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Le droit français des assurances à l'épreuve des catastrophes naturelles

Le régime d'indemnisation des dommages résultant d'une catastrophe naturelle fait face aux enjeux de l'augmentation de ces catastrophes. Malgré une réforme en 2021, il est encore considéré comme inabouti.

DROIT  |  Étude  |  Risques  |  
Droit de l'Environnement N°324 Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°324
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Le droit français des assurances à l'épreuve des catastrophes naturelles
Antoine Touzain
Professeur agrégé, Université de Rouen Normandie, Curej, UR 4703
   

Le droit français prévoit, depuis la loi du 13 juillet 1982, un régime original d'indemnisation des dommages résultant d'une catastrophe naturelle. Néanmoins, le dérèglement climatique, par la multiplication des catastrophes qu'il engendre, met à mal ce régime, qui a été réformé par la loi du 28 décembre 2021. Il n'en demeure pas moins que ce texte n'est qu'un point de départ à une réflexion plus générale d'adaptation du régime Cat Nat.

Préoccupation. La multiplication des catastrophes naturelles est l'une des grandes préoccupations actuelles. Le constat est net : il y a plus d'une catastrophe naturelle en moyenne par jour au niveau mondial et les chiffres devraient tourner aux alentours de 1,5 par jour d'ici à 2030. Dans ce cadre, le Gouvernement a, fin mai, mandaté une mission de recommandation sur les enjeux et évolutions du système assurantiel français face aux risques climatiques, afin de développer la soutenabilité du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles. Il est vrai que les chiffres inquiètent : l'ouragan Andrew de 1992 a généré plus de 32 milliards de dollars de dégâts ; le tsunami japonais de 2011 a occasionné des sinistres dépassant les 200 milliards… même à l'échelle nationale, les intempéries de mai-juin 2022 ont occasionné plus d'un milliard d'euros d'indemnisation par les assureurs.

Premières vues. Les assureurs sont aux premières loges du dérèglement climatique, la multiplication des catastrophes conduisant à une augmentation des indemnités de sinistre, au risque d'entraîner une augmentation considérable des primes, voire un désengagement total des assureurs. C'est que l'assurance repose sur la mutualité, qui implique un triptyque dilution-dispersion-homogénéité : la collectivité doit être suffisamment conséquente pour éliminer le hasard ; une partie seulement de la mutualité doit être exposée aux risques ; les risques couverts doivent être similaires. Or, dès lors que le dérèglement climatique est un risque systémique, et que la tendance est à la multiplication des catastrophes, l'exposition aux risques se globalise, ce qui rend le risque lié au climat techniquement inassurable.

Il ne faudrait pas croire, à cet égard, que la sinistralité française devrait être la seule à prendre en compte : l'ensemble du système assurantiel mondial est interconnecté, notamment par le prisme de la réassurance, qui permet une répartition globale des risques. Dès lors, l'augmentation générale de la sinistralité a une incidence sur le montant des primes collectées par les réassureurs ; or, puisque ces derniers prélèvent une portion des primes d'assurance, l'augmentation des primes de réassurance a nécessairement une incidence sur celle des primes d'assurance. D'où le recours à des mécanismes alternatifs de financement de la réparation des dommages causés par les catastrophes naturelles, tels que les catastrophe bonds (cat bonds) sur les marchés financiers.

Particularisme français. Il n'en demeure pas moins qu'il existe une spécificité française en la matière : le mécanisme d'indemnisation des catastrophes naturelles est hybride, mêlant privé et public : « c'est un système reposant sur la solidarité nationale mais géré par les assureurs ». L'idée est de dépasser la seule logique de marché, pour compenser la frilosité des assureurs face à des risques dont la fréquence et le coût moyen ne peuvent guère être appréhendés grâce aux règles habituelles de probabilité. Après avoir présenté le système français (I), il conviendra d'en envisager les perspectives (II).

I. Présentation

Originalité. Si, pendant longtemps, le droit se désintéressait du sort des victimes de catastrophes naturelles (chacun devant supporter sa propre malchance), la philosophie a changé avec l'essor de l'idée de solidarité nationale. Le premier exemple d'ampleur fut la loi du 10 juillet 1964, organisant le régime des calamités agricoles, qui fut néanmoins jugé trop coûteux et donc réformé à plusieurs reprises et en dernier lieu par la loi du 2 mars 2022, qui a déplacé le centre de gravité depuis la solidarité nationale vers l'assurance privée. Ce n'est qu'avec la loi du 13 juillet 1982 – dont le vote a été provoqué par de graves inondations fin 1981 – qu'un régime général d'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles a vu le jour.

