
Expert en énergie et Maire de Lambesc
Actu-environnement : Dans le cadre du débat national sur la transition énergétique vous défendez un nouveau modèle financier pour le développement des énergies renouvelables. Pourquoi ?
Jacques Bucki : Dans le cadre de ma carrière professionnelle j'ai pu constater que le modèle financier appliqué aux énergies renouvelables a le mérite d'être simple, d'être facile à vendre aux élus, mais aussi de faire la part très belle aux actionnaires plutôt qu'aux citoyens. Cela me fut confirmé quand, après mon élection de Maire en 2008, nous avons étudié le potentiel d'énergies renouvelables (EnR) de Lambesc (13). Suite à des études juridico-financières, nous avons pu démontrer que, sur la base de projets photovoltaïques identiques, les revenus de la collectivité pouvaient augmenter en adoptant des formes juridico-financières différentes (SEM, SPL, PPP...) ! Malheureusement, le moratoire Fillon de décembre 2010 a mis fin à tous nos espoirs et donc de financement de la transition énergétique dans notre ville. Par contre, ce fut le point de départ d'une dynamique locale et de travaux qui n'ont cessé d'améliorer et de préciser mon schéma.
AE : Au cœur du modèle d'"Économie Circulaire de l'énergie" que vous avez formulé figure la nécessité que les sociétés de projet de production d'énergies renouvelables soient à maîtrise d'ouvrage publique, ce qui est plutôt rare. Pourquoi ce besoin ?
JB : Dans le schéma actuel que j'appelle "partiel", basé sur un Bail Emphytéotique Administratif (BEA), le citoyen paie la Contribution au Service Public de l'Electricité (CSPE). Celle-ci permet de financer l'obligation d'achat des mégawatt heures (MWh) produits à l'exploitation, mais les dividendes des sociétés de production d'EnR ne reviennent qu'aux actionnaires privés. Hormis les communes privilégiées, en mesure de produire elles-mêmes, et celles qui perçoivent de menus loyers leur permettant de financer les politiques de transition énergétique (rénovation, aménagement...), les autres n'ont aucune ressource pour traiter de tels problèmes, ce qui au fil du temps crée une fracture économique entre les collectivités et donc leurs habitants. Dans mon schéma, l'actionnariat est majoritairement public (territoires, collectivités mais aussi citoyens), ce qui permet aux collectivités de percevoir des revenus et donc de financer la transition énergétique sur leur commune au bénéfice des administrés. Ce schéma favorisant tous les acteurs (collectivités et citoyens) dynamise la filière EnR et est donc aussi gagnant pour les entreprises. Du citoyen au citoyen en passant par tous ceux qui font l'économie des territoires, c'est cela l'économie circulaire.
AE : Comment faire en sorte que les sociétés de projet soient à maîtrise d'ouvrage publique ?
JB : Si aujourd'hui ce schéma n'est pas mis en place, c'est qu'il n'est ni connu ni maîtrisé par les élus et les collectivités. La pierre angulaire de tout le processus est donc l'accompagnement de ces acteurs. Il faut créer des Établissement Public Régionaux de l'Energie (EPRE) qui conseilleraient sur le plan technique et juridico-financier toutes les communes et leurs groupements. Cet EPRE aurait aussi pour mission de lever des fonds, de rationaliser et d'optimiser l'usage des espaces et du réseau en relation avec RTE et ERDF, et aussi d'initier des politiques innovantes... bref, d'être le moteur de la transition énergétique sur le territoire. Toutes les mesures que je préconise sont non seulement financées (par la production d'EnR) mais de plus rapportent et dopent l'économie des Régions.
AE : Les collectivités ayant vocation à servir l'intérêt public de leurs concitoyens et non l'intérêt privé, comment y parviennent-elles dans ce modèle ?
JB : Dans le cadre du débat national sur la Transition énergétique, l'AMF et toutes les associations qui représentent les collectivités et les territoires réclament une bonification du tarif d'obligation d'achat des EnR dans le cas où les sociétés de production d'EnR sont à majorité publique, à CSPE constante pour les consommateurs. Un tarif plus élevé permettrait plus de revenus, donc plus de ressources pour les collectivités, d'où un dynamisme accru de l'économie circulaire territoriale ; à condition bien sûr que tous les revenus liés aux EnR soient fléchés vers les politiques de transition énergétiques, ce dont nous convenons. Ces ressources doivent servir à la mise en œuvre d'un Service public de la performance énergétique de l'habitat (SPPEH) qui, via un guichet de la rénovation énergétique tel que celui inauguré à Lambesc le 15 avril dernier, permettrait d'accompagner efficacement les administrés dans la rénovation de leur habitat pour, à terme, favoriser l'efficacité énergétique. Ce qui est aussi une urgence de la transition énergétique !
AE : Comment les Certificats d'Economie d'Energie (CEE) peuvent-ils contribuer eux aussi à mettre de l'huile dans le rouage ?
JB : D'abord, il importe que les collectivités et les citoyens aient conscience du potentiel financier que représentent les CEE. Il faut donc en faire le bilan et ensuite en optimiser les bénéfices. Cela implique de rationaliser les fiches des CEE de telle sorte que les travaux ayant le plus d'intérêt soient favorisés (comme l'isolation de toiture), mais aussi de donner aux CEE de la crédibilité dans la durée et d'augmenter très sensiblement les exigences auprès des obligés. Enfin, dans le cadre du SPPEH, les revenus des CEE doivent servir aux incitations et à en améliorer le fonctionnement.
AE : Et comment intégrer les propriétaires privés dans ce cercle vertueux ?
JB : Un propriétaire foncier peut mettre ses terres à disposition en échange d'une participation à une Société d'Economie Mixte (SEM) communale. Le gain de rentabilité pour lui et la commune est très important comparé à celui d'un BEA qu'il signerait avec un opérateur. Concernant un particulier possédant un toit, pourquoi prendre de tels risques techniques, de maintenance de l'installation ou de disparition de l'entreprise ? Pourquoi produire des MWh à 250 € quand il serait possible au dit propriétaire d'être actionnaire d'une SEM en mesure de revendre l'énergie à 100 €/MWh ? Quelle économie de CSPE ! Pourquoi payer des centaines et des milliers de raccordements au réseau ? Pourquoi mettre des panneaux sur les toits qui dans 30 ans seront autant de friches ? Il faut penser au futur ! L'Ademe a cartographié des terres "anthropisées". Pourquoi ne pas s'engager à les couvrir de panneaux photovoltaïques plutôt que ces "fermes solaires" prises sur les terres agricoles ?