteurs SETBA (4) , les arguments retenus par la cour sont tous réfutés par le Conseil d'État qui la censure (5) pour erreurs de fait et droit et dénaturation des pièces du dossier.

Deuxième critère d'appréciation : la conception que se fait le Conseil d'État des conditions d'exigence et de délivrance de la dérogation de destruction d'espèces protégées. Les choses sont ici moins fermées que ne pourrait le laisser penser une approche superficielle.

Certes, le Conseil d'État se fait une conception très exigeante de la première condition requise pour que les préfets puissent délivrer légalement une dérogation à l'exploitant du futur parc éolien, s'agissant des « raisons impératives d'intérêt public majeur ». Reste que par un règlement temporaire du 22 décembre 2022, le Conseil de l'UE considère que les projets d'énergies renouvelables relèvent d'un « intérêt public supérieur » et, déjà, certaines juridictions du fond se contentent de cette vertu (6) des ENR.  Mais surtout, on semble avoir évité le pire pour les opérateurs, dès lors que la Haute juridiction a admis dans un avis contentieux que l'obtention d'une dérogation « espèces protégées » n'était nécessaire que « si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé », en tenant compte des « mesures d'évitement et de réduction proposées » présentant « des garanties d'effectivité » suffisantes. On perçoit que l'appréciation des juges du fond est déterminante car la Haute juridiction leur laisse ici une appréciation souveraine des faits, ce qui conduit, somme toute, à des solutions équilibrées et réalistes (7) .

Ainsi, le juge administratif s'éloigne, fort heureusement, des interprétations à l'emporte-pièce de la Cour de cassation qui sanctionne pénalement (8) le défaut de dérogation dès la destruction du premier spécimen.

Troisième et dernier paramètre, la perception des atteintes irrémédiables des éoliennes au paysage. L'on sait que le Conseil d'État avait préservé la filière de tout subjectivisme en déclinant dans un arrêt de principe (9) « Engoulevent » la méthodologie d'une analyse en deux temps du grand arrêt (10) « Gomel » : il incombe à la juridiction du fond de caractériser l'éventuelle sensibilité paysagère, avant de pouvoir constater une atteinte à l'intérêt particulier des lieux. Or, cette solution propre à l'urbanisme n'a pas été totalement retranscrite avec le classement ICPE (11) des éoliennes industrielles et leur soumission à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Le Conseil d'État a finalement cédé à la tentation (12) , fort contestable, d'une appréhension de la « commodité du voisinage » – via les intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement – comme se superposant à l'intérêt paysager et permettant de censurer une « saturation visuelle ». Mais après tout, la Haute juridiction ne fait que donner raison à ceux qui avaient fait le pari, avec le classement des éoliennes, d'un frein à leur développement bien plus que d'une sécurisation de leur développement ; d'ailleurs, le même jour, le Conseil d'État juge (13) que les considérations relatives à la commodité du voisinage ne relèvent pas de la salubrité publique au titre de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme.

Finalement le Conseil ne surprend guère : ayant traversé plus de deux siècles d'histoire constitutionnelle, la Haute juridiction soumet le fleuron des ENR aux catégories d'entendement traditionnelles de la jurisprudence administrative, sans pour autant souffler sur les braises avec les anti-éoliens.

Au demeurant, les membres du Palais Royal, pour parfaire leur bilan carbone, pourront toujours se targuer de contribuer désormais, après la cour administrative d'appel de Nantes, à la validation des parcs éoliens en mer (14) , validant une dérogation de destruction d'espèces naturelles du parc éolien en mer au large des îles d'Yeu et de Noirmoutier ; prônant une régularisation sans conséquence (15) dès lors qu'elle est déjà intervenue au jour de l'arrêt du juge de l'autorisation environnementale.

1. Instr. n° 1050/DSAE/DIRCAM, 18 juin 2021, relative au traitement des dossiers obstacles2. Instr. n° 1051/ARM/DSAE/DIRCAM/NP, 2 juin 20223. CAA Lyon, 11 févr. 2021, n° 18LY04646, n° 18LY04649 et n° 18LY046384. Secteurs d'entraînement à très basse altitude5. CE, 27 mars 2023, n° 4516336. CAA Toulouse, 8 déc. 2022, n° 20TL021087. par ex. CAA Douai, 6 avr. 2023, n° 21DA00012 ; CAA Lyon, 15 déc. 2022, n° 21LY004078. Cass. 3e civ., 30 nov. 2022, n° 21-16.404 : Bull. civ.9. CE, 13 juill. 2012, n° 345970 : Lebon T., note Deharbe, Dr. Env., n° 208, p. 19-2210. CE, 4 avr. 1914, Gomel, Gaja, n° 2711. Installation classée pour la protection de l'environnement12. CE, 1er mars 2023, n° 459716 : Lebon T.13. CE, 1er mars 2023, n° 455629 : Lebon T.14. CE, 21 mars 2022, n° 451678 : Lebon T. ; CE, 29 juill. 2022, n° 443420 : Lebon T.15. CE, 28 déc. 2022, n° 447229

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