Ce système, parfois présenté comme un modèle du genre, est extrêmement original en ce qu'il mêle deux logiques d'assurance et de solidarité : « l'assurance privée fournit le décor d'une pièce écrite par les pouvoirs publics ». Le législateur n'a pas opté pour une assurance obligatoire (qui imposerait à chacun de souscrire la police) mais pour une extension de garantie obligatoire adossée à certains contrats (qui suppose donc la démarche volontaire d'adhérer au contrat-socle, mais une fois la police souscrite, la couverture complémentaire est automatique). Cela dit, les contrats-supports sont nombreux : assurances de dommages aux biens (sauf la dommage-ouvrages et les assurances corps en matière de transports) et assurances de pertes d'exploitation, à tel point que cette garantie apparaît comme une assurance quasi obligatoire.

Ce domaine extrêmement étendu est la marque de la solidarité nationale : ni les souscripteurs ni les assureurs ne peuvent refuser la garantie complémentaire obligatoire (le Bureau central de tarification pouvant être saisi pour imposer la garantie). Restent simplement ceux qui n'ont pas souscrit de contrat-socle, pour lesquels un fonds de secours peut intervenir, même si l'indemnité est alors assez faible.

Contenu. La solidarité nationale se révèle encore quant au contenu du dispositif. Ainsi, le montant de prime est indifférent à l'exposition au risque (alors que certaines régions sont plus exposées que d'autres), correspondant à un taux fixe de 6 à 12 %, selon la garantie-socle. Le danger pointe néanmoins – mais serait actuellement relatif – d'une hausse des primes dues au contrat-socle dans les régions plus exposées aux catastrophes naturelles.

Objet garanti. Quant à l'objet garanti, il s'agit des sinistres occasionnés par des catastrophes naturelles, définies par l'article L. 125-1, alinéa 3, du code des assurances comme « les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises ». Il doit donc s'agir d'un événement n'ayant pas une origine humaine, qu'il s'agisse d'un phénomène géophysique ou climatique. En revanche, il n'est pas exigé que le dommage subi soit exceptionnel (contrairement à ce qui était prévu pour les calamités agricoles), même si l'exigence de ce que la cause soit d'une « intensité anormale » l'implique sans doute indirectement. La référence à l'inassurabilité conduit à exclure du champ du dispositif certains phénomènes climatiques qui sont couverts : foudre, grêle, effets du vent.

Arrêté de catastrophe naturelle. Chacun sait que la garantie ne joue qu'une fois obtenu un sésame : l'arrêté interministériel constatant un état de catastrophe naturelle, sur demande d'une ou plusieurs commune(s) ou du préfet, dans les vingt-quatre mois suivant le début de l'événement. La décision ministérielle est prise sur la base d'un avis d'une commission interministérielle et doit désormais être rendue dans les deux mois suivant le dépôt de la demande. Une procédure d'urgence est également prévue pour les catastrophes naturelles présentant un caractère exceptionnel. L'arrêté précise les zones et périodes de la catastrophe ainsi que la nature des dommages occasionnés, qui seront donc couverts. La décision (de reconnaissance ou non) est susceptible de recours pour excès de pouvoir.

Contenu de la couverture. La garantie étant adossée à des contrats d'assurance des biens, elle ne couvre que les dommages aux biens et non les dommages corporels. Elle concerne les biens objet du contrat-socle, sauf les exclusions légales (notamment dans le champ d'application de l'assurance récolte). En outre, dans la logique de prévention qui préside à la volonté d'adaptation au dérèglement climatique, la garantie n'est pas due, entre autres, en cas d'irrespect du plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRNP). On notera, puisque la pandémie de Covid-19 a braqué le projecteur sur elles, que les pertes d'exploitation consécutives à la catastrophe ne sont couvertes que si une telle garantie-socle a été souscrite (en somme, le contrat-socle détermine le périmètre de la couverture complémentaire). De manière générale, la garantie suppose la démonstration d'un lien de causalité entre la catastrophe et le dommage subi, ce qui se reflète notamment par l'exigence de prise des « mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages », lesquelles ont dû ne pas suffire à l'empêcher. L'indemnité vise principalement à la reconstruction, ce qui a notamment conduit la jurisprudence à refuser la prise en charge des frais de relogement ; néanmoins, la récente réforme du dispositif organise la prise en charge des frais de relogement d'urgence.

