C'est un parcours express qu'a effectué la loi d'urgence visant à faire face à l'épidémie de Covid-19. Commencée le 18 mars en commission au Sénat, la discussion du texte s'est achevée dimanche 22 mars après un accord trouvé en commission mixte paritaire (CMP). Le texte est paru au Journal officiel du 24 mars.
Outre qu'elle reporte le second tour des élections municipales et permet de prendre des mesures d'urgence économique via une quarantaine d'habilitations du Gouvernement à légiférer par ordonnance, cette loi crée un régime d'état d'urgence sanitaire. Un état d'urgence qui permet de limiter les libertés publiques pour lutter contre l'épidémie. Ce qui suscite des critiques de l'opposition qui y voit une mise entre parenthèse de la démocratie, mais qui craint aussi que l'exécutif refuse les remises en cause qu'impose cette crise, en particulier dans l'intégration des enjeux environnementaux.
Six mois d'emprisonnement et 3 750 euros d'amende
Selon les dispositions votées par les deux assemblées, l'état d'urgence peut être déclaré par décret en Conseil des ministres dans tout ou partie du territoire national. Sa prorogation au-delà d'un mois ne peut être autorisée que par la loi après avis d'un comité scientifique. Ce comité doit rendre périodiquement des avis, qui doivent être rendus publics sans délai, sur l'état de la catastrophe sanitaire, les connaissances scientifiques s'y rapportant et les mesures propres à y mettre un terme. Par dérogation avec cette procédure « de droit commun », la loi instaure immédiatement cet état d'urgence, pour une durée de deux mois et sur l'ensemble du territoire national afin de faire face à la pandémie actuelle.
Ce texte donne la compétence au Premier ministre de prendre par décret toute une série de restrictions des libertés publiques. Parmi celles concernant plus particulièrement les entreprises, on notera les suivantes : restrictions et interdictions de circulation, fermeture provisoire de certaines catégories d'établissements publics recevant du public (ERP) et des lieux de réunion, réquisition de tout bien et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe, et de toute personne nécessaire à leur fonctionnement, mesures temporaires de contrôle des prix, toute autre mesure limitant la liberté d'entreprendre. De son côté, le ministre de la Santé est habilité à prendre toute mesure relative à l'organisation et au fonctionnement du dispositif de santé. Les préfets peuvent également être amenés à prendre les mesures générales ou individuelles d'application de ces dispositions. L'ensemble de ces mesures doivent être « strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu ».
La loi prévoit également un dispositif de sanctions pénales. Le non-respect des mesures de réquisition est puni de six mois d'emprisonnement et de 10 000 euros d'amende. La violation des autres interdictions est punie d'une amende de 135 euros et de 1 500 euros en cas de récidive dans les quinze jours. Et même de six mois d'emprisonnement et 3 750 euros d'amende, assortis de peines complémentaires (travail d'intérêt général, suspension du permis de conduire) si la personne est verbalisée à plus de trois reprises dans un délai de trente jours.
« Des dispositions aussi exceptionnelles que le contrôle de la circulation des personnes et des véhicules, le maintien des personnes à domicile, le blocage temporaire des prix ou encore les réquisitions ne seront évidemment pas mises en œuvre sans contrôle si les circonstances exigent qu'elles le soient », a voulu rassurer Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement. « La commission mixte paritaire a précisé que toutes les mesures prises au titre de l'état d'urgence sanitaire pourraient faire l'objet d'un référé suspension ou liberté ; il s'agit d'une garantie importante pour le citoyen », a par ailleurs précisé Marie Guévenoux, rapporteure LReM de la CMP à l'Assemblée nationale.
« La liberté du marché a détruit nos moyens de défense collective »
La Gauche démocrate et républicaine (GDR) s'est également opposée au texte, réclamant davantage de réquisitions d'entreprises, tout en manifestant ses inquiétudes quant à la « dérogation démocratique » qu'il prévoit. « Accorder les pleins pouvoirs à l'exécutif, c'est prendre le risque du manque de transparence et de coopération », a expliqué la députée GDR Élsa Faucillon.
« Nous devons assurer un développement enfin humain, équilibré et responsable, car cette crise interroge notre modèle économique, nos façons de consommer, cette mondialisation sans contrôle. Demain, si nous ne changeons pas de modèle, la frénésie de la consommation énergétique et des matières premières détruira totalement notre belle planète et notre bien commun, l'humanité », a averti Bertrand Pancher, même si les députés du groupe Libertés et territoires ont voté en faveur du texte.
Signe de la montée en puissance de ces revendications non prises en compte pour l'heure par la majorité, cette dernière a repoussé un amendement transpartisan qui prévoyait l'élaboration d'un grand plan de relance et de transformation de la société en faveur du climat, de la biodiversité et de la justice sociale. « Nous continuerons (…) à tenter de convaincre le Gouvernement que les acteurs et citoyens sont prêts à préparer une grande transformation de notre société », a réagi le député Matthieu Orphelin, à l'initiative de cet amendement.