Édouard Philippe a présenté, mercredi 18 mars, en Conseil des ministres, un projet de loi (1) qui crée un régime d'urgence sanitaire pour faire face aux catastrophes sanitaires très graves comme celles du Covid-19. L'objectif est de donner un fondement légal aux mesures restrictives de liberté que prennent le Premier ministre et le ministre de la Santé pour lutter contre cette épidémie, mais aussi celles qui pourraient survenir à l'avenir. Le texte est examiné ce jeudi 19 mars au Sénat et vendredi 20 mars à l'Assemblée.
Ce nouveau mécanisme coexistera avec l'article 16 de la Constitution (2) , qui prévoit de donner des pouvoirs exceptionnels au président de la République en cas de crise, de la loi du 3 avril 1955 (3) sur l'état d'urgence de droit commun et de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique (4) applicable aux crises sanitaires de moindre ampleur.
Mesures restrictives de libertés
Le projet de loi donne au Premier ministre la compétence pour prendre des mesures portant atteinte à la liberté d'aller et de venir, à la liberté d'entreprendre et à la liberté de réunion. « Le ministre de la Santé aura vocation, quant à lui, à prendre les autres mesures, en particulier sanitaires, appelées par les circonstances », explique l'exécutif. Ces mesures devront être proportionnées aux risques encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu, prévoit le texte. « Selon ce qui paraîtra le plus approprié dans chaque cas de figure, ces mesures pourront être décidées au niveau national ou laissées pour partie à l'appréciation du représentant de l'État dans le département », précise l'exposé des motifs.
Concrètement, l'adoption de ce texte permettra d'imposer des mesures d'hygiène ou de comportement comme la distanciation sociale ou d'autres mesures barrières. « Les particuliers peuvent voir leur liberté d'aller et venir limitée dans l'intérêt de leur santé et de la santé publique », explique Matignon, qui donne en exemple les mesures de quarantaine ou d'isolement, ainsi que les mesures de confinement, déjà en vigueur.
L'état d'urgence sanitaire permettra également de recourir à des réquisitions afin d'assurer la continuité des services publics. Les magasins pourront continuer à faire l'objet de restrictions d'ouverture. « Les entreprises (…) peuvent souffrir de mesures prises dans le cadre de la crise sanitaire mais elles souffriraient davantage de celles de la crise elle-même si elle n'était pas surmontée », justifie le Gouvernement.
Création d'un délit
Le projet de loi prévoit des sanctions pénales en cas de non-respect des obligations qu'il instaure : six mois d'emprisonnement et 10 000 euros d'amende pour le délit de non-respect des mesures de réquisition, 135 euros d'amende en cas de manquement aux autres obligations.
« Ces mesures, qui peuvent s'avérer effectivement extrêmement contraignantes et qui fondent le confinement auquel nous sommes aujourd'hui contraints, sont parfaitement compréhensibles et nécessaires dans le contexte actuel », réagit l'ancienne ministre de l'Environnement Corinne Lepage.
Consécration du comité scientifique
Le Gouvernement met en avant des garde-fous. Ainsi, le projet de loi consacre l'existence du comité scientifique destiné à éclairer les choix des autorités compétentes dans la gestion de la crise du Covid-19.
« L'autorisation du Parlement [est] requise pour la prolongation de ce régime au-delà d'une durée d'un mois », veut aussi rassurer l'exécutif. « Il est dommage que le projet de loi ne prévoit pas le retour à l'état de droit initial dès lors que les circonstances de l'état d'urgence sanitaire économique auront pris fin, déplore toutefois Corinne Lepage. Cela aurait permis de lever toute ambiguïté quant à l'étendue dans le temps des transformations majeures auxquelles nous devons nous attendre ».
Des transformations nécessitées par l'acuité d'une crise qui révèle l'obsolescence du cadre juridique actuel. « La crise sanitaire du Covid-19, d'une ampleur jamais imaginée jusqu'ici, appelle une réponse des autorités exécutives d'une ampleur qui n'a pu elle-même être envisagée lorsque les dispositions législatives et réglementaires existantes ont été conçues, justifie le Gouvernement. « Il convient donc de penser un cadre juridique à la lumière de cette réalité nouvelle, et qui peut se reproduire dans l'avenir », ajoute l'exécutif.
La balle est maintenant dans le camp de l'Assemblée nationale qui va examiner le texte dans un hémicycle clairsemé. Le Sénat l'a voté (5) jeudi 19 mars au soir à la quasi-unanimité après avoir adopté une série d'amendements.