Survenance du sinistre. En cas de survenance du sinistre, l'assuré doit le déclarer à son assureur « dès qu'il en a connaissance et au plus tard dans les trente jours suivant la publication de l'arrêté interministériel », sous peine de déchéance en cas de préjudice subi par l'assureur. Si le bien assuré fait l'objet d'un cumul d'assurance, l'assuré peut déclarer le sinistre à l'assureur de son choix mais informer chaque assureur des autres contrats souscrits (l'idée étant d'éviter un cumul d'indemnisation qui serait contraire au principe indemnitaire, qui postule que l'indemnité ne vienne réparer que le préjudice subi, sans enrichissement de l'assuré). Quant à l'assureur, il doit informer l'assuré des modalités de mise en œuvre de la garantie et, le cas échéant, ordonner une expertise dans le délai d'un mois ; il doit faire une proposition d'indemnisation ou de réparation dans le mois suivant la réception de l'état estimatif ou du rapport d'expertise ; en cas d'acceptation, il a 21 jours pour indemniser ou un mois pour missionner l'entreprise chargée des réparations. Pour finir, il faut signaler qu'un découvert obligatoire est prévu (qualification qu'il faut privilégier à celle de « franchise » visée par les textes, puisque le découvert n'est pas rachetable), pour inciter à la prévention et éviter le traitement de petits dossiers.

II. Perspectives

Limites. Si le système français est plus protecteur que d'autres mécanismes existant à l'étranger, il présente des limites. Les bénéficiaires dénoncent ainsi régulièrement les délais et montants d'indemnisation (alors que le système est rentable pour les assureurs et l'État…), et le processus d'obtention de l'arrêté interministériel n'est pas toujours compris. Il n'est pas certain non plus que le caractère hybride du dispositif soit parfaitement connu. C'est pourquoi le système a été récemment réformé, même si le texte devra sans doute être complété à l'avenir.

Loi du 28 décembre 2021. La réforme du régime CatNat a été opérée par la loi du 28 décembre 2021 relative à l'indemnisation des catastrophes naturelles. Cette loi a élargi le domaine des frais pris en charge, en incluant les dépenses de relogement d'urgence lorsque la résidence principale est, par suite d'une catastrophe naturelle, rendue impropre à l'habitation pour des raisons de sécurité, de salubrité ou d'hygiène, les frais de relogement étant couverts pour une durée de six mois ; de même, la réforme prévoit la prise en charge des frais obligatoires ou nécessaires d'architecte et de maîtrise d'œuvre pour la remise en état des constructions sinistrées par un mouvement sismique ou des mouvements de terrain résultant d'une sécheresse et d'une réhydratation des sols. La réforme a également officialisé la commission interministérielle de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle. On se souvient également que le processus d'indemnisation a été modifié pour rythmer les différentes étapes.

L'un des apports de la réforme est une modification du mécanisme de modulation de la franchise. En effet, la franchise applicable aux biens autres que les véhicules terrestres à moteur était jusqu'alors modulée en fonction du nombre d'états de catastrophe naturelle intervenus pour le même risque au cours des cinq dernières années, dès lors que les communes concernées n'étaient pas dotées d'un PPRNP. L'idée était de responsabiliser les assurés mais a conduit à un engorgement des préfectures pour l'établissement de tels plans, tout en faisant peser sur les assurés les conséquences de la carence de leur commune… La modulation a donc été restreinte aux seuls biens des collectivités territoriales et de leurs groupements.

On notera enfin que la loi appréhende spécifiquement le risque sécheresse-réhydratation des sols ou retrait-gonflement des argiles (RGA), avec notamment une extension du délai de prescription de deux (délai habituel en droit des assurances) à cinq ans (soit le délai de droit commun). Ce risque est néanmoins au cœur des réflexions du législateur, puisqu'il a été appréhendé par l'ordonnance du 8 février 2023, laquelle a modifié la notion de catastrophe naturelle pour y inclure « la succession anormale d'événements de sécheresse d'ampleur significative », mais seulement lorsque les dommages sont « susceptibles d'affecter la solidité du bâti ou d'entraver l'usage normal du bâtiment ». Cette ordonnance est d'ores et déjà critiquée, en particulier en ce qu'elle limite la prise en charge aux événements « d'ampleur significative », ce qui est très restrictif.

Réformes à venir. On le voit, malgré une attention des pouvoirs publics, la réforme du régime Cat Nat n'en est probablement qu'à ses débuts, puisqu'elle est majoritairement considérée comme inaboutie. La hausse constante et considérable des catastrophes naturelles annoncée pour les prochaines décennies (notamment les épisodes pluvieux extrêmes, l'élévation du niveau des mers et la multiplication des sécheresses continues) supposera de remettre l'ouvrage sur le métier. Avec peut-être une réorganisation du système, par une nouvelle articulation de l'assurance privée et de la solidarité nationale, comme en matière agricole ? Affaire à suivre !